15a. Retrouvailles et pertes : Lana

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Finalement, j’ai repris la route avec Matt, en moto. Avant de partir, nous avons eu une brève conversation dans le champ où il m’entrainait. Il n’a pas pris la peine d’expliquer ou d’excuser son comportement, mais peu importe, j'aurai du réfléchir avant de me jeter sur lui. Je suis trop en colère pour boire ses paroles et risquer de perdre ma détermination. Soit disant qu’il veut m’accompagner pour ma sécurité. Soit. Allons-y. Nous retournons chez Val, puis chez moi si besoin.

Nous pénétrons au ralenti dans la rue de mon amie. Des dizaines de malaformes se pressent contre la clôture et le portail de sa propriété. Indécis, nous quittons notre véhicule pour les observer. Impossible de tous les tuer, il faut trouver une autre option. Les créatures nous ont entendus et quelques-uns se déplacent dans notre direction. Je tapote l’épaule de Matt.

— On doit les écarter pour libérer l’entrée. Ensuite, on file vers la plage et on prend les marches. Elles conduisent devant la maison.

— Je n’aime pas la plage.

— Matt !!!

— Je ne peux pas. Les gens de mon espèce se sentent obligés de compter les grains qu’ils rencontrent, grains de riz, cailloux… Tu te souviens la première fois chez Val ? Je ne pouvais pas quitter le gravier des yeux. Et puis, je sens que je ne dois pas aller là-haut.

— Je n’avais pas remarqué que tu étais resté dehors. Bref, c’est une plage de sable, pas de galets. De toute façon, il y a une autre rue un peu plus bas. On y trouvera notre passage. Ils se rapprochent, allons-y.

Il n’est pas convaincu mais remonte sur la moto et me désigne mon siège.

Hormis les quatre malaformes curieux, les se contentent de nous regarder sans pour autant venir à notre rencontre. Leur présence à cet endroit précis m’avait déjà surprise, mais leur attitude me laisse perplexe. Ce ne sont pas les maisons voisines qui les attirent, mais uniquement celle-ci. Qu’est-ce qui a bien pu les rassembler ainsi, mis à part une odeur humaine ou du bruit ? Il y a donc quelqu’un à l’intérieur. L’espoir qui me submerge fait cogner mon cœur si fort que je respire avec difficultés.

Matt lance des coups de klaxon. Ils résonnent dans le triste silence qui règne depuis le début du fléau. Les dernières créatures réagissent et se rapprochent. Nous attendons qu'ils soient suffisamment près pour nous déplacer de quelques mètres. Le pilote répète la manœuvre à plusieurs reprises, jusqu’à ce que plus aucun monstre ne déambule dans la rue. Reste à espérer qu’ils ne rebroussent pas chemin quand ils ne nous verront plus. La moto nous conduit rapidement au pied des marches où nous l’abandonnons à regret.

La pente abrupte m'essouffle vite, même si je dispose désormais d'une bonne condition physique. Le manque de sommeil et la malnutrition m’affaiblissent. Matt me permet de grimper sur son dos. Il pourrait accélérer le pas mais pour une raison obscure, il prend tout son temps.

Nous finissons tout de même par déboucher dans la rue. Notre stratagème a fonctionné puisqu'elle est vide ! Je me laisse glisser le long du dos de Matt et me précipite devant le portail. Par chance, il n’est pas fermé à clés et à peine franchi, nous marquons une pause, l’oreille tendue. Seul le bruit des feuilles qui bougent au gré du vent nous parvient. J'entame l'ascension de la pente qui mène à l'habitation et au carbet pour les voitures alors que Matt préfère emprunter le jardin et éviter les graviers.

Je sursaute quand un « plouf » retentissant déchire le silence. La piscine ! Je cours jusqu’au bassin, la peur au ventre, mon sabre fermement coincé dans la main. Mon sang ne fait qu’un tour quand je repère Matt qui flotte au beau milieu ! Il reste inerte malgré mes cris. Sans réfléchir, je saute dans l'eau, l’attrape et le ramener sur le bord avec lenteur.

La voix de Tom :

— Maman ! Maman ! C’est bien toi ?

Mon cœur est déjà hors de la piscine tant je suis soulagée !

— Mes chéris ! Mes bébés ! Vous êtes tous là ! C’est incroyable, inespéré !

Je peine à parler tellement mes sanglots de joie m'étouffent. Agrippée au rebord, un bras sous la tête de Matt, je les admire. Ils ont l’air en bonne santé ! Des larmes coulent sur leurs joues. Je dois vite les rejoindre et les prendre dans mes bras, les couvrir de baiser. Matt, il faut le sortir de là.

