7a. L'espoir : Clément
Je me suis endormi dans l’herbe, Richard en face de moi. Ses ronflements m’ont réveillé. Il fait jour. Quelle heure est-il ? Merde ! Mon portable est déchargé ! Il est temps de rassembler les troupes et de reprendre notre route. Les occupants des lieux ne sont pas revenus. Tant mieux, qui pourrait croire une telle histoire ? Après maintes réflexions, j’en arrive à la conclusion qu’on avait trop bu et qu’une bande de jeunes allumés s’est bien jouée de nous. Nos femmes doivent être mortes d’inquiétude, il faut qu’on les appelle. Mais on n’a toujours aucun réseau. Il est grand temps de regagner la civilisation. En réfléchissant encore, les enfants n’ont pas bu d’alcool, hier soir…
Richard a trouvé des pommes et des mangues dans les arbres du jardin, pendant qu’on réveillait les enfants. Petit déjeuner vitaminé sur la terrasse avant de rejoindre l’inconnu. Je fais part de mes pensées à mes amis, et le regard que m’adresse Bob me rappelle que tout est bien réel.
— On doit essayer de retrouver le pont, suggère Richard. Il fait jour, on aura une meilleure vision s’il y a un danger, et surtout, on n’aura pas besoin de traverser à la nage.
— Il a raison, ce sera plus facile de marcher sur du goudron que de se frayer un chemin dans la foret, approuve Tom.
— On aura trop chaud sur la route… objecte Bob.
Merde, ils attendent que je prenne la bonne décision. Qu’est-ce qui est le mieux ? Les coups de soleil ou les piqûres d’insectes, couronnées d’un effort de natation ? Après avoir pris quelques secondes pour peser le pour et le contre, je réponds :
— Restons à l’abri des arbres pour éviter les insolations, et la rivière nous rafraichira.
— On pourrait retourner à la voiture ? soumet Mickaël, l'un fils de Richard.
Hors de question de revenir en arrière. Bob partage mon avis :
— Mauvaise idée. Ce qui nous a attaqué hier soir, ces… choses… Imaginez qu’elles y soient encore. Ça n’avait rien de naturel, vous pouvez me croire.
— Oui, mais…
Un vote nous mets d'accord. Même les deux plus jeunes ont fait leur choix. Choqués par les évènements de la nuit, ils refusent de retrouver la route, malgré leur fatigue.
L’atmosphère devient de plus en plus humide, et nos pas s'enfoncent de plus en plus dans la terre meuble. On est trempés de sueur. Nos bouches sont sèches, en manque d'eau, et nos efforts consomment nos faibles réserves. Les forces des plus petits s'amenuisent, ils ont faim.
Je n'ai pas perdu mon sens de l’orientation, les clapotis de la rivière nous parviennent enfin.
Le moment est venu. On est trop loin maintenant pour faire demi-tour et retourner au pont. Plusieurs mètres nous séparent de l’autre rive. La rivière salée est profonde, puisqu’ empruntée par des bateaux.
On vérifie tous la disponibilité du réseau sur nos portables. Demander des nouvelles à nos femmes et de l’aide en même temps me semble une très bonne idée. Pourtant, toujours aucune barre ne s’affiche sur les écrans. Doit-on abandonner les appareils sur le bord, ou les laisser dans nos poches ? Dans un cas comme dans l’autre, ils sont perdus.
Le plus jeune de mes fils n’est pas loin de savoir nager. Je progresse à son rythme, à sa hauteur, tandis que Bob et son petit nous suivent. Les autres membres de notre groupe sont sortis de l’eau et essorent déjà tant bien que mal leurs vêtements. Mon enfant peine de plus en plus, la rivière est plus large que je ne le pensais. Je l’encourage, mais à bout de force, il ne parvient plus à coordonner ses mouvements. Grâce à mes quelques notions de sauvetage, je me retourne, le mets lui aussi sur le dos, et une de mes mains sous son menton, je nous ramène tranquillement jusqu’à la berge. Alors que nous sommes exténués, nos compagnons nous hissent et tirent les deux derniers nageurs sur le rivage.
