6b. L'incompréhension : Clément

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Je compose le numéro de Lana, alors que Richard tente d’appeler sa femme. Toujours rien. Mon ami s'impatiente et grince des dents :

— Il en met du temps, Bob !

J'essaie de rassurer tout le monde, malgré ma sourde inquiétude :

— Il y a surement un énorme accident très loin.

— Les enfants, ça va ? On ne vous entend plus, demande Richard en s'agitant pour les observer à tour de rôle.

— Oui papa, ça va. On est comme vous, on se demande ce qu’il se passe.

Je regarde sans cesse les rétros. J’ai peur qu’un autre fou viennent nous rentrer dedans et qu’on finisse nous aussi en cendres.

L’attente continue tandis que l’angoisse monte encore d'un cran. Je tapote le volant, prêt à partir à la recherche de mon ami. Les yeux de Richard brillent, sa tête tourne à droite, à gauche, il regarde à travers le pare-brise avant, puis tout son corps saute d’un coup pour observer les enfants, entassés dans le coffre.

Je sursaute quand la portière à ma droite s’ouvre violement. Robert ! Je suis soulagé de le voir se jeter sur le siège voisin. Pourtant, quand il me regarde une grimace déforme sa bouche, ses yeux écarquillés expriment horreur et détresse tandis que la sueur ruisselle sur son visage. Face à son silence, je le questionne mais il reste muet. Il lève le bras pour me montrer la route, haletant. Ses lèvres entrouvertes remuent, il essaie de parler sans parvenir à émettre le moindre son. Puis il me regarde, attrape sa tête des deux mains et commence à gémir en se balançant. Impuissant, je me tourne vers Rick, aussi désarmé que moi.

Un choc sourd à l’avant nous arrache un cri et je me cogne au plafond en me retournant d’un geste brusque. Un corps vient d’atterrir sur la vitre ! La voiture tremble sous nos hurlements et les deux plus jeunes ne retiennent plus leurs larmes. L’homme, encore vivant se vide de son sang sur mon capot ! Ses doigts gluants essayent de s’accrocher. Je suis pétrifié. Rick crie de reculer. Pas le temps, un type se jette sur la porte de Bob ! Il a l’air cinglé, les cheveux hirsutes, trempé de sueur, les yeux exorbités, et sa bouche… sa bouche ! On est tous terrifiés, nos braillements arrachent nos cordes vocales. J’enclenche la marche arrière et écrase la pédale de l’accélérateur. BOUM ! Merde ! Une autre voiture s'est arrêtée derrière nous. Ses occupants remuent, ils vont sortir. Les deux autres en ont toujours après nous ! J'envisage un demi-tour. Putain ! On est coincé entre un coffre et un capot ! La marge de manœuvre est insuffisante.

Bob revient à lui :

— On doit sortir de la voiture ! S’enfuir ! Loin d’ici ! Dans les bois…

Face à notre manque de réaction, il reprend :

— C’est un carnage. Les voitures sont vides, et ceux qui y sont restés sont tous morts !

Il ne nous laisse pas le temps de digérer l’information :

— Ces bonhommes me poursuivaient ! Comme dans le jardin du restau. Comme des chasseurs.

On reste incrédule, le temps de digérer ses paroles débitées à vive allure.

J’observe dans mon rétro le carnage qui se déroule derrière nous. Les occupants du véhicule sont bien sortis. Ils courent dans la direction d’où ils sont arrivés. Ils hurlent de terreur. Les créatures se détournent de nous et les poursuivent.

Bob ordonne à son fils d’attendre qu’il lui ouvre la porte avant de sortir et de courir vers les bois.

C’est le déclic qui me manquait. Je colle mon pare-choc à la voiture précédente et m’adresse à mon fils :

— Attends ! Tom, il y a une clé pour les roues dans un sac, elle est noire. Prends-la. On ne sait pas à quoi on a affaire, il nous faut une arme pour nous défendre.

— Papa ! La porte du coffre ne s’ouvre pas ! On ne peut pas sortir ! s'énerve-t-il alors qu’il pousse sur l'ouverture avec frénésie.

— Escaladez la banquette et sortez par les portières latérales. Vite. En silence.

On a sauté la barrière de sécurité en courant. Le feuillage nous cache la clarté projetée par la lune. On utilise les téléphones portables pour s’éclairer et on forme une guirlande humaine pour continuer notre chemin. Les deux petits, à bout de force, ont du mal à mettre un pied devant l’autre, mais ils ont compris qu’on ne doit pas faire de bruit et ont cessé de pleurer.

Je me demande comment rejoindre l’autre côté de l’île. On va devoir nager, mais mon dernier n’en est pas encore capable. En plus, il fait nuit. Il va avoir peur. Combien de temps tiendra-t-il encore ? J’espère qu’on se dirige dans la bonne direction, car sans jour et sans boussole, entourés d’arbres, comment se repérer ? Par chance, on n’a pas d’insectes mortels ici, car on ne voit vraiment pas grand-chose. Demain, je vais devoir récupérer la voiture. Pourvu qu’elle soit encore là et que personne ne la ruine.

Un grillage ! Dans la foret ? Intrigués, à l’affut, on marque une pause. Tom, mon ainé, nous fait remarquer qu’il serait judicieux d’en faire le tour, pour trouver une entrée.

Il s’agit d’une clôture de jardin. Le portail fermé, en l’absence de sonnette, on prend le risque de l’escalader. On suit un long chemin, qui nous mène à une maison aux volets clos. Bob frappe à la porte à plusieurs reprises, sans succès. Il tourne la poignée, mais l'ouverture reste close. Qui serait assez fou pour sortir sans fermer sa maison à double tours ? Même perdue au milieu des bois. Que faire ? Attendre les propriétaires ici, sur leur terrasse, pour leur demander de l’aide ? Comment réagirais-je si je trouvais des inconnus sur mon perron ?

J'examine notre abri et repère un fauteuil contre la façade, séparé de trois fauteuils par une table basse. De l'autre côté, une table entourée d'un banc et de deux chaises n’attendent que nous.

Richard décide de rester un moment, le temps de récupérer un peu :

— On semble en sécurité ici pour le moment. Les enfants sont épuisés. Ils peuvent se reposer avec l’un de nous trois pour les rassurer tandis que les deux autres montent la garde au portail.

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