— Mes amours, venez m’aider ! Vite !

Mes deux grands me rejoignent dans l’eau et m’aident à maintenir le corps à la surface. Les enfants de Val ont accouru, attirés par notre allégresse, nous attendent sur les margelles pour nous aider à le hisser.

— Eloignez-vous tous ! Laissez-le se noyer, c’est un démon ! Je l’ai poussé dans la piscine car c’est le seul moyen de l’affaiblir, accuse une femme dont le bras protège vers l'arrière le fils de Clyselle.

— Non ! Il est avec moi ! Il ne fera de mal à personne, croyez-moi !

C’est qui celle-là ?

Matt est maintenant étendu sur le carrelage. Il respire encore, mais son pouls est très faible. Il nous surprend quand il ouvre les yeux, lourds de souffrance. Soudain, il se relève d’un bond, saute et atterrit de l’autre côté du bassin. Ses prunelles ont pris la couleur de la braise et ses canines dépassent de ses lèvres, tel un fauve, prêt à se ruer sur ses adversaires.

La femme se campe devant nous, face à lui, ses index tremblants pointés vers lui. Matt transpire à grosses gouttes, il vomit tandis que sa peau rougit, avec des nuances flamboyantes. Phénomène d’autant plus impressionnant que son teint est d’habitude si pâle ! Il me donne l’impression d’être sur le point d’exploser. Ses longs doigts toujours pointés vers lui, elle murmure :

<< Asmodée,

Toi qui régis la colère,

Donne-moi la force de diriger la mienne,

Vers la personne que je pointe d'ores et déjà des doigts.

Ainsi soit-il. >>

— Arrêtez ! Arrêtez, vous allez le tuer ! je crie, affolée. Vous ne comprenez pas que si je suis ici, c’est grâce à lui ?

Rien à faire, elle ne m’écoute pas. Matt vacille, tombe, son crâne manque se fracasser sur le rebord de la piscine ! Mon cœur et mon cerveau s’affolent. J'ignore comment arrêter cette folle furieuse !

Je me jette sur elle et l’entraine avec moi dans l’eau verte. Revenue à la surface, mon premier regard est pour Matt, agonisant, accroupi dans l’herbe. Son état est tel qu’il recule d’un bond à mon approche ! Ses réflexes sont intacts, c’est déjà ça.

— Matt ! C’est moi, Lana ! Tu n’as pas peur de moi, tu sais que je suis de ton côté, je le rassure, mes paunes sur ses épaules en essayant de capter son regard. Tu m’as rendue plus forte, à mon tour de t’aider. Matt ! Ressaisis-toi !

Je me lève et lui tends la main.

— Viens, je vais te présenter mes enfants. Ils vont comprendre que tu es quelqu’un de bien.

— La sorcière ne le permettra pas, atricule-t-il d'une vois hachurée.

Il tousse et crache du sang !

— Tu as raison, démon ! J’ai promis de veiller sur ces jeunes gens. Je n’ai qu’une parole, et c’est celle d’une sorcière !

— N’ayez pas peur, les enfants, vous ne craignez rien, j'interviens en souriant pour les rassurer. Voici Matt. C’est en effet quelqu’un de différent de nous, mais puisque vous accepté l’existence de sorcières et de malaformes, vous avez l’esprit suffisamment ouvert pour faire la connaissance d’un vampire.

Le blessé tente de se redresser mais il est encore trop faible et son timbre reste sourd :

— Je ne suis pas un vampire !

— Tu es un Vétalâs ! crache la harpie, venimeuse.

— La ferme ! je braille, exaspérée. Je prends l’entière responsabilité de ce qu’il peut arriver aux enfants à partir de maintenant. Tu as honoré ta promesse, tu peux disposer. Les grands, aidez-moi à transporter Matt sur le canapé.

Alors que nous atteignons la terrasse et que le sofa n’est plus qu’à quelques pas, nous nous heurtons à un nouveau problème : Matt refuse de pénétrer dans le salon. Ne comprend-il pas que son attitude va jouer contre lui, que son caprice va être mal perçu par la sorcière ? J’essaie pourtant de le rassurer et lui parle avec douceur.

— Le propriétaire des lieux doit m’inviter à entrer, explique-t-il en crachant encore du sang.

L’ainé de Val autorise Matt à passer le seuil de sa maison, malgré son regard chargé d'inquiétude.

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