14b. Démons et sorcières : Clément
Enfin, on s’attable autour de quelques chips humides, quand Sandrine prend la parole :
— J'ai certaines révélations à vous faire au sujet de cette maison qui abrite vos femmes.
— Maman ! Tu ne peux pas !
— Sam, ma chérie, il le faut. Ils ont le droit de savoir.
Des cernes noirs entourent ses yeux. Elle caresse son cou en réflechissant tandis que sa fille triture ses doigts, nerveuse.
— On t’écoute, je la presse en écartant les mains. Tu comprends notre impatience, n’est-ce pas ?
Elle reste silencieuse, debout, face à nous, et prends le temps de choisir et nommer les objets qu’elle a rassemblés dans son sac.
— J’ai déjà entendu parler de cette maison. Elle a une réputation. Mauvaise. On dit qu’elle cache des démons. Les gens d’ici ne s’approchent pas de ce lieu maléfique, ils ne l'évoque même pas. Voilà pourquoi cette rue n’existe nulle part. Comme l’homme sur la plage, je pense que si vos familles sont là-bas, il est trop tard.
— Toi aussi tu crois à ces légendes ? demande Richard, incrédule.
— On s’en fout d’y croire ou non, j'interviens. Sais-tu où c’est ?
— Pas exactement. Mais je peux localiser cet endroit. Je vous ai demandé de garder l’esprit ouvert. Je possède quelques… dons.
— N’importe quoi ! s'emporte Bob. Tu ne sais rien du tout ! Tu cherches juste à te rendre intéressante par peur qu’on ne vous abandonne toi et ta fille !
— Arrête Bob ! Laisse la parler, je gronde avant de m'adresser de nouveau à la femme, curieux et impatient. Tu es médium ?
— Non. Vous n’êtes pas prêts à accepter le monde qui vous entoure. Il y a tant de choses que vous ignorez. Richard, ta femme doit bien utiliser une brosse à cheveux ? J’en ai besoin.
— Je ne pense pas que ce soit l’heure de se faire une beauté, rétorque-t-il en levant les yeux ciel.
— J’en ai besoin pour localiser ta femme. Si elle est toujours en vie.
Dans la cuisine où on s’est finalement regroupés, elle allume une bougie blanche et de l’encens de jasmin dont l’odeur me rappelle celle de mes vacances d’enfant en métropole. Elle verse ensuite l’eau de rivière dans un grand faitout. Elle y ajoute une poudre, de la peau d’orange, des clous de girofle et des feuilles, puis elle mélange le tout à l’aide d’une baguette sculptée dans du bois.
On la regarde, incrédule, mais elle est concentrée sur sa tâche et nous a complètement oubliés. Elle retourne devant la table où brulent toujours la bougie et l’encens. Un sourire se dessine sur nos lèvres quand elle commence à réciter, les mains et les yeux levés vers le ciel :
<< Je demande maintenant que la Lune et Neptune me livrent leur mystère.
Dans mes rêves, cette nuit, que l’endroit où se trouve Valérie Chimont me soit clairement dévoilé.
Pour son bien, qu’il en soit ainsi. >>
Elle filtre ensuite son curieux mélange et nous toise d’un regard sévère. Elle a remarqué nos sourires contenus. Bob, lui, marmonne son mécontentement et préfère s’allonger sur le canapé. Sandrine lui fait savoir qu’elle n’apprécie pas et lui demande de nous rejoindre pour qu’il entende la suite.
<< J’exerce la magie, comme vous venez de le constater. Je suis une sorcière, ma fille aussi, tout comme l’était mon pauvre époux. Qu’il repose en paix. Nous œuvrons pour l’équilibre naturel. Demain matin, je saurai où est cette maison.
Une dernière chose avant que je termine le rituel, seule. Nous allons devoir économiser le gaz car j’aurai besoin de préparer de nouveaux filtres, pour nous protéger.
J’ai pris deux bidons d’essence que nous en gardions en réserve, pour le pick-up, précise-t-elle en lissant ses longs cheveux avec la brosse de Valérie.
Maintenant, je vais me retirer dans l’une des chambres.>>
Elle tient avec précaution sa préparation des deux mains quand elle nous tourne le dos et emporte également un sachet au parfum de chewing gum.
Avant de sombrer dans un profond sommeil, dans la pièce voisine, je l’entends encore parler à je ne sais qui ou quoi :
<< Morphée, par la Lune et par Neptune, montre-moi où est Valérie Chimont. Je rends grâce d’être exaucée cette nuit même. >>
Kimani me réveille quand il pose un bisou qui claque sur ma joue. Je réalise alors que ces derniers jours, les marques d’affection se sont faites rares.
— Dis, papa, tu crois qu’on va retrouver maman ?
Il grimpe sur le lit et saute, à genoux.
— Je l’espère, mon chéri. Je l’espère… Tu as vu si Sandrine est levée ?
— Oui, elle a dit qu’elle t’attend, précise-t-il en sautant à pieds joints sur le carrelage.
Je rejoins mes compagnons sur la terrasse, main dans la main avec mon fils. Impatients, ils m'ont tout de même préparé un verre d'eau de coco et une banane. Ils sont tous silencieux, sauf Robert, sarcastique :
— Maintenant que Clem est là, tu vas pouvoir nous dire ce que la Lune et Neptune t’ont révélé.
— Libre à vous de pas y croire, mais respectez les croyances des autres, car les astres et moi pouvons encore vous être utiles. De plus, rien ne m’obligeait à vous aider, et par ce fait, à me dévoiler ! Nous attendons des excuses pour tes propos moqueurs Bob.
— Ok, je suis désolé, se plit-il devant nos regards assassins. C’était très déplacé de ma part, je le reconnais. Pardon à toi et aux astres.
— La lune et Neptune acceptent tes excuses, par conséquent, moi aussi. Ma requête a été exaucée et la route qui conduit à la maison m’a été dévoilée. Je vous ai dessiné un plan.
— Comment ça, tu ne nous accompagne pas ? je m'insurge.
— Cela m'est impossible, à cause des démons.
— Lance leur un sort et tue-les, essaie Bob, avec l'espoir de se rattraper.
— Le fait que tu aies obtenu ta réponse prouve que Valérie est en vie, n'est-ce pas ? espère Richard, pragmatique.
— Tout à fait. Cependant, j’ignore dans quel état elle se trouve. Je ne sais pas non plus si les autres sont encore vivants. Les démons sont puissants. Pour leur jeter un sort, je dois les approcher et avec vos familles à leurs côté, le risque d'ensorceler des innocents est trop grand. Je voulais vous protéger mais le temps me manque pour préparer le rituel, et je ne dispose pas d'assez de pierres d’ambre pour vous tous. Vous allez devoir être extrêmement prudents !
— Comment ? On ignore ce qu'on va affronter ? s'écrie encore Richard.
— Laissez les enfants ici, je pourrai prendre soin d’eux. Partez vous assurer que vos femmes vont bien, qu’elles sont toujours humaines. Puis revenez, avec ou sans elles. Nous étudierons alors la situation. N’êtes-vous pas impatients ? Vous perdez de précieuses minutes !
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