1b. Le réveil : Lana

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Je me réveille dans une chambre inconnue. Un lourd rideau de velours empêche la lumière de filtrer. Je suis allongée sous l'édredon rose pâle d’un lit en bois qui grince au moindre geste. La décoration très vieillotte procure quelque chose de rassurant et doit être agréable lorsque les rayons du soleil traversent la fenêtre. Une porte fermée me fait face. Un mouvement sur ma droite attire mon attention.

Clyselle somnole à mon chevet. Que fait-elle là ? Mon mari devrait être à sa place. Un inexplicable malaise grandit en moi, s'amplifie de seconde en seconde. J'appelle mon amie, à voix basse, pour ne pas la faire sursauter :

— Clyselle ! Réveille-toi.

Raté, sa tête se redresse sur-le-champ. Ses yeux se posent sur moi, me reconnaissent, puis examinent rapidement la pièce. Enfin, c'est d'une voix sourde qu'elle s'exprime, le regard dans le vague :

— Tu vas pouvoir manger Lana. On nous a préparé des sandwiches.

— Où est Clément ? Où sont mes enfants ? Où sommes-nous ?

—Les neveux de Monsieur et Madame Salomic nous ont ramenés chez eux.

— Où est ta famille, Clyselle ?

Elle fixe ses orteils, si bien que je ne vois plus que le sommet de son crâne. Seul le silence me répond.

Tout se bouscule dans ma tête, tandis que les événements de la veille me reviennent. Le restaurant, les cris, nos familles dehors, la panique, la porte d’entrée et un homme... l’un des neveux du patron. Je n’ai aucun souvenir de ce qu’il s’est passé après qu’il m’ait empêchée de sortir. Ni ce que sont devenus tous les autres, ceux qui se trouvaient dans le parc, mais aussi ceux qui étaient restés à l’intérieur, comme nous.

Mon malaise s'aggrave encore… je vomis.

Clyselle m’aide à me lever et me conduit à une salle de bain dissimulée par la porte, face au lit. Elle me soutient jusqu'aux lavabos en porcelaine, tandis qu'un nouvel haut-le-cœur me saisit. Je m'accroche au bac tandis que mon amie s'éclipse.

— Rince-toi. Je vais voir si l'on peut te prêter des vêtements propres, me conseille-t-elle d'une voix atone, avant de franchir la porte.

Elle me trouve dans la même position lorsqu'elle revient avec un jean et un tee-shirt.

— Rejoins-nous au salon quand tu auras fini, m'ordonne-t-elle, l'air abattue, avant de repartir sans m’avoir apporté de réponse.

Je la rappelle, en vain.

Pressée, je plonge les mains dans l'eau claire qui remplit le lavabo.

Je me hâte, avec l'espoir d'étreindre bientôt mon mari et mes enfants. Un lourd pressentiment me compresse la poitrine. L’attitude et le mutisme de Clyselle ne présagent rien de bon.

La maison est grande et ses couloirs inconnus forment un labyrinthe qui m'inquiète, m'énerve, m'impatiente. Des voix me guident, même si je n'ai pas encore reconnu celles des miens.

Mon cœur tressaille quand mes yeux survolent les personnes présentes. Ma famille n'est pas là. Tous nos proches qui jouaient à l'extérieur sont absents.

Dans le brouillard de ma conscience, je les dévisage, lentement, un par un, affligée, sans voix face au spectacle qu'ils offrent.

Val est recroquevillée dans un canapé, son beau visage ravagé par les larmes. Sa fille la serre dans ses bras. Désespérée, je cherche une attitude plus rassurante. Clyselle, assise à côté d’elles, berce sa petite, les yeux humides et gonflés. Ses traits sont tendus. Elles me jettent un coup d’œil et baissent la tête.

Notre boss gît, avachi dans un fauteuil, le regard vitreux tel celui d’un vieillard perdu dans ses souvenirs. Il semble anéanti.

