1e. Premières recherches : Lana
Nous repartons bredouilles en direction de mon quartier. J’allume la radio, peut-être y entendrons-nous un point sur la situation. Aucune station ou fréquence ne fonctionne. Rien. Juste des grésillements.
— On pourra peut-être nous dire ce qu’il se passe à la mairie, je suggère sans y croire moi-même.
— Lana, Lana, Lana ! répond Matt après un long soupir tandis que ses paumes tapotent le volant avec rage. Réfléchis un peu ! Où crois-tu que sont les gens ? Tous chez eux ! Ou morts !
Il a tort.
— Et les journalistes ? j'insiste avec l'énergie du désespoir.
— Tu fais exprès de ne pas comprendre ? Plus personne ne travaille ! grince-t-il, exaspéré.
— Mais peut-être les journalistes…
À ma grande stupeur, la voiture ralentit, puis s'arrête devant un carbet, le long de la route. Matt tire le frein à main, mais ne coupe pas le moteur. Il se tourne vers moi, cherche mon regard, et s'exprime d'une voix à la fois calme, posée et sourde :
— Écoute-moi bien parce que je ne te le demanderai qu'une fois. On cherche qui ? Vos familles ou les journalistes, les maires et tous les autres ?
— Nos familles, je murmure. Pourtant, des professionnels nous aideraient.
— Tu sais où ils se trouvent tes professionnels ? reprend-il, énervé, le visage si proche du mien que je sens son souffle sur ma peau. Ils sont à l'abri ou parmi ceux qu'on a vu dans les champs. Tu saisis ?
J'y ai pensé en effet, mais nous ne sommes sûrs de rien, cette catastrophe est sans précédent. Des survivants pourraient se cacher sur leur lieu de travail et nous donner des pistes pour entamer notre quête, nous donner des conseils pour nous protéger ou nous apprendre dans quelles circonstances nos semblables sont devenus ces créatures. Savoir jusqu’où s’étend ce fléau nous éviterait de nourrir de faux espoirs. Connaitre une date, même approximative, d’intervention de l’armée nous redonnerait courage.
Mais Monsieur-je-sais-tout a décidé que ça n'est pas nécessaire.
Val m'implore déjà tout bas d'abandonner. Je secoue la tête et capitule encore une fois.
La plupart des foyers que nous apercevons sont fermés à grand renfort de planches clouées. À l'inverse, d'autres ont dû être évacués dans la précipitation vu les portails ouverts ou les portes et fenêtres béantes. L’un de mes voisins divague non loin de chez moi :
— Arrête la voiture ! Laisse-le monter, je le connais !
Matt semble sourd à ma requête.
— Mais arrête, je te dis !
J’agrippe son bras pour le forcer à m'entendre jusqu’à ce qu’il freine si brusquement que ma tête rencontre le pare-brise. J'avais oublié de boucler ma ceinture. Le pilote me saisit par les épaules, et se met à crier alors qu’il me secoue :
— Ça suffit ! Regarde-le ton voisin ! Ne me dis pas que tu l’as toujours connu dans cet état ! Atterris ! Ton monde est en train de basculer !
— Il titube parce qu’il est ivre ! j'articule tant bien que mal. Il l’est du matin au soir ! Déverrouille les portières, Matt.
J'actionne encore la poignée quand je le vois malmener mon pauvre voisin. Il l’a poussé de manière violente et fait tomber dans l’herbe. Il avance maintenant à grands pas vers le malheureux qui peine à se relever et lui assène un terrible coup du bout de sa botte. Mes amies hurlent derrière moi. L'obstacle cède enfin et je me rue hors de la voiture.
— Laisse-le ! Matt ! Pourquoi t’acharnes-tu... ?
Il maintient mon voisin au sol, face contre terre, une main derrière sa nuque, un pied dans son dos.
— Approche ! m'invite-t-il, hors de lui. Un mec bourré a cet air-là ?
Le pauvre bougre grogne, cherche à éviter les touffes de verdure qui lui chatouillent le nez, bat des bras et des jambes en une brasse désordonnée. Avec une rapidité stupéfiante, Matt le redresse et l’oblige à me faire face. Je sursaute et recule précipitamment, horrifiée. Sa tête virevolte de droite à gauche, puis s’arrête soudain tandis que ses yeux globuleux cherchent à sortir de leurs orbites pour se jeter sur moi. Ses lèvres retroussées laissent apparaitre des dents jaunes et cassées, d’entre lesquelles pendent encore des morceaux de chair sanglants. Des borborygmes s’échappent de sa gorge arrachée, d'où jaillissent des gerbes de sang. Ses bras tendus tentent de m’agripper ou de me griffer avec ses doigts crasseux aux ongles noirs, alors que ses pieds agités ne frôlent pas le sol. Matt le soutient bien trop haut pour ça, même s'il scrute les alentours, à l’affut, les doigts enfoncés dans la nuque du zombie.
— Remonte en voiture et fais taire tes copines. Elles en attirent d’autres.
J’obtempère pendant qu’il se débarrasse de la créature en l’envoyant valser à quelques mètres.
— Prochaine à droite, je murmure, consternée par l’atrocité de ce que nous venons de vivre.
