14c. Démons et sorcières : Clément
— La prochaine rue à droite, Clem.
J’engage le pick-up dans cette direction et, d’après le plan de Sandrine, la troisième maison est celle où nous nous rendons.
Ça y est ! On l’aperçoit !
Mais… Non, pas ça !
La clôture est entourée de plusieurs dizaines de traqueurs qui se tournent vers nous au bruit du moteur. À trois, On n’en viendra pas à bout.
J’enclenche la marche arrière et appuie sur l’accélérateur. On va trouver une solution, mais plus loin. Alors que j’effectue un demi-tour à l’entrée de la rue, un homme, face à moi, m’empêche de fuir. Il sort d’où, lui ? Bob et Rick retiennent leur souffle. J’observe l’inconnu, prêt à foncer, même si je dois lui rouler dessus. Il semble humain, mais quand il s’approche de ma vitre, mon pied menace d’enfoncer la pédale. Il s'approche lentement de ma vitre, sans nous quitter des yeux :
— Bonjour. Je ramenais quelques animaux que j’ai ramassés quand je vous ai vus. Vous devriez éviter de sortir.
— Nous sommes à la recherche de nos femmes et de nos enfants. Elles nous ont laissé l’adresse de leur refuge et il s’agit de la troisième maison de cette rue.
— Comment s’appellent-elles ?
— Lana, Valérie…
— Elles sont chez moi, en effet. Vous ne pourrez pas entrer par le portail. Vous devez abandonner votre véhicule et me suivre. Les malaformes restent agglutinés à l’avant, on peut passer par les champs pour atteindre le jardin.
— Elles vont bien ? demande Bob, interloqué, alors qu'il claque la portière passager derrière Richard.
— Ces créatures s’appellent des malaformes ? demande ce dernier.
— Il parait que cette maison abrite des démons, je hasarde les yeux rivés sur l'inconnu. Pourquoi vous suivrait-on ?
Il s'arrête et nous fait face :
— Vous allez me suivre car je vais vous conduire auprès de vos femmes. Selon vous, je ressemble à un démon ?
Quel autre choix avons-nous ?
— J’y vais seul, je décrète. Restez ici, et si je ne suis pas revenu d’ici trente minutes, repartez.
Mes compagnons essaient de me dissuader, mais ma décision est prise. On doit vérifier les dires de ce type.
C’est devant la porte d’entrée que l’inconnu se présente. Il s’appelle Jonathan et vit ici avec sa sœur et son frère. Il m’apprend que ce dernier a emmené Lana jusqu’à nos maisons où elle nous espère rentrés. Dois-je le croire ? Il m’annonce ensuite une atroce nouvelle. Ce matin, Shana est partie pêcher avec Patrice. Ils se sont fait surprendre par un groupe de malaformes. Ils ont lutté, la petite était devenue assez forte, elle s’entrainait tous les jours, mais les créatures étaient trop nombreuses pour eux deux.
— Ils n’ont pas survécus. Je les ai trouvés quand je suis sorti vérifier mes pièges.
— Comment va Valérie ?
— Elle est anéantie. Elle n’a plus aucun espoir, et veut mourir. Clyselle la surveille de très près. Ça va l’aider de te voir, de retrouver sa famille.
Jonathan a l’air parfaitement normal, mais je reste inquiet sur ce qui m’attend à l’intérieur. De toute façon, il est trop tard pour reculer, surtout si près du but.
L’intérieur est propre, confortable, quoiqu’un peu vieillot. Il m'invite à traverser un grand salon, prendre plusieurs escaliers et longer de longs couloirs avant de s’arrêter devant une porte, et de l’ouvrir.
— Clyselle, Valérie, je vous apporte une bonne nouvelle…
La surprise passée, Clyselle me saute dans les bras, secouée par des sanglots de joie. Je l’enlace moi aussi, ému et soulagé de les trouver saines d’esprits en présence de démons. Il faudra que je pense à remercier Sandrine pour la frayeur qu’elle nous a rajoutée.
On est vite rejoint par Valérie qui essaie de me parler sans que j’arrive à la comprendre. Elle débite une avalanche de mots entrecoupés par ses pleurs. Je compatis à sa douleur, à la perte de sa fille. Mon arrivée lui procure joie et espoir, mais elle craint une autre mauvaise nouvelle. Je partage leur plaisir de les retrouver en bonne forme, malgré ma déception de devoir encore attendre pour revoir Lana.
Clyselle oblige Valérie à se rassoir en lui assurant que je vais leur parler de leurs familles.
— Bob et Rick m’attendent à l’extérieur. Je n’ai pas beaucoup de temps car ils repartiront s’ils ne me voient pas revenir. Les enfants vont tous bien aussi. Jonathan m’a expliqué ce qu’il s’est passé ce matin. Tu vas avoir l’aide des tiens, Valérie. Comment ça se passe ici ? Vous êtes bien traitées ?
— Oui, les neveux de Monsieur Salomic nous ont sauvés en nous ramenant ici, affirme Clyselle en essuyant ses yeux avec ses doigts.
— On dit que cette maison abrite des démons. C’est pour ça que personne ne la connait et qu’on a mis tellement de temps à vous trouver, j'explique avec inquiétude.
— Des démons ? Clem, tu ne vas pas croire à ces vieilles histoires ! Tes démons nous attendent dehors, ce sont ces créatures immondes ! s'énerve-t-elle en désignant l'extérieur.
— Ok. Je vais chercher Bob et Rick.
— Je t’accompagne, annonce-t-elle encore.
— Non, Clyselle. Veilles sur Valérie, elle a besoin de toi. Je n’en ai pas pour longtemps. Je vais demander à Jonathan de venir avec moi.
Je ne préviens pas Richard de la mort atroce de sa fille. Ce n’est pas à moi de le lui annoncer. Et j’avoue ne pas savoir quels mots utiliser.
Quand nous regagnons la maison, les femmes nous attendent dans le salon. À notre vue, leurs larmes redoublent d’intensité alors qu'elles se jettent dans les bras de leurs maris. Val reprend son discours incompréhensible entre deux sanglots. Elle peine à trouver son souffle. Richard palit, il a compris. Il s'écroule, cache son visage beigné de larme alors qu'une longue plainte s'échappe de sa bouche et provoque de nouveaux spasmes chez sa femme.
— Comment nous avez-vous trouvés, demande Jonathan.
— Ça a été très compliqué, même avec l’adresse. Il y a une femme avec nous qui prétend être sorcière. Elle a fait un sort de localisation, je précise, le regard défiant.
— Une sorcière ? s'intéresse-t-il vivement. Elle est où, en ce moment ? poursuit-il, méfiant.
— Chez Richard, avec les enfants. Elle les protège en notre absence.
— Là où sont partis mon frère et Lana, réflechit le démon.
Ses questions et réactions me laissent croire que Sandrine a vu juste et que nous venons de rencontrer notre premier démon.
Il paraît contrarié, mais je ne m’y attarde pas. Je n’attends qu’une chose, repartir et retrouver ma femme. Mes deux amis raconteront comment on a réussi à survivre. Ils n’ont pas besoin de moi pour ça.
Pourtant, l’idée de faire le trajet seul m’effraie et Jonathan refuse de me suivre car, d’après lui, il sera plus utile ici. Alors, j’attends. J’écoute sans les entendre les récits des femmes, puis des hommes. Je sais que Valérie va vouloir rentrer chez elle, et que Clyselle ne demandera pas mieux elle non plus. Je dois faire preuve de patience, ça ne sera plus long.
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