13b. les malaformes : Lana
Je regagne ma chambre, après avoir traversé encore maints couloirs et escaliers, avec l’intention de me changer pour retourner m’entraîner. Matt m’attend, étendu sur mon lit, les mains jointes sous la tête, une jambe repliée sous l’autre. Sexy à mort ! C’est presque le cas de le dire…
— Tu veux parler ici ou chez moi ? me propose-t-il.
— On n’est pas chez toi, ici ?
— Ne commence pas. Mes appartements sont plus confortables, répond-t-il en se redressant. Viens. Mais pas de bruit.
Il m’entraîne en silence parmi les étages, les portes, les marches… Il s’arrête tout à coup et hurle un « STOP ! » autoritaire.
— Ils jouent avec nous, précise-t-il à mon intention.
— Qui ?
Je ne suis pas du tout rassurée.
— Les ancêtres, leurs esprits.
Bah oui, c'est une évidence ! Des fantômes et des esprits. Honnêtement, je préfère la route et la forêt, malaformes ou pas, car eux, je peux les tuer, les revenants et leurs âmes par contre, j’ignore comment les gérer.
La maison a dû cesser de bouger car je reconnais le chemin. Je profite qu’il ferme la porte à double tour pour ouvrir celle du salon, où il me suit. Il me propose un verre de vin, que je refuse, je dois garder les idées claires. Il s’allonge sur son sofa et m'invite à l'imiter face à lui.
— Tu ne devrais pas t’allonger, me conseille-t-il. Tu vas t’endormir. Ou je ne résisterai pas à la tentation.
Je n’ai pas le temps de répondre ou d’esquisser le moindre geste que la porte claque d’un coup sec. Nous nous redressons, d'un même sursaut.
— Les esprits, m'informe-t-il en grimaçant. Vous n’allez pas nous laisser tranquilles ? Je sais ce que je fais !
— Ils en ont après moi, c’est ça ? je demande, terrifiée.
— Ignore-les, ils cherchent à te faire peur. Moi, ils ne m’impressionnent plus depuis longtemps.
Il est furieux. Je n'ose faire aucun bruit, aucun geste. Je voudrais me terrer dans un trou de souris… Le regard de Matt s’adoucit légèrement quand il croise le mien. Brièvement. Il est maintenant ardent, ses yeux brillent, me scrutent avec intensité. Il essaie de lire en moi. Il n’a pourtant pas besoin de mon accord. D'après ce que je sais, il peut m’hypnotiser pour obtenir ce qu’il veut. À ceci près qu’il n’en a pas besoin. J’ai tellement aimé les sensations qu’il m’a fait ressentir ! Mon corps en redemande.
Je fixe le sol avec l'espoir de lui résister. Il a beaucoup de choses à m’apprendre. Outre le fait que mon monde est composé d’humains, de malaformes, de vampires sexy, de fantômes et d’esprits taquins… Surtout, parce que je suis mariée et que j'aime mon mari.
Matt a compris la raison de ma présence dans ses appartements. La flamme dans ses yeux s’est éteinte. Il passe derrière le sofa, appuie doucement sur mes épaules pour que je me rasseye et contourne son bar.
— Tu devrais boire quelque chose, ça va être long.
Il se serre un verre de whisky et me prépare une coupe de champagne.
— C’est chaud, mais je n’y peux rien, dit-il en me tendant le verre.
— Merci. Explique-moi le monde qui m’entoure et que je ne vois pas.
— Ok, accepte-t-il en soupirant.