Ma rue semble calme, tout comme celle de Val. J’ouvre moi aussi le portail, laisse la voiture entrer et me hâte de refermer.
Pendant que mes compagnons parcourent le jardin, je me précipite sur la terrasse et appel mon mari, mes enfants. Au moment d’ouvrir la porte d’entrée, je peste contre moi-même. Je n’ai toujours pas récupéré mon sac à main et mes clés se trouvent dedans ! Je m’énerve encore une fois sur la poignée mais bien sûr, elle ne cède pas.
— Ça n’a pas l’air bien solide, constate Matt debout au pied des marches, on doit pouvoir forcer la porte. Restez ici.
Il retourne à sa voiture et revient, un pied de biche à la main. Il me le tend, mais aucune de nous ne sait utiliser cet outil, encore moins à cette fin. Nous griffons le bois et la porte reste close. L’autre nous regarde et secoue la tête, sourire aux lèvres, amusé.
— Ça te dérangerait de nous aider ? je m'énerve en lui présentant l'objet.
— Peut-être, si tu me le demandes gentiment, ricane-t-il.
Son regard perçant et sa moue énigmatique m’exaspèrent mais l'urgence m'oblige à me plier à ses exigences :
— Matt, s’il te plaît, aurais-tu l’obligeance de nous rejoindre sur la terrasse pour nous ouvrir cette FICHUE PORTE ?
Deux ou trois minutes plus tard, nous explorerons ma maison. Sauf Matt, qui surveille les alentours. J'appuie sur chaque interrupteur sans conviction. J'ai ressenti le silence oppressant qui règne à l'intérieur dès mon entrée par la cuisine, et j'ai remarqué la petite lumière verte du réfrigérateur, éteinte. Idem pour la box dans le salon, et les radios-réveil dans les chambres. Il n'y a pas plus d'électricité ici que chez Matt ou Val. Je me doutais que mon petit havre de paix serait aussi vide que celui de mon amie. Je comprends ce qu’ont dû ressentir Val et Shana à l’issue de notre vaine visite chez elles.
— Laisse un mot toi aussi, Lana, m'encourage mon amie, consciente de ma déception.
Ma frustration est de courte durée. À ce moment, des grognements se font entendre tout près. Nous regagnons la terrasse et observons avec effroi les créatures essayer d'escalader le fin grillage qui plie dangereusement.
— On ne va pas pouvoir repartir, ils vont nous sauter dessus comme ils l'ont fait devant chez Matt ! s'affole la plus jeune d'entre nous.
L'homme du groupe prend les choses en main :
— Retournez à l’intérieur toutes les quatre, je m’en occupe. On doit faire vite, ça ne tiendra pas longtemps.
La peur au ventre, j’obtempère et en profite pour réunir dans un sac quelques vêtements propres et de petits objets bien spécifiques que je pourrais laisser derrière moi comme le Petit Poucet.
Des coups de feu ! Je cours rejoindre mes amies, cachées derrière le canapé. Nous demeurons prostrées et retenons notre souffle. Sauf Shana dont la respiration saccadée risque de nous trahir si les monstres atteignent la maison. Matt nous appelle :
— Sortez ! Vite à la voiture !
Il pousse violemment le portail sur ses rails, explose le plot de béton. Nous nous précipitons vers la Porsche tandis qu’il me lance les clés et m’ordonne de démarrer. Les portières ne sont pas encore refermées que j’accélère doucement pour le récupérer. D’autres zombies approchent, attirés par le bruit.
—Vite, Matt ! je hurle, en panique.
Il tire encore deux ou trois fois, prend le temps de refermer et saute dans le bolide alors qu’il presse la détente encore une fois. Ses fesses posées sur le siège, j’appuie à fond sur la pédale. Je n’ai jamais conduit ce type de véhicule, si bien que je frôle le mur du voisin d’en face, donne un coup de volant et la voiture part à droite vers les buissons, puis à gauche sur un grillage, encore une fois à droite… Les pneus crissent. Je dois faire quelque chose, il faut que ça s’arrête sinon on va tous mourir ! Ou pire, blessés et attaqués par… ces choses. Mon pied s’est déjà levé au-dessus de la pédale quand Matt tire le frein à main. Le véhicule s’arrête si vite que j’en suis surprise. Ma Logan aurait mis bien plus de temps et serait allée s’écraser dans les poubelles de tri sélectif. Nous sommes arrêtés près du carbet, sans aucun dommage. Nous nous tournons d'un même élan vers l’arrière pour surveiller nos poursuivants. Ils se rapprochent. Matt a bien fait de préciser "forme" de zombies. Car en effet, si nos créatures y ressemblent par leur allure, leurs pas n'ont rien de traînant. Bien au contraire, ceux-là semblent pressés de nous égorger. Ont-ils encore quelque chose d'humains ? Sont-ils capables de voir ou se contentent-ils de suivre leur odorat ? Ils ont conservé l’ouïe, puisqu'ils ont répondu présent au démarrage de la voiture.
Matt descend, contourne la Porsche en courant avant d’ouvrir ma portière et de me pousser pour prendre ma place. Je la lui laisse avec plaisir, même si pour cela, je me vois forcée d’escalader la console centrale.
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