Notre directeur régional est là aussi ? Près de Monsieur Salomic, c'est logique. Il est agenouillé à côté du siège et tient la main du vieil homme.

L’homme qui m’a retenue hier soir m’observe, accoudé avec nonchalance à une gigantesque bibliothèque au fond de la pièce. Son frère et sa sœur se tiennent debout près de lui.

Les rideaux tirés, l'éclairage aux bougies et le silence brisé par les reniflements rendent l'atmosphère lourde, étouffante.

— Où sont les autres ? je demande d'une voix sourde, la peur au ventre.

Un mouvement hésitant de mon agresseur me fait tressaillir :

— Aucun d’entre nous ne les a revus, dit-il sans me quitter des yeux.

— Comment ça ? Les filles, nous ne sommes pas parties sans eux ? Que s’est-il passé là-bas ? Il faut y retourner !

— Ils n’étaient plus là quand nous sommes partis, m’informe enfin Clyselle alors qu’elle ferme les paupières avec force.

L’épouse de notre patron nous rejoint, un plateau rempli de toasts dans les mains. Elle semble si fatiguée ! Défraîchie, pour être exacte. Cette dame a toujours su masquer l'empreinte du temps sur son visage, mais la coquetterie semble avoir disparue aussi.

La prostration de l’assemblée accentue encore mon inquiétude et exacerbe mes nerfs déjà bien tendus :

— Val, Clyselle ! Qu’y avait-il dehors, pour provoquer tous ces hurlements ?

— Des cadavres, Lana ! Il n’y avait plus que des cadavres déchiquetés, éviscérés, des blessés amputés de leurs membres ! crie Valérie, hystérique. Il y avait du sang partout !

Elle s’arrête là, secouée par les sanglots, imitée par sa fille et celle de Clyselle.

Impossible de leur demander si nos maris et nos enfants sont... Je repousse cette idée et les sentiments qui l'accompagnent, trop insupportables, trop douloureux. Pourtant, je dois savoir.

— Vos familles n’en faisaient pas partie, précise le neveu étouffeur en souriant.

Encore paniquée et tremblante, je cours vers lui, tente de le secouer, aboie mes questions :

— Si tu m’as neutralisée hier soir, c’est que tu savais ce qu’il se passait dehors. Alors explique-nous !

— Plus tard, répond-il, imperturbable. Mange, tu as besoin de forces.

Mon téléphone, pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ? Il est resté dans la pochette qui accompagnait ma tenue de soirée.

— Mon sac à main ? Où est mon sac ? je demande, affolée, après avoir bousculé tout le monde, retourné tous les coussins, examiné tables et guéridons.

Clyselle pose sur moi des yeux rougis à force d’avoir pleuré, avant de m'informer d'une voix monotone :

— Il est resté dans la salle et les nôtres sont déchargés à force d’avoir tenté de les joindre.

— Vous les avez eus ?

Elle m'accorde un signe de tête négatif, avant de reporter son attention sur sa fille. L'effroyable vérité se confirme, pourtant je la refuse toujours.

— Vous avez essayé de brancher les appareils ? j'essaie encore, pleine d'espoir.

— L'électricité est coupée, Lana, explique mon amie avec lassitude sans cesser de caresser les cheveux de sa fille.

Le courant est peut-être revenu. L'interrupteur le plus proche n'est plus aux normes et ne provoque rien quand je l'actionne. De toute évidence, le circuit est trop vieux et toujours en panne.

Les mains sur les hanches, je les dévisage encore une fois, incrédule. Comment leur faire comprendre que nous ne pouvons pas rester ici, les bras ballants ?

— Qu'est-il arrivé dans le parc, hier soir ? Avez-vous pu leur parler au téléphone ? Que fait-on ici ? Putain, répondez-moi !

Frustration, colère, peur, autant d'émotions qui me submergent et me font crier, trépigner.

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