Il prend le temps de caller les coussins de son canapé avant de s'y étendre à nouveau. Les mains sous la tête, il soupire encore avant de reprendre :
— Les Strigon*, ou vampires ont vu le jour au XVIIè siècle, dans la péninsule d'Istrie, avec un homme nommé Jure Grando, mort et enterré. Il revenait hanter les rues de son village la nuit. Les habitants des maisons auxquelles il frappait mourraient subitement et il les dévorait avant d'entrer chez les jeunes et jolies veuves pour les violer. Ah, et il se nourrissait du sang d'enfants, aussi. Le prêtre et quelques villageois tentèrent à plusieurs reprises de le tuer à l'aide d'un pieu d'aubépine mais ils ne parvenaient pas à transpercer la peau. Ils réussirent quand même à éliminer le monstre en le décapitant. Ils ignoraient qu'il avait fait de ses quelques proies survivantes des créatures telles que lui en les abreuvant de son propre sang. Quand les conditions étaient réunies, l’accouplement d'un vampire et d'une humaine conduisait à la naissance d’un dhampire. Un être mi humain, mi vampire. Ce que nous sommes, mon frère, ma sœur et moi. Mais les malaformes ne sont pas tout à fait issus d’une telle union. Des sorcières ont joué un rôle très important dans leur apparition.
Des sorcières maintenant ! Je hoche la tête et me retiens de rire.
— Ne commence pas ! Tu veux savoir ? s'impatiente-t-il en m'adressant un regard noir.
Un fracas me fait sursauter avant que je ne puisse répondre. La bouteille de champagne se trouvait au milieu du bar et vient de voler en éclas !
Matt agite son poing vers le plafond et hurle :
<<- Stop les ancêtres ! Ma vie me semble bien meilleure que celle que vous n’avez jamais eu, alors foutez moi la paix !
Je reprends.
Les sorciers et sorcières. Ils sont les intermédiaires entre l’homme et les esprits universels. Ils peuvent pratiquer plusieurs sortes de magie, utilisent des supports en fonction de l’incantation ou du rituel. Ils ont une force mentale hors du commun. Ils utilisent leurs pouvoirs pour faire le bien autour d’eux, en aucun cas à des fins personnelles, ça leur est formellement interdit. C’est pour cette raison que les vampires et les sorciers ne peuvent pas cohabiter. Nous éliminer est l’un de leurs devoirs.
Les vampires et leur progéniture sont contre nature. Nous maltraitons les humains. Cependant, un vampire et une sorcière vécurent une grande histoire d’amour. L’inévitable se produisit : elle tomba enceinte et provoqua la colère des sorciers. Grâce à leurs pouvoirs, ils engendrèrent la naissance d’un enfant mi vampire, mi humain. Il se nourrissait de sang, mais n’avait aucune des caractéristiques des dhampires, des vampires et encore moins des humains. Le pire, c’est qu’il n’avait aucune intelligence. Les sorciers avaient créé un malaforme ! Une créature dont le seul but est de boire, qui ne sait pas mordre mais se contente de déchiqueter pour parvenir à s’abreuver. Une créature qui se multiplie en laissant sa proie non vidée mais suffisamment anémiée pour qu’elle se relève et cherche son repas à son tour !
La mère de ce premier malaforme avait défié les lois sacrées et ses semblables ne lui vinrent pas en aide, la laissant mourir à petit feu en nourrissant son fils avec son propre sang. Elle lui apportait parfois des animaux vivants dans la cave où elle l’avait enfermé. Au bout d’une quinzaine d’années, à bout de forces, elle trébucha dans les marches et s’abandonna aux dents acérées de son enfant.
Le malaforme, délivré, s’attaqua à tout le village, laissant des cadavres vidés, ou créant sans même le comprendre de nouveaux monstres. Ensembles, ils décimèrent plusieurs bourgs alentours, devenant à chaque fois plus nombreux.
À cette époque, les lois et les croyances n’étaient pas celles d’aujourd’hui. Les habitants et la garde du roi eurent tôt fait de venir à bout de ce fléau.
C’était il y a des siècles, mais l’histoire s’est finalement répétée, et à notre époque, on ne supprime plus notre voisin parce qu’il est atteint de cannibalisme. On le confie à un psychiatre, le fléau s’amplifie, et le temps de réaction humain est tellement long, qu’on en arrive au chaos d’aujourd’hui.
As-tu tout compris ? As-tu des questions ?>>
Je prends mon temps. Ça fait beaucoup d'informations à assimiler, une nouvelle réalité à découvrir et à accepter.
* : https://www.ulyces.co/news/la-legende-meconnue-du-premier-vampire-europeen/
+ : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jure_Grando
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