15c. Retrouvailles et pertes : Lana
— Non, grince-t-il en secouant la tête.
— Pourquoi ?
— Pas besoin. Elle seule bénéficie de toute ma confiance.
— Pourquoi ? insiste la sorcière en tournant autour de sa proie. Comment l’a-t ‘elle obtenue ?
— Je n’en sais rien ! répond le vampire, exaspéré. J’ai confiance en elle et elle a confiance en moi, c’est tout !
— La vérité ! Comment a-t ‘elle obtenu ta confiance ?
Elle s'obstine, impitoyable, devant nous, spectateurs abasourdis. Les jambes de Matt tremblent, il se prend la tête entre les mains, s'agenouille et halète, frustré. Il trépigne d’impatience et de rage.
— Elle est sincère, honnête. Elle est forte, compréhensive, elle a l’esprit ouvert. Et surtout, elle est la personne la plus humaine que j’ai jamais rencontrée. Elle m’a accepté avec mes nombreux défauts de vampire, sans que j’aie besoin de l’y contraindre ! Ça te va comme explication ou je dois aller plus loin ???
Il s’est redressé pour lui cracher ses révélations avec un regard d'avertissement.
— Non, hum, ça ira, hésite la harpie en faisant la moue. Te nourris-tu de sang ?
— Parfois, lorsque je sens que mes pouvoirs diminuent. D’ailleurs, j’ai bien envie de te mordre en ce moment !
— N’y pense même pas. Vides-tu les humains dont tu t’abreuves jusqu’à ce qu’ils meurent ?
— Non ! Quelques gouttes me suffisent. Je mange comme toi, Lana et les enfants !
— Pourquoi aides-tu les humains ?
— Je suis humain ! J’ai tué mon père vampire qui avait tué ma mère humaine ! Tu es une sorcière, tu sais parfaitement ce qu’est un enfant de vampire, alors réfléchit un peu et tu auras ta réponse !
— Je répète, pourquoi aides-tu les humains ?
Les questions fusent tandis que les réponses jaillisent, le ton monte, la tension avec lui. Je sais ce qu'elle cherche, quelle réponse elle attend. J'interviens avec l'espoir d'arrêter le supplice :
— Ça suffit ! Tu es en train de jouer avec lui ! C’est ridicule !
Sandrine, en transe, reste concentrée sur Matt :
— Répond !
— Je vis parmi eux. Tu as tes dons, j’ai mes pouvoirs. Cela ne nous empêche pas d’être humains nous aussi !
— Je ne mords pas les gens, rappelle-t-elle. Que fais-tu de ta vie ?
— Tu ne mords personne, mais tu as essayé de me tuer ! En ce qui concerne ma vie, il y a peu de temps encore, je n’en faisais pas grand-chose, je profitais, je m’amusais ! Stop ! Arrête !
Matt secoue la tête comme pour chasser cet interrogatoire génant. Ses doigts s'insinuent entre ses cheveux et il se met à gratter la peau de son crane avec nervosité. Elle l'ignore et poursuit :
— Donc tu ne t’amuses plus ?
— Oui ! Non ! Former et aider Lana est ce que j’ai fait de mieux de toute ma vie ! gronde-t-il, machoire serrée. Oui, j’y ai pris plaisir, mais j’ai eu peur pour elle aussi ! Elle a provoqué des sentiments que je ne connaissais pas, elle m’a raconté sa vie, bien plus intéressante que la mienne ! Elle m’a permis d’imaginer un avenir ! Jamais personne ne m’a apporté autant ! Arrête ça, s’il te plait. Toute la vérité n’est pas bonne à dire, tu l’as récité toi-même ! Pourtant je vais te dire une autre vérité : j’ai répondu à tes questions, maintenant c’est terminé. J’en ai assez.
— Il a raison, je soutiens. Tu devrais le laisser tranquille car tu vas trop loin.
— J’ai entendu ce qu’il a réussi à garder pour lui. rétorque-t-elle, dédaigneuse. Je ne suis pas idiote. Je sais où ne pas mettre les pieds.
Son regard lourd de sous-entendus me glace les veines. J’ose espérer que ses facultés lui ont permis de comprendre, mais que les enfants ne trouveront pas de sens caché à cette discussion.
Elle lève la bougie à hauteur de sa bouche et souffle la flamme en direction du ciel. Elle fait de nouveau le tour de son cercle, mais dans le sens inverse.
<< Je remercie l’univers pour ce cercle,
Je remercie l’Est, le sud, l’Ouest et le Nord.
Je remercie les divinités et les esprits
Et je renvoie cette énergie d’où elle provient.
Tout est maintenant comme auparavant. >>
Elle enferme l’amande dans une boite vide qu’elle va enterrer au pied d’un multipliant.
