14a. Démons et sorcières : Clément

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— Fonce !!! je hurle à l'intention de Sandrine alors qu'on atteint tout juste le pick-up.

Les malaformes en approche sont beaucoup plus nombreux que nous. la conductrice recule, pied au plancher, mais la roue arrière rencontre un énorme trou. Le pick-up cale. Merde ! Sandrine le redémarre aussitôt, mais le pneu glisse dans la boue. Les monstres avancent toujours et réduisent encore la distance qui nous sépare. J'ordonne aux adultes de descendre et de pousser avec moi. Si on ne tente rien, on mourra, de toute façon. Les créatures sont proches, beaucoup trop proches ! Au point que leurs grognements couvrent les cris des enfants, horrifiés. Le véhicule effectue un bond en avant dans un grincement ferrailleux. Mes amis et moi courrons vers la route principale pendant que Sandrine fait demi-tour en percutant quelques malaformes. Elle appuie sur le champignon, omet de passer les vitesses et fait rugir le moteur avant de s'arrêter à notre hauteur. Richard se jette sur le siège avant tandis que je soulève comme je peux Bob, agrippé par les mains des jeunes. Mes doigts s'accrochent sur le bord du véhicule quand il s'ébranle et que les pneus éjectent une fumée de poussière. Sandrine a redémarré. Mon pied gauche traine un poid sur la terre sèche ! Je ne tiendrai pas longtemps ! Le vacarme est assourdissant entre nos cris, le brouhaha des créatures et la mécanique qui hurle ! Ma jambe libre donne des coups sur ce qui entrave ma cheville et bientôt, je rebondit contre la caisse, le membre dégagé. Mes compagnons me hissent sur la plateforme chahutée, tandis que Sandrine nous éloigne de ce piège. Tremblants, en sueur,on peut reprendre notre souffle et apaiser nos enfants, en larmes. Pour combien de temps ?

— Papa, il te manque une chaussure, remarque Jess.

— C'est un monstre qui voulait manger ton pied, papa. J'ai eu très peur, sanglotte Kimani, recroquevillé dans mes bras.

— Vérifie que tu n'as pas été mordu, réagit Bob, les yeux exhorbités dirigés vers ma cheville.

Par chance, le monstre était juste accroché, et entrainé avec moi, sa bouche hideuse ne pouvait pas m'atteindre.


Pour entrer et sortir de chez Richard, on utilise la même méthode que la première fois : escalade des jardins pour rejoindre le pick-up qu’on gare au bord de la route. On part toujours au lever du soleil, pour revenir avant la tombée de la nuit.

C’est la galère pour se laver. On se restreint, on va jusqu’au barrage. L’eau de la piscine est déjà verte puisque la pompe ne fonctionne plus. Ça pue et les moustiques se multiplient. Il ne manquerait plus qu'un maladie comme la dengue ou le chikungunia ! Pas une goutte d’eau potable ne coule des robinets, alors on se rationne car les bouteilles commencent à manquer. La nourriture, c’est pareil. Le peu d’épiceries qu’on croise a déjà été visité et vidé. On se demande où se terrent ceux qui se sont servis avant nous, car on ne rencontre personne. Ca remonterait notre moral si on pouvait partager nos moyens de survie avec d’autres. On serait plus fort si on se rassemblait ou ils pourraient nous indiquer la route de cette fichue maison introuvable ! La lassitude nous gagne, en même temps qu’une pointe de folie et de cruauté à force de nous heurter à des monstres. On a quand même croisé un groupe tout à l’heure.

On a rendu une petite visite à l’office de tourisme. Il était désert, mais on en est ressorti avec une carte de la ville. Hélas, aucune trace de la rue qu’on cherche. Aux alentours non plus. Nos femmes se seraient-elles trompées en écrivant l’adresse ? Que l’une ait commis une erreur, c’est encore possible, mais pas les deux.

Bref, on quadrillait tout le secteur, même la plage. On y a fait deux découvertes surprenantes. Pour commencer, aucun traqueur ne se balade sur le sable. Craindraient-ils l’eau ? Information à retenir et à vérifier, ça pourrait s’avérer utile. Seconde surprise : on a découvert un campement. Un vrai, fait de bâches, de branches d’arbres, avec un foyer encore fumant au centre ! Ils ont dû nous entendre arriver car ils étaient cachés sous leurs tentes de fortune. L’un d’entre eux en est sorti et s’est approché de nous, en conservant une bonne distance de sécurité. Son allure hostile et son fouet nous ont refroidis. Adieu le bref espoir de communication, de rencontres et d’échanges. Il fallait aller à l’essentiel sans tergiverser.

