12c. Les indices : Lana
Je garde les paupières fermées, il roule trop vite pour moi. Cette allure occasionne pourtant une brise qui nous rafraîchit de l’air ambiant, si lourd. À l’approche du centre commercial, la brusque perte de vitesse m'incite à relever les paupières. Tout semble calme sur le parking, pourtant, le nombre incalculable de voitures provoque notre méfiance. Les magasins sont forcément fermés, nous sommes dimanche. À moins que…
Matt avance prudemment. Il commence par explorer les parties les plus éloignées du bâtiment, où des corps vidés de leur sang ont été abandonnés. Près de la première entrée, les dépouilles de quelques surveillants et pompiers gisent parmi celles d'autres victimes. Une rumeur, comme à l'aéroport attire nos regards sur le lourd rideau métalique. Les malaformes. Ils se sont agglutinés à l’intérieur, s’attirant sans doute les uns, les autres. Ils sont agités, surement ont-ils perçus le moteur de notre véhicule. Soudain, un bruit de verre brisé nous assaille, aussitôt remplacé par des coups portés sur la porte en fer. Le motard m'invite à m'accrocher avant d'accélérer vivement et je vois l’édifice s’éloigner avec amertume.
— Arrête-toi ! Arrête, Matt ! je crie en tambourinant son dos du poing, mon autre main aggrippée à son polo sous sa poitrine.
— Qu’est-ce qu’il y a encore ? s'énerve-t-il, un pied en appui sur le bitume pour soutenir la moto.
Je quitte le siège de cuir et expose mes réticences à mon compagnon, à grand renfort de gestes :
— Il doit y avoir des collègues de mon mari à l’intérieur ! Et peut-être même ma famille et mes amis ! On doit vérifier !
À ma grande surprise, il se décide à abandonner sa position assise et prend soin de caler la bécane avant de me rejoindre à l'arrière.
— Pas croyable ! Tu n’as rien compris ! Ce qu’il s’est passé à l’aéroport ne t’a pas servi de leçon ? Il est IMPOSSIBLE d’entrer ! Sauf si tu cherches à mourir.
— Avec ta force, on peut monter sur le toit et descendre à l’intérieur, non ? je suggère, pleine d'espoir.
— NON ! Ne rêve pas, les malaformes ont envahi le centre, ils sont partout ! À l’heure qu’il est, personne n’en a réchappé. Pourquoi je perds mon temps à t’expliquer, hein ? Tu ne m’écoutes pas ou tu fais semblant de ne pas comprendre !
— Si, j’ai compris. Désolée d'y croire encore… Que fait-on maintenant ? On ne les a pas retrouvés, on ne peut pas rentrer.
— Si, on va rentrer. Et pas un mot de notre… À personne, c’est clair ?
— Ne t’inquiète pas pour ça, aucun danger. Mais je ne veux pas rentrer !
Cette fois, il ne m’attrape pas par les cheveux mais par la gorge. Je suffoque tant il serre.
— Ferme-la. Tu vas récupérer et demain on continuera. Monte là-dessus, m'ordonne-t-il en désignant le véhicule.
Quelques chiens nous prennent en chasse mais abandonnent vite et les malaformes que nous croisons n’ont pas le temps de réagir que nous sommes déjà loin. La machine est bruyante mais rapide, si bien que nous arrivons vite chez lui. La famille de Matt et mes amis nous étreignent à notre retour. C’est bon de les revoir ! Le vampire est gêné par ces démonstrations d’affection et répond de son regard malicieux à mon petit sourire narquois.
— Madame se plaisait tellement en ma compagnie qu’elle ne voulait plus revenir.
Je reste sans voix, à me demander à quel nouveau petit jeu il joue encore. Les autres nous lorgnent sans comprendre, puis Clyselle croit réaliser. Avec un petit rire :
— Tu es bête Matt ! Nous savons toutes que ce n’est pas le genre de Lana !
— Vraiment ?
Il m'adresse son clin d’œil craquant avant de se pencher vers mon oreille pour une confidence puis dit à voix haute :
— Je te laisse le soin de raconter notre virée.
Instinctivement, je le fixe avec surprise et décèle un avertissement dans l'intensité de ses iris. Puis sans un mot de plus, il s’en va en direction de l’escalier mystérieux. Il ne va pas s’échapper comme ça, il me doit encore trop d’explications ! Quelques marches nous séparent déjà quand je le rappelle. Il s'arrête sans toutefois se retourner.
— Tu me raconte la suite à quel moment ?
— Plus tard, râle-t-il en reprenant son ascension.
Je trépigne, déçue :
— Non, Matt. Tu m’as promis.
Il redescend, me colle contre le mur et me chuchote « pas devant eux », en désignant les tableaux d'un coup de tête. Eux me donnent la chair de poule. J’acquiesce et l’avertis de mon intention d’obtenir de lui les informations qu’il me doit.
Tous attendent le récit de nos recherches. Alors que chacun prend place sur les canapés et fauteuils, Jonathan me présente un coussin confortable installé face à eux.
— Nous étions sur leurs traces, commencé-je. Nous avons retrouvé ma voiture et tout porte à croire qu’ils se sont entassés dedans quand ils se sont enfuis.
Mes amies, les fesses au bord de leurs sièges, sont suspendues à mes lèvres.
— Val, j’y ai trouvé la gourmette de Joël, je souris en la lui tendant.
Elle s’en empare comme un mendiant se jetterait sur un billet, serre le bijou contre son cœur en laissant couler ses larmes de soulagement. Matt, finalement présent, adossé à la porte d'entrée, lève les yeux au ciel, agacé. Je poursuis et me tourne vers Clyselle :
— La sacoche de Bob était à l’avant ; tiens.
