1d. Premières recherches : Lana

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Le moteur rugit, la nièce remonte la porte à l’aide de la manivelle alors que les bruits nous assaillent. Des grognements. Des loups, sûrement. Non, il n'y en a pas ici. Ils ont l’air nombreux, les chiens errants. Pourtant, même caché par le mur, un tel regroupement me rend perplexe. Nous avançons avec lenteur jusqu’au portail que fait rapidement coulisser le frère de notre pilote. Nous retenons notre souffle, à l'affût. La voiture franchit le rail. De sourds borborygmes nous assourdissent tandis que des têtes blanches comme la mort se collent aux vitres. Nous hurlons, épouvantées et notre conducteur, surpris, donne un coup de volant. Des doigts crasseux tentent de s'agripper, maladroits. Je m'écarte, Val crie qu’il faut partir, qu’il faut faire demi-tour, Shana s’accroupit sur le sol de la voiture et Clyselle se tient droite comme un poteau, les mains crispées sur son siège. Agrippée moi aussi à mon fauteuil, je transpire, la respiration saccadée et parcourue de tremblements. Mes yeux refusent de se détacher de ces phalanges ensanglantées qui se bousculent sur les fenêtres rougies, partiellement essuyées par des joues crasseuses. Notre chauffeur fronce les sourcils, concentré. Un mouvement devant le pare-brise attire mon attention. De nouveaux monstres approchent. L'un d'entre eux est déjà allongé sur le capot et tente de s'accrocher avec l'énergie du désespoir, sans nous quitter des yeux une seule seconde. Nos braillements reprennent. Ses doigts s'accrochent aux essuie-glaces tandis que ses pieds martèlent la tôle et lui permettent de se hisser face à nous. Je distingue alors avec horreur son cou arraché par endroits, percé à d'autres. Les yeux écarquillés, le souffle court, je réalise qu'il s'agit d'empruntes de crocs.

Notre conducteur appuie à fond sur la pédale d’accélérateur et nous filons, éjectant au passage les créatures immondes dont les corps rebondissent sur le véhicule. Je bouche mes oreilles pour ne plus entendre le bruit des os qui craquent sous nos roues et que les hurlements de Val ne suffisent pas à masquer.

Nous sommes passés, et sains et saufs. Je secoue la tête, à droite, à gauche, réfute une fois encore des images insupportables. Le calme est revenu dans l'habitacle, mais nos respirations restent haletantes. Entre la chaleur ambiante, les montées d'adrénaline et la sueur, l'air est devenu irrespirable.

— C’était quoi ? s'époumone Clyselle.

Val et moi sommes pétrifiées, encore secouées après cette scène d'horreur. Quant à mon voisin, il reste concentré, les paupières à demi-fermées. À moins qu’il ne se remette lui aussi de cette épouvantable attaque. J'émets des doutes sur cette hypothèse car son visage redevient impassible.

Mes souvenirs de la veille refont surface. Notre présence chez lui s'y ajoute. Si je réfléchis bien, les neveux du boss nous ont ramenées dans leur maison alors que j'étais inconsciente. Grâce à... Je lui jette un coup d'œil, il surveille la route. Pourquoi personne n’a jugé utile de m’avertir de ce qui nous attendait dehors ? Ils ont du croiser d’autres créatures comme celles-là lors de notre retour. L'heure des explications a sonné. Je baisse ma vitre quand une nouvelle bouffée de chaleur fait ruisseler mon front, et j'invite mon voisin à en faire autant. Puis, je me tourne tant bien que mal vers mes compagnes, et d’une voix de petite fille :

— Les mêmes bruits qu'hier soir. Que se passe-t-il ?

Mes collègues regardent le conducteur, en attente de sa réponse. Silence total. Mes tremblements de peur cèdent la place à une vague de fureur.

— Hé, toi qui sais tout ! Ça te dérangerait de nous répondre ?

— Tu vas te calmer car je peux t’obliger à descendre et te laisser en plan, ici, toute seule. Je tentais d’évaluer la situation : est-ce prudent de continuer ? Nous n’avons rien pour nous défendre. Ensuite, il me paraît évident que ce sont des malaformes.

Ses doigts sont crispés sur le volant, ses traits tendus. Je me radoucis :

— Des malaformes ? Qu’est-ce que c’est ?

— Pour faire simple, c’est une forme de zombies.

Il se fout de nous ! Ou alors il ne vit qu'au travers de séries télévisées !

— Des zombies maintenant ! Tu regardes trop de films, mon pauvre. Ces gens ont été attaqués et ils cherchent de l’aide.

Il se détourne enfin pour m'adresser un regard méprisant, les lèvres serrées, puis prend une profonde inspiration, avant de murmurer d'un ton menaçant :

— Tu y crois vraiment, Lana ? Vous ne voyez pas le quart du monde qui vous entoure. Il n’est pas tel qu’on vous a appris à le connaitre. Et cesse de toujours me contredire, car tu n'as pas idée de l'étendue de mes connaissances. Pour finir, mon prénom est Matt ! Sujet clos.