Matt reste silencieux, comme nous tous. Une lourde gêne s’est installée. Il observe la sorcière, tandis que les enfants et moi le regardons. Enfin, il tourne la tête vers moi :
— J’ai un truc à faire. À plus tard, dit-il alors qu'il commence déjà à s'éloigner.
— Je t’accompagne.
— Non ! me répond-il d'une voix sourde. J’ai juste besoin de prendre l’air.
Son ton est ferme, il semble m’en vouloir, mais j’ignore pourquoi. Je ne suis pas sereine. Je le rappelle.
— Fous-moi la paix, Lana ! Ma mission est terminée. Tu as retrouvé tes enfants et ton mari va arriver. Profite de ta famille et oublie-moi.
Son regard est dur, à la hauteur de ses paroles qui me déchirent le cœur. Je n’avais jamais songé que l’issue de nos recherches déclencherait notre séparation. Carole avait raison, il va en souffrir. Comme je l’ai dit à Sandrine, je ne veux pas le perdre. Il ne peut pas partir ainsi. Il est tellement imprévisible qu’il pourrait commettre l’irréparable. Je m’excuse auprès des enfants et me précipite à sa suite. Il s’arrête dans l’herbe, devant la remise.
— Ne fais pas ça, Matt ! Ne t'en vas pas sans que nous n’ayons éclairci quelques points.
— Je n’ai plus rien à faire ici, s'obstine-t-il sans m'adresser un regard, le visage tendu.
— Alors explique-moi pourquoi tu as accepté que Sandrine exerce ce sort de vérité sur toi ?
— Un nouvel interrogatoire ? Pfft, toi et ton éternel besoin d’explications ! Vas donc voir ailleurs si j’y suis.
Nous nous observons un long moment, en silence. Je voudrais lui avouer mes sentiments mais cela m’est impossible. Les exprimer à voix haute lui redonnerait un espoir vain qu'il ne mérite pas. Je refuse de le faire souffrir et je dois lui rendre sa liberté.
Le moment que je redoutais est arrivé.
— Adieu, Lana.
J’explose alors qu’il prend son élan et file plus vite que l’éclair. Je tombe à genoux alors qu'un hurlement déchirant me lacère les cordes vocales, de la même manière que la douleur me terrasse, me poignarde en plein cœur.
Les enfants, Sandrine et sa fille m’ont rejointe. Ils me regardent, impuissants, tandis que mon ainé m’examine, à la recherche de blessures. Mes cris ne s'arrêtent plus, mes deux mains retiennent mon cœur qui tambourrine et menace de se décrocher. Mon fils m’allonge délicatement sur le dos et tente de dégager ma poitrine quand me parvient la voix de la sorcière :
— Tu as bien fait de le laisser partir, Lana. Pour son bien, pour le tien, et pour le nôtre aussi. Il n’y a aucun avenir pour vous, vous en êtes conscients l’un comme l’autre. Tom, ta mère souffre de l’intérieur. Seul l’amour des siens pourra la soulager.
— Maman, de quoi parle t- elle ?
Mes braillements ont enfin cessé. Je sanglote encore un peu, renifle, autant que me le permettent le peu de forces dont je dispose encore.
Consciente du spectacle que je viens d’offrir aux enfants, je les laisse me mener jusqu’au canapé, celui-là même où était assis mon amant quelques instants plus tôt. Je dois penser à ma famille maintenant. Pour ceux qui m’aiment, je dois être capable de l’oublier.
Sandrine et sa fille ont posé de quoi grignoter sur la table. Elles m’invitent à reprendre quelques forces, mais je voudrais juste dormir et ne plus me réveiller. Non, je ne peux pas dire ça, car je veux profiter de mes enfants. Et retrouver Clément. Finalement, comme Val, je veux reprendre ma vie, et je veux oublier. Ça fait trop mal ! Je suis vide, et j’en ai honte.
— Les malaformes sont revenus devant le portail, nous informe Joël, le jumeau de Shana.
— Je les entends. Ils sont plus nombreux qu’avant, remarque Tom. Tu pourrais utiliser sur eux le sort que tu as lancé à Matt pour le tuer, suggère-t-il à l'attention de la sorcière.
— Ce sort ne permet de tuer qu’une seule créature à la fois. Vu la quantité qui s’est agglutinée, je mourrai moi-même avant d’en être venue à bout. Quitte à y rester, autant que ça soit pour ramener l’équilibre sur toute la terre. J’ai besoin de réfléchir. Cette nuit, je monterai la garde, je dormirai demain.
— Maman, quand crois-tu que papa et les autres vont arriver ? s'impatiente mon benjamin.
— Demain, je pense. Je l’espère en tout cas.
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