26c/ Pardon : Matt
En notre absence, la fille de la sorcière a rassemblé divers objets sur le guéridon, dont une photo de sa mère, et une de moi. Sandrine se rapproche et me colle. Je ne suis pas prêt pour ça ! Je ne savais pas que ça se passerait comme ça. Sa main se faufile derrière mon cou, tandis que je suis cloué sur place.
— Aïe !!!
Elle me tire les cheveux ! Elle pose ensuite mes doigts sur son front et me demande de l'imiter. Elle m’explique que nous allons en avoir besoin.
— Vas te changer, maintenant. Nous devons être entièrement vêtus de blanc.
— On va se marier ? je ricane, mal à l’aise.
— Non, Matt. Du blanc ! Dépêche-toi, nous devons le faire avant minuit !
— Je ne possède aucun vêtement blanc, j’ai horreur du blanc !
— Tu dois bien avoir au moins une chemise qui traine quelque part ! Demande ce qu’il te manque à ton frère, ou à Clem ou Bob. Matt, tu dois y mettre du tiens si tu veux que ça fonctionne, si tu veux arrêter de souffrir.
Elle n’a pas tort. Je me rends en tout discrétion à la cave pour fouiller les vieilles mâles. À une certaine époque, les hommes aimaient porter du blanc. L’un de mes ancêtres avait sans doute un pantalon qui fera l’affaire. Je dégote en effet une espèce de chemise à froufrou et un pantalon en toile blanc. Pas de chaussures par contre. Pas grave, la couleur de mes pieds suffira.
Quand je retrouve Sandrine et sa fille, ma promise porte une sorte de robe toute simple. On dirait un drap auquel elle aurait fait des trous pour passer sa tête et ses bras. Peu importe. Je me sens ridicule dans ce déguisement, et la situation est des plus grotesques. Qu’on en finisse…
Nous nous purifions ensuite les mains en les trempant dans un mélange d’eau et d’huile de je ne sais quelle plante.
Sandrine trace son cercle magique autour de nous et dispose des bougies roses et une blanche. Tiens, pourquoi une seule blanche ?
Elle dépose nos cheveux avec des pétales et des cailloux transparents dans un bol avant d'allumer toutes les bougies, et de faire brûler de l’encens. Elle me fait signe d’approcher et me demande d'admirer sa photo.
— Concentre-toi dessus. Je fais pareil avec la tienne.
Je ne l’ai même pas vue faire couler la cire sur les images. Elle met le bol dans ma main droite et le filtre dans l’autre, puis elle recouvre mes doigts par les siens.
—Répète après moi, m’ordonne-t-elle :
<< Je t’invoque, Vénus, déesse de l’amour,
Fasses que Matt vienne à moi,
Amoureux comme de Lana,
Sincèrement et fidèlement dans ses actes et ses pensées,
Et que personne ne puisse nous désunir,
Très prochainement et pour toujours. >>
Six fois, elle nous fait réciter cette incantation. Se souvient-elle que je ne suis pas un sorcier ?
Elle a pris soin de verser le filtre dans des verres en cristal. Elle m’en présente un, prend l’autre et m’invite, les yeux dans les yeux à boire tout le contenu.
— Nous avons terminé le sortilège d’amour. Si tu as quelque chose à dire à Lana, je te conseille de le faire maintenant, car la machine est en route.
C’est seulement à cet instant précis que je mesure toutes les conséquences de mon partenariat avec Sandrine. Qu’est-ce qui m’a pris de m’allier avec elle ? Pourquoi ai-je accepté une solution aussi radicale ? Au fond de moi, je le sais parfaitement. Cela se résume en un seul mot : Lana. Si j’en arrive là, c’est pour qu’elle puisse retrouver sa vie, pour qu’elle soit heureuse.
Je retourne à la cave pour troquer ces vêtements d'une autre époque contre les miens, plus d'actualité et surtout plus confortables. Puis je regagne le salon avec l'espoir de leur faire comprendre que je ne suis pas le monstre qu'ils croient.
La chance m’a encore une fois abandonné. La maison est silencieuse, plongée dans le noir. Ils sont tous partis se coucher. Même les malaformes dehors ont cessé de s’agiter. Merde !!! Demain, il sera trop tard. La douleur me surprend par la vitesse avec laquelle est reprend le contrôle de mon corps. Elle est tellement puissance pousse vers le sol où je tombe à genoux en me tenant l’abdomen. Elle s’est déployée pour ronger tous mes organes en même temps. Sauf mon cœur, remonté jusqu’à ma gorge. À force de souffler, j’expulse le long hurlement qui compressait ma poitrine. Jonathan m’appelle. J’ouvre les yeux et le regarde, pui j’articule avec difficulté :
— La sorcière, elle m’a empoisonné.
— Non, Matt. À quoi cela nous aurait-il servi ? Tu te mets tout seul dans cet état. Reprends-toi, si tu veux que ça marche.
Je ne l’avais pas vue.
La douleur s’atténue, je m’affale sur le sol.
— Sandrine, tu m’as dit de parler maintenant. J’ai juste besoin de leur pardon, à tous.
Elle se penche sur moi, et me montre son cou, juste sous l'oreille. Ça me tente, mais pas plus que ça. Devant mon hésitation, elle se pique le doigt avec sa dague et étale le sang sur sa gorge.
— Nourris-toi, tu vas en avoir besoin.