Qu'est-ce qu'il raconte ? Il se croit vraiment dans un jeu vidéo ! Il semble pourtant avoir la tête sur les épaules. Absurde, mais ça expliquerait certaines choses. La curiosité de Val reprend le dessus et elle demande avec hésitation :

— De quoi parles-tu à propos du monde qui nous entoure ? Tu pourrais être plus précis ?

— Qui suis-je pour mériter votre confiance aveugle ? Comment êtes-vous certaines que je ne vous conduis pas à la mort ? Lana, je t’ai bien empêchée de sortir à deux reprises ! Il se pourrait que je sois votre ennemi. Je vous ai dévoilé des indices auxquels vous n’avez prêté aucune attention ! Pourquoi ? Parce que je me fonds dans votre paysage habituel ! Mais je répète, le sujet est clos ! Observez plutôt ce que nous devons fuir à l’extérieur.

D'un même élan, nous scrutons avec effroi le paysage qui défile à grande vitesse. Pire, ce que nous découvrons nous terrifie.

Cette route n'a jamais été aussi déserte. Des voitures ont été abandonnées dans l'urgence. Certaines ont dû effectuer plusieurs tonneaux. Elles sont recouvertes de .... je n’ai pas eu le temps de voir. Je prie pour que ce ne soit que de la boue. Des gens sales et livides, blessés surtout au niveau du cou, errent dans les champs. Nous évitons de justesse un piéton qui semble suivre la ligne continue. Un peu plus loin, c’est tout un groupe qui se déplace entre les jeunes cannes à sucre. Près d'un maraîcher, un bœuf étendu sur l’herbe, maigre, si maigre, baigne dans du sang et s’en abreuve ! C’en est trop. Je me détourne, baisse la tête et attends que mes larmes coulent. Mais elles restent coincées derrière mes yeux gonflés, tout comme mes sanglots, enfermés au fond de ma gorge. Val n'en peut plus. Elle pleure sans bruit tandis que ses doigts lissent d’une manière automatique les cheveux de sa fille. Elle imagine le triste sort du reste de sa famille et souffre. Je refuse de perdre espoir. Le visage de Clyselle est figé dans une expression d’horreur face à ce spectacle digne d’un film d’épouvante. Sa bouche béante exprime un cri muet qui ne verra jamais le jour. Nos maris et nos enfants ne peuvent pas avoir subi le même sort que ces créatures. C'est inconcevable, inimaginable. Mes yeux s'humidifient à cette intolérable pensée et mes larmes commencent à rouler sur mes joues, peu à peu. Jusqu'au moment où, à bout de force, mes sanglots jaillissent. Expression de toute ma terreur, ils éclatent dans ma gorge, provoquent une effroyable douleur dans ma poitrine alors qu'ils se mêlent à la cascade qui ruisselle sur ma peau.

Je jette un coup d’œil à notre chauffeur. Ses traits sont maintenant tirés et je réalise seulement qu'il nous apporte son aide. Que fait-il là, dans cette voiture, avec nous, des inconnues ? D'autres aurait préféré rester avec les leurs. J'espère qu'il mesure sa chance de les savoir sains et saufs, à l'abri.

En ville, nous dépassons un poste de police. Où sont les forces de l’ordre ? Leur devoir n’est-il pas de protéger la population ?

Matt poursuis sans ralentir et cette fois, je ne discute pas. Il agira toujours à sa guise et semble finalement savoir ce qu'il fait. Le trajet se poursuit en silence, chacun perdu dans ses sombres réflexions, entretenant sa maigre foi en l’avenir, cherchant des raisons et des solutions à cette calamité…

Matt s’enquiert de l’itinéraire de la maison la plus proche.

Nous pénétrons au ralenti dans la rue de Valérie, Matt prêt à accélérer. Parvenus devant le portail sans mauvaises rencontres, elle fait coulisser le portail et laisse passer la voiture avant de le refermer.

L’habitation contient deux parties, une pour la nuit, une pour le jour, séparées par une immense terrasse face à l’océan. Nous crions, appelons. Personne pour nous répondre. Toutes les pièces sont examinées, jusqu'au cabanon, sans succès. La piscine est débâchée, le jardin parcouru en large, en long et en travers, en vain. Matt, désintéressé, joue avec le gravier près de sa voiture.

— Ils sont chez l’une d’entre vous, c’est sûr, avance mon amie d'une voix chargée d'espoir. Ils ont assisté à bien pire que nous et n’ont pas voulu se séparer. Aller, on s’en va.

— Attends, intervient Clyselle. Tu es certaine qu’ils ne sont pas repassés ici ? Laisse un mot pour leur dire où on est. S’ils nous cherchent aussi, ils ne seront pas sans revenir dans chacune de nos maisons.

Elle obtempère sans conviction, et noue autour de son cou deux pulls de ses hommes.

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