Richard a insisté pour qu’on bourre nos poches de fruits. Ça va nous redonner un peu d’énergie, on en a bien besoin !
On doit regagner la ville. Là seulement nous aurons des chances de téléphoner, car nos maisons sont vraiment trop loin. Des gens en pleine forme y arriveraient sans doute, mais pour des hommes comme nous, épuisés, lourds de vêtements mouillés et de boue, avec en plus de jeunes garçons, c’est impossible.
Mon magasin se trouve dans la prochaine agglomération, dans la galerie d’un centre commercial. J’ignore comment on y entrera puisque tout a commencé hier soir, samedi, premier jour de week-end, et que je ne me balade pas avec ces maudites clés quand je ne travaille pas !
On verra sur place. Il nous faut déjà l’atteindre. Richard me fait remarquer que le soleil est déjà haut et qu’on doit être en plein midi. On n’a pas une minute à perdre, il faut repartir.
Après une longue marche, les ados demandent à regagner la deux voies. Ils ne supportent plus les piqûres de moustiques et marcher dans la foret nous épuise. J'examine la situation et explique :
— À gauche, on a la route où on sera contraints de bifurquer. Ce qui nous retardera, puisque le magasin est à droite. Sur ce chemin par contre, on est en face du centre commercial.
— La chance va bien finir par nous sourire, insiste Bob en soufflant. Le pont est surement dégagé à l’heure qu’il est. On va bien trouver quelqu’un d’assez sympa pour emmener des autostoppeurs dans sa fourgonnette ou dans son camion.
Je n’y crois pas une seule seconde, mais mes compagnons doivent garder espoir. Nous avons chaud, plus rien à boire ou à manger. Et je trimballe toujours la clé prise dans mon coffre. Si tout le bouchon n’a pas été évacué, on pourra peut-être se réhydrater.
À travers les arbres, on distingue enfin les barrières de sécurité. Nos ainés s’y précipitent, dans un regain d’énergie. C’est trop calme. On devrait entendre les véhicules qui foncent à toute vitesse.
— STOP ! Ce n’est pas normal, on ne perçoit aucun bruit ! On ne doit pas y aller. Il faut s’éloigner et vite !
— Non, on doit vérifier, dénie Richard, déterminé. Ce serait une erreur de repartir alors qu’on est juste à côté.
— C’est trop dangereux, insisté-je.
— On n’en sait rien… s'entête-t-il encore.
— Faites ce que vous voulez, mais mes enfants et moi, on reste à couvert, je déclare, dépité de ne pas être parvenu à le convaincre.
Bob s’en mêle :
— Mauvaise idée, Clément, on aurait tort de se séparer, tu ne crois pas ?
Je suis au moins d’accord là-dessus.
— On forme un groupe, explique-t-il avec calme, à voix basse. Il se peut que ça soit dangereux de prendre le pont. Dans ce cas, ça le sera autant au centre commercial. Alors on reste tous ensemble, on se soutient et on se protège. Si tout va bien sur la route, parfait. On sera fixé avant d’avoir mis un pied sur la voie de détresse. Donc au pire des cas, on retourne se cacher dans les bois. Ça vous va ?
On s’approche à pas feutrés par crainte de froisser les feuilles au sol ou de casser des brindilles. Mon cœur cogne fort, ça résonne dans ma tête. Ça bourdonne aussi. C’est l’appréhension.
La première vision nous laisse sans voix. Déception, incompréhension, détresse, lassitude… Autant de sentiments qui nous assaillent tous en même temps et nous laissent pantois, sur le bord de la route.
La route n’est pas dégagée, loin de là. Le bouchon qui nous a obligés à quitter notre véhicule hier soir s’étend à perte de vue. Les voitures forment une file d’attente désorganisée avec les portières grandes ouvertes. Un sac à main a été oublié dans le 4X4 devant moi. Mais personne. Pas âme qui vive. Et ce silence de plus en plus pesant.