Elle aussi saisit l’objet, s’assure qu’il est intact et laisse à son tour les gouttes salées rouler sur ses joues.
Mes amies sont émues, mais Clyselle parvient à me demander si moi aussi j’ai découvert quelque chose.
— Un peu avant l’aéroport, ils ont du faire une pause. Il y avait des détritus et un morceau du doudou de Kimani.
— Vous avez fait des tours de garde, la nuit ? s'inquiète Val, en reniflant. Vous avez réussi à dormir un peu ?
La chaleur m’envahie au souvenir de cette nuit et me met très mal à l’aise. Si mes yeux croisent ceux de Matt, je vais nous trahir, si j’évite son regard, ça risque de paraître suspect. Par chance, il prend la parole :
— Nous nous sommes réfugiés dans les bois. J’ai veillé en premier pendant que Lana dormait. Puis nous avons…
Il fait semblant de tousser ! Qu’est-ce qu’il fait ?
— Echangé les rôles. Mais nous avons très mal dormi, la pression était forte.
Il toussote encore !
Clyselle me jette un regard en coin. Je l'ignore. Matt me toise comme pour obtenir mon approbation, alors je souffle et déclare en le regardant dans les yeux que j’ai encore du mal à m’en remettre. Provocation réussi puisqu’il regarde maintenant sa sœur, tendu, mais amusé. Puis sa tête se tourne de nouveau vers moi :
— Tu es très sexy dans cette robe, Lana. Tu devrais t’habiller comme ça plus souvent.
— Aurais-je droit aux explications que tu me dois si je la garde ? je rétorque avec sérieux.
Pas de réponse. Il saisit la bouteille de vin et s'empresse de faire le service pour cacher son sourire malicieux. Trop tard, je l'ai vu se dessiner sur ses lèvres. Ses lèvres… J’y gouterais bien, là, tout de suite. Je me force pour porter mon attention ailleurs et surprends le regard insistant que Jonathan pose sur son frère avant de prendre la parole, accusateur :
— Si je résume, vous avez perdu deux voitures !
— Oui, mais on a récupéré une moto, rétorque Matt, défiant.
Val m'apprend que l’eau ne coule plus aux robinets, et que nous sommes contraints d’utiliser le puits, comme à l’ancienne. L’électricité ne fonctionne plus non plus, mais nous avons des bougies, à économiser, et du gaz.
Je sors puiser un peu d’eau pour faire un brin de toilette dans mes quartiers, bientôt rejointe par Carole, qui me toise d'un air hautain.
— Ton maillot est couvert de sang. Du sang séché. D’ailleurs, pourquoi est-il déchiré ?
— C’est… un malaforme. Oui, un malaforme m’a attaquée et il l’a arraché avec ses ongles.
— Bien sûr. Montre-moi ton cou, m'ordonne-t-elle en tendant le bras.
— Non !
Je ne recule pas assez vite, puisqu’elle se jette sur moi et me pousse contre le mur, les doigts autour de ma gorge. Assurée de mon immobilité, elle examine mon décolleté. Elle le renifle, je sens son souffle sur ma peau tant elle est près. J'ai peur qu'elle me morde, qu'elle me tue. J'essaie de la repousser mais elle est trop forte pour moi. Malgré mes efforts, je ne parviens pas à lui faire lâcher prise, je suffoque.
Elle écarte soudain son visage de quelques centimètres et fixe l'endroit fatidique, celui où Matt a planté ses crocs.
— J’en étais sûre, gronde-t-elle, sans relâcher la pression sur mon cou.
Son nez frôle le mien quand elle poursuit :
— C’est un bon coup mon frère, non ? Je te préviens, raconte ce que tu sais à qui que ce soit et je m’occuperai de toi. Crois-moi, ton sauveur ne pourra rien pour toi jusqu’à ce que j’en ai finis. Tu m’as comprise ?
J'articule tant bien que mal entre deux quintes de toux :
— Oui, mais tu n’as pas à t’inquiéter…
— Moi non, toi oui. Il n’avait pas besoin de te dire ça. Je ne t’aime pas, alors évite moi.
Je suis rassurée, elle me laisse vivre. Sa main perd de sa fermeté, son ongle effleure les deux points sous mon oreille, et enfin, elle s'éloigne. La jeune femme m'adresse un dernier regard d'avertissement avant de se détourner, mais je n'en tiens pas compte. Ma fierté reprend le dessus :
— Il ne m’a rien dit, il m’a montré.
Mon sarcasme à peine exprimé, je le regrette déjà. Elle rugit et me gifle de sa poigne robuste, m’envoyant voler jusqu’à mon lit. D’un bond, elle me rejoint et, à califourchon sur moi, les doigts de nouveau sur mon cou, elle se penche, le visage déformé, les canines acérées débordant de sa bouche.
— Carole ! Carole ! beugle Matt.
J’aspire l’air à grande gorgée quand il tire les cheveux de la folle furieuse et me libère. Face à face, ils n'émettent pas un son, si ce n'est celui de leurs respirations haletantes. Ils se toisent avec animosité, tels des bêtes prêtes à se jeter sur leur adversaire. Enfin, elle capitule et se dirige vers la porte.
— Il faut qu’on parle, toi, moi et Jonathan, dit-elle d'un ton ferme et froid, raide comme un piquet.
Réunion de famille en vue...
Mon sauveur me regarde rapidement, apprécie ma nudité (la serviette que j’avais enroulée autour de moi gît au pied du mur), et s’en va, probablement pour rejoindre l’enragée.
Je me glisse fébrilement sous le dessus de lit en position du fœtus. Mes bras s'enroulent autour de mes jambes, et serrent, avec l'espoir d'apaiser mes tremblements. Mais au contraire, alors que mes larmes jaillissent, de violents sanglots me secouent de part en part.
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