17/ PAS DE TRACES : SANDRINE
Nous empruntons encore une fois le même chemin pour rejoindre le pick-up. Il est encerclé par un petit groupe de malaformes. Que peuvent-ils faire contre toutes nos armes ? Nous les abattons rapidement.
Bob éprouve toujours des difficultés face à toute cette barbarie, je comprends ses réticences. Nous les partageons tous. Néanmoins, nous devons les oublier si nous voulons survivre. Sam et moi avons beaucoup de chance de les avoir rencontrés. Ce sont des gens bien. Nous aurions pu tomber sur des imbéciles se prenant pour des warrior, ou rester seules. Nous formons un groupe solidaire. Clyselle a pris la fourche des mains de son mari pour nous aider. Elle aussi a du courage à revendre.
Clément demande à son ami de prendre la place du conducteur et d’installer les plus jeunes près de lui, dans la cabine. De cette manière, nous pourrons défendre le véhicule et ses occupants.
Cette excellente idée redonnera un peu de confiance à Robert. Une des facultés des sorcières est cette facilité à interpréter les sentiments d'autrui. Nous sommes de fines psychologues. Létat mental de ce pauvre homme arrive à saturation. Il brûle de protéger sa progéniture et sa bien-aimée, mais son aversion pour la violence le paralyse. Il se sent faible et inutile, face à ses amis, d'autant plus que les enfants participent, eux aussi. Clément connait bien Robert, il a perçu sa détresse.
J’ai besoin de retourner chez moi. J'espère ne rien oublier : récupérer l’essence stockée dans mon hangar, réunir tout ce dont je pourrais avoir besoin pour exercer ma magie, et remplir des jerricans d’eau à la cascade lors de notre retour.
Le trajet est long. Nous croisons des groupes de malaformes qui nous ralentissent à peine. Bob les percute lorsque l'un d'entre eux erre, seul sur la route. Il grimace à chaque fois mais accomplit sa mission sans rechigner . D’ailleurs, à les tuer aussi facilement, je me demande comment ils ont pu se répandre à une telle vitesse.
Enfin, j’aperçois la cheminée de ma maison.
Les plus jeunes me suivent dans mon atelier, tandis que les grands chargent le carburant dans le véhicule. Je dépose le dernier bidon devant la porte d'entrée pendant que les adultes montent la garde.
Avec l’aide des petits, je réunis mes bougies, pierres, plantes, parfums et encens, et je les prie de déposer aussi les sacs dans le Nissan. Je n’omets pas de rassembler Quelques livres de famille sont rassemblés avec des tissus et ma table de substitution, prêts à être emportés. J’ignore de quoi je vais avoir besoin là où nous nous rendons. J'espère qu’ils accepteront ma présence, car si j’ai une profonde aversion pour ce qu’ils représentent, je ne dois pas négliger la leur.
Je sélectionne trois photos que je conserverai, le père de ma fille ne doit pas devenir qu’un lointain souvenir. Je prie pour son âme et pour celles de nos semblables. Je demande pardon pour ce que je m’apprête à faire, mais aussi pour l’alliance que je projette de créer avec les démons.
Ma décision est prise, c'est le moment.
Le bidon d'essence à la main, j'arrose chaque façade de la maison puis craque une allumette que je balance sur le rideau d'une fenêtre ouverte. Les murs s’embrasent, les vitres volent en éclats, laissant les flammes entrer et lécher les teintures. Mon cœur est en miettes devant nos vies qui partent en fumée. Ma fille me prend dans ses bras. Elle pleure avec moi mais ne me fait aucun reproche. Elle sait que je suis obligée d’effacer toute trace de nos pratiques magiques.
Quand le feu a pris suffisamment d’ampleur, je demande à mes compagnons de rejoindre le camion, avant une imminente explosion qui attirera les malaformes.
J’appréhende la suite. J’ai de sérieux doutes sur l’accueil auquel nous aurons droit chez les démons. J’ai déjà rencontré Matt. Il a exprimé des influences très humaines, pourtant quelque chose, au fond de son regard, reste sombre. De plus, il a dévoilé de profonds sentiments pour Lana qui lui a préféré sa famille. J’ignore quelles peuvent être les réactions d’un demi-démon comme lui. Je ne connais pas sa soeur et son frère. Ils ne sont peut-être pas si loyaux qu’ils le laissent croire. Lana et Clyselle m’ont assurée du contraire. Elles affirment qu’ils ne font pas semblant d’être quelqu’un d’autre, qu’ils sont vraiment eux-mêmes et que la fratrie se compose de trois caractères ambigus et différents. Ils sont la solution, j’en suis convaincue. Sans cela, je ne m’aventurerais pas à nous faire prendre un tel risque, à ma fille et à moi.
Les hommes m’ont expliqué qu’il était impossible d’accéder à la maison par le devant, à cause des malaformes.
Bob se gare à l’entrée de la rue et nous traversons quelques jardins à pied. Nous sommes habitués maintenant… Cela ne nous empêche pas , une fois dans le jardin, de contourner le bâtiment pour frapper à la porte.
C’est une femme qui vient nous ouvrir. La sœur, sans nul doute. Une femme magnifique. Elle nous dévisage et soupire, grimace avant d'appeller l'un de ses frères en se détournant de nous.
Un bel homme bien sculpté fait alors son apparition, guère surpris par notre présence. Il s’efface pour nous laisser entrer. Enfin, il ouvre le passage aux autres, mais le bloque de sa personne, à ma hauteur.
— On ne se connait pas. Qui êtes-vous ? demande-t-il avec méfiance, d'une voix ferme appuyée d'un regard perçant.
— Je m'appelle Sandrine et voici ma fille Samantha. Nous sommes des sorcières, mais je pense que tu le sais déjà. Je ne viens pas demander l’hospitalité. J’ai cru comprendre que votre lutte est la même que la nôtre. Je pense pouvoir parvenir à une solution avec votre aide. Pouvons-nous entrer ?
Sceptique, il s’écarte malgré tout.
La maison est sale, poussiéreuse, même si quelques traces récentes de ménage restent visibles. C’est une très vieille demeure qui renferme des milliers de secrets. Je ressens ici de puissantes vibrations. Ils ne vivent pas qu’à trois en ces lieux. Ça pourrait s'avérer utile, car si je parviens à amadouer les différents esprits présents, ils m’apporteront de nouvelles sources d’énergies. Je risque d'en avoir besoin tant la magie que je pressens est puissante et dévastatrice.
Carole, la soeur me fixe méchamment, tandis que Jonathan se méfie. Je le surprends à m'épier avec curiosité. Pourtant, c'est elle qui s’adresse à moi en premier, avec beaucoup d'agressivité dans la voix :
— Comment oses-tu te présenter chez nous après ce que tu as fait à mon frère ?
Elle se colle à moi, me coince entre la porte et son corps et me renifle avant de reprendre :
— Tu dois donc être soit courageuse, soit suicidaire. Je penche pour les deux, dit-elle en lorgnant mon cou.
Son souffle caresse le lobe de mon oreille tandis qu'en dessous, sa langue effleure ma peau. Mon coeur bat à tout rompre. Je suis capable de me défendre mais si je la repousse, j'anéantirais mes chances d'obtenir leur aide. Je reste immobile et me racle la gorge avant de choisir mes mots avec soin :
— Je suppose que tu parles de Matt. Lana m'a empêchée de le tuer. Après lui avoir tiré la vérité, je lui ai accordé ma confiance. La dernière fois que je l’ai vu, il se portait aussi bien que nous tous. D’ailleurs où est-il ?
Annotations
Versions