Je reprends mes esprits et enjambe la barrière. Maintenant qu’on est là, on n’a plus d’autre choix que de tenter de comprendre.
— On va rencontrer des gens, c’est sûr, avance Richard, plus pour se convaincre lui-même que nous autres.
— Rick, ils ont tous fait comme nous cette nuit ! Ils se sont enfuis ! Regarde autour de toi ! Et rappelle-toi ce qu’on a vu dans la voiture ! protesté-je, agacé par son refus de se rendre à l'évidence.
Rien à faire, il n'en démord pas et parvient même à rallier les autres à son avis.
On perd du temps. Ils ont voulu revenir sur la route, on y est. Puisque tout semble calme, autant essayer. Je capitule :
— On se calme. On avance entre les voitures et surtout, on reste groupés. On ne prend aucun risque et à la moindre alerte, on court vers la foret.
Je me poste en tête du groupe, ma croix coincée entre ma paume et mes doigts avec fermeté. Première voiture à ma droite, vide. À gauche, elle a été quittée dans l’urgence, pour preuve, la portière ouverte et les clés sur le contact. Suivantes, idem. On continue, sans un mot. Des sacs de courses recouvrent les sièges à l’arrière d’une Polo. D’un signe, j’encourage Richard à jeter un œil. Ces provisions n’attendent que nous.
De l’eau, enfin ! Des fruits, des biscuits. Le reste ne nous sera d’aucune utilité.
Durant notre exploration, on déniche des sacs à dos qui nous seront bien utiles pour porter nos réserves.
On commence même à se détendre un peu. C’est toujours aussi calme, on progresse tranquillement maintenant qu’on a repris des forces et qu’on s’est réhydratés. On va l’atteindre mon magasin ! Tout ça nous redonne courage et baume au cœur.
On a du dépasser une vingtaine de voitures, trente peut être, quand mes yeux se posent sur une voiture blanche, tachée de rouge-marron. Je stoppe net. J’ai un doute sur la nature de ces salissures, je suis sûr qu’il s’agit de sang. Gardons les enfants à l’écart de ça. Richard les confies à Bob et on approche ensemble de la Twingo.
Le siège conducteur est imprégné du liquide rouge encore humide, tout comme le tableau de bord et le volant. Une touffe de cheveux poisseuse a été perdue ici et une chaussure git dans une flaque à mes pieds. Je ne comprends pas. Où est passée la victime ? Si elle avait survécu et s’était sauvée, on pourrait suivre ses traces car ses blessures auraient continué à saigner. Qu’est-ce qui peut bien attaquer de cette manière ? On doit pouvoir se défendre, avec ce qu’on trouvera, du moment que ça peut blesser, voire même immobiliser.
— On fouille partout, conseillé-je quand on retrouve le groupe. C’est le seul moyen de trouver des armes et des provisions.
Richard acquiesce et poursuit :
— On va remonter tout le bouchon pour atteindre la première voiture, celle qui a créé ce chaos ! Avec les clés dessus, comme toutes les autres.
— On doit chercher une vieille caisse cabossée et rouillée, ajoute Tom, les yeux remplis d’espoir. Du genre de celles qu’ont les petits dealers ou les délinquants. Ils ont toujours des flingues, ces types-là.
Je ne lui réponds pas qu’on ne voit ça que dans les films, ça le démotiverait. Et puis, sait-on jamais, la drogue et les armes représentent un réel souci, ici.
On examine un ou deux véhicules qui y ressemblent, sans succès. On regarde partout, pas question de rater quoi que ce soit. Même les sacoches des deux-roues ont droit à une fouille minutieuse. On arrive à mettre la main sur un canif et un couteau de chasse. Notre exploration nous rapproche petit à petit de l’aéroport. On n’en est plus très loin maintenant.
— Papa ! Il y a quelqu’un dans la voiture là ! s'écrie Mickaël.
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