— Bonjour, nous sommes à la recherche de nos familles. Nous savons qu’elles se trouvent dans une maison située à cette adresse. Vous connaissez ?

— Dîtes toujours, mais à l’heure qu’il est, tout le monde est mort, accepta-t-il, peu engageant.

J’ignore quelle mouche l’a piqué quand je lui ai lu l’adresse, il s’est mis à vociférer en créole, claquant son fouet au sol en notre direction pour nous forçer à reculer. J’ai reconnu les mots démon, mort, mal, mais c’est sans doute ma démence qui progresse. Pourtant, je devais essayer encore.

— S’il vous plaît ! On s'en va, mais aidez-nous, vous semblez savoir où on peut les trouver !

— Partez ! Et suivez ce conseil : trouvez un endroit où vous calfeutrer. Vous n’avez plus rien à chercher, les vôtres sont tous morts ! N’allez pas là-bas et surtout ne revenez jamais ici !!!

On a reculé pécipitamment, avant de s’enfuir en courant. L’homme nous a suivis de loin, son fouet prêt à nous frapper si on venait à faire demi-tour.

Un traqueur nous attendait à côté du pick-up. Je me suis précipité sur lui avec un hurlement de rage, et l’ai rué de violents coups de pieds sur tout le corps. Je voulais le tuer, lui faire mal. Mais plus je frappais, plus je l’excitais, et plus ma fureur grandissait. Bob et Rick m'ont arrêté, ils n’étaient pas trop de deux face à mon acharnement. Je me suis écroulé au sol, la tête entre les mains, et j’ai crié, hurlé un son qui sortait du plus profond de mes entrailles.

C’est Sandrine qui l’a achevé, pendant que mes amis m’aidaient à m'installer sur un fauteuil du véhicule. Ma plainte avait attiré de nouveaux traqueurs, il fallait partir vite, car cette horde était énorme.

Ils parlaient tous pendant le trajet. Je les entendais, sans les écouter. J’ai juste saisit quelques mots quand Sandrine a traduit les propos de l’homme au fouet. Je ne les ai pas inventés alors…

Toujours le même misérable paysage défilait à travers le pare-brise. Des maisons aux volets fermés, barricadées, des monstres errants dans les champs, des voitures abandonnées avec des traces de sang que les grains n’ont pas réussi à enlever, des cadavres couverts de ce même liquide coagulé…


— Clem ! Clem ! Clément ! me secoua Richard, assis à côté de moi. Réagis mon vieux ! Ce soir tu ne veilleras pas, poursuit mon ami. Bob et moi assurerons les tours de garde. Toi, tu as besoin de repos. Tu es le seul à n’avoir pas dormi une nuit complète depuis samedi.

— J’arrive à réfléchir quand je suis seul, la nuit.

— Tu réfléchiras dans un lit ce soir. On va discuter des propos de ce type pendant que Sandrine et Sam nous prépareront un truc à grignoter.

C’est parce que je regardais toujours ce même paysage de désolation que je me suis rendu compte qu’on ne prenait pas le trajet habituel. Ca faisait pourtant un moment qu’on roulait. Ca faisait trop longtemps, on aurait déjà dû être arrivé.

— Où va-t-on ? je demandai, suspicieux.

— Chez moi, m'informa la femme.C’est loin, sur l’autre partie de l’île, mais j’ai besoin de quelques accessoires.

La vue avait changé quand la voiture s’engagea sur le chemin d’une grosse forêt tropicale. D'après les panneaux, on se trouvait au pied du volcan. Des traqueurs erraient entre les arbres, mais notre pick-up filait, trop rapide pour leur laisser la moindre chance de nous rattraper.

Notre conductrice coupa enfin le moteur devant une jolie maison en bois.

— Attendez-moi ici, je n’en ai pas pour longtemps, décréta-t-elle.

Les créatures avaient suivi notre direction et venaient à notre rencontre quand on a repris le chemin en sens inverse. Ils nous bloquaient, nous forçant à nous arrêter, mais nos armes longues nous permettaient de les transpercer et de les décapiter sans descendre du véhicule. On ne les a pas tous tués, ça aurait demandé trop de temps. Quand on croyait en venir à bout, d’autres apparaissaient. Le soleil se couchait, il fallait reprendre la route. Pourtant, Sandrine a fait encore un crochet pour prélever de l’eau dans la rivière. L'obscurité menaçant, nous n'avons même pas pu en profiter pour prendre un bon bain, pour nous débarrasser du sang qui nous recouvrait, de la sueur qui collait à notre peau et de la puanteur qui nous suivait. Le retour jusqu'à la maison de Richard fut pénible, le moindre son nous terrifiant dans la pénombre.


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