Cette fois, l’odeur emplit tous mes sens et je me précipite vers elle pour la prendre dans mes bras avant que mes crocs ne transpercent sa peau. Grisé par la saveur du liquide chaud dans ma bouche, je pense à la vider, pour mettre fin à notre accord.
— Matt ! Non !
L'électrochoc m'arrête net, je me retourne. Lana ! Depuis quand est-elle là ? Après l’avoir dévisagée quelques secondes, je me presse vers elle. Munie d'un torchon oublié sur la table, elle essuie mon visage, avec douceur, autour des lèvres. Ses gestes tendres sur ma peau m'obligent à la quitter des yeux pour éviter de la serrer contre moi et de l’embrasser. Je lui prends le tissu des mains et me nettoie tout seul. C’est plus prudent.
Enfin calmé, j'entrelace nos doigts, inspire profondément, paupières baissées, les redresse et me lance :
— Lana, le fléau sera bientôt anéantit. Je vais partir et je veux que tu oublies, que tu reconstruire ta vie. Mais avant ça, j'ai besoin de ton pardon, juste besoin que tu me pardonnes, Lana, pour toutes mes erreurs qui t’ont fait souffrir. S’il te plaît…
Elle pleure ! Je ne voulais pas lui faire encore du mal. J'étais censé la libérer. Je l’entoure de mes bras. Ses larmes mouillent mon tee-shirt. Elle sanglote. Je desserre notre étreinte et relève doucement son visage pour qu’elle me regarde.
— Petit ange, c’est la dernière fois que je suis la cause de ton chagrin. Aies confiance en l’avenir, vis. Promets-moi de ne pas tout gâcher…
— Que vas-tu faire, Mat, demande-t-elle entre deux hoquets. Que préparez-vous, Sandrine et toi ?
Je l’embrasse avec tendresse, pendant que mes larmes se mêlent aux siennes et qu’elles se déposent ensembles sur nos lèvres. Putain, que c’est bon ! Autant que son sang. À ce souvenir, je m’écarte à contrecœur car si je me laisse tenter, cette fois, personne ne pourra m’arrêter. De cette manière propre à mon espèce, je m’enfuie.
Quand Sandrine vient me retrouver dans ma chambre, je suis réfléchit, paisible, allongé sur mon lit. J'accepte mon destin et je suis prêt à me battre pour venir à bout de la malédiction.
Je détaille Sandrine des pieds à la tête, surpris.
Elle ne porte pas de chaussures, juste une nuisette blanche qui contraste agréablement avec sa peau couleur chocolat. Pourquoi cache-t-elle son corps parfait avec des vêtements trop amples ?Ses cheveux d’ébène, détachés, brillent dans l’obscurité.
— J’ai réalisé le sort de localisation. J’ai vu où se cache le premier des malaformes. Nous devons nous accoupler pour qu’à ton tour tu saches où te rendre. Tu t’en souviens ? Fais-moi confiance, nous allons y arriver.
Elle commence par me masser tout le corps avec l’une de ses huiles. C’est relaxant, j’aime bien. Mes muscles se détendent un par un. Puis elle provoque mon désir quand elle prend mon sexe dans sa bouche. Je pense reprendre le contrôle mais elle me fait comprendre que je dois la laisser faire. C’est facile avec elle. Alors qu’avec Lana, je voulais que ça soit moi qui lui fasse l’amour. Pas maintenant, Lana, dégage !!! Je me reconcentre sur les sensations que me procure la sorcière. Elle m’embrasse, me caresse du bout des doigts, en titille son jouet oral. Enfin, elle s’allonge près de moi et m’attire au-dessus d’elle. Je la prends, sauvagement, brutalement, plus encore qu’à mon habitude, jusqu’au moment où elle me permet de planter mes dents dans son cou. Je me vide en elle alors que je m'enivre, mais la vision d'un malaforme autour d’un château français coupe mon plaisir. Néanmoins, cet accouplement a vu le jour pour ça, alors je fais l'effort de me souvenir. Avant de se retrouver en guenilles, la créature portait un short et un maillot de club de foot, je distingue encore le sigle de l’Olympique de Marseille.
C’est la première fois qu’une femme ne prend pas son pied avec moi.
— Je suis désolé, Sandrine, On réessaie, si tu veux.
— Désolé ? Pourquoi ? Ah, je vois. Je suis quelqu’un de discret, Matt. Rassure-toi, c’était… extraordinaire. En plus, j’ai réussi à te transmettre ma vision. Maintenant, nous devons trouver une pharmacie et un test de grossesse. Je dois m'assurer que Tout ce déroule comme prévu.
— Sache que je suis flattée d’être devenue ta partenaire, poursuit-elle.
— Ouais, bon, merci, mais les compliments, c’est pas mon truc. Explique-moi comment tu as trouvé l’endroit où se cache notre futur défunt malaforme.
Elle a réussi à communiquer avec les esprits des sorciers afin qu'ils lui indiquent de manière précise l’endroit où tout a commencé.
Sa respiration devenue régulière avec le sommeil, je me lève.
J’ai apprécié cette intimité avec Sandrine mais Lana occupe toujours toutes mes pensées. Ce que je me prépare à faire, aussi. Pourtant, je n’ai plus mal, j’accepte sa perte, car je sais qu’elle ne gardera de moi que les bons souvenirs, ceux de nos étreintes.
Je m’installe sur un tabouret de bar avec ma bouteille de scotch entamée que j'ai bien l'intention de terminer. Le Mont Blanc de ma mère entre les doigts, je commence à noircir la première page de mon bloc de correspondance.
« Ma chère sœur, mon cher frère,
… »
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