18/ TRAHISONS : CLÉMENT
Le regard de Carole durcit encore lorsqu’elle se poste juste devant Lana. Elles sont nez à nez. Je suis prêt à intervenir si elle lève un seul doigt en direction de ma femme. Elle parle d’une voix très calme, mais profondément sourde :
— Je t’avais prévenue, tu n’as visiblement pas bien compris qui nous sommes puisque tu n’as pas écouté mon conseil.
Je sens la rage l’animer, elle ne va plus se contenir longtemps. Lana est beaucoup plus forte aujourd'hui. Néanmoins, je me rapproche pour pouvoir les séparer le cas échéant.
Un vacarme retentissant nous fait tous reculer et nous tourner vers la baie vitrée qui vient de voler en éclat. L’épais rideau bouge et laisse apparaitre un homme. Il est couvert de sang, de la tête aux pieds.
Un malaforme ? Personne ne réagit, pourquoi ? Non, c’est un tueur de traqueurs, ce n’est pas un monstre.
Son regard survole tout le monde, s’arrête sur ma femme, puis sur moi. Au moment où ses yeux me quittent pour retourner se poser sur Lana, je décèle une pointe de dédain, ou de haine. C’est ridicule, je ne connais pas ce type ! Elle vient de l’appeler Matt ! Je comprends mieux. C’est le frère des deux autres.
Les propos qu'il tient, désinvolte, me font froid dans le dos. Il raconte avoir vidé les humains de la plage de leur sang. Mais de quoi parle-t-il ? Lana à l’air déçue, Sandrine profondément dégoutée. Clyselle et Bob, tout comme moi, n’en croient pas leurs oreilles et les enfants sont terrifiés.
Il passe devant moi avec un regard assassin et s’éloigne dans un couloir. Tant mieux. Que fait Lana ?Elle ne va pas le suivre ! Je n’ai pas le temps d’esquisser le moindre geste que Sandrine saisit délicatement mon bras et me parle avec douceur :
— Laisse-la faire. Elle seule pourra le convaincre.
— Tu peux m’expliquer ce qu’il se passe ? Qui sont ces gens que tu nommes démons, ce que voulait dire ce type et pourquoi ma femme est la seule personne à pouvoir lui parler ? Pourquoi voulais-tu le tuer alors que tu as besoin de leur aide ? Je ne comprends rien.
La soeur approche et s'adresse à moi, mielleuse :
— Tu es Clément, c’est bien ça ? Je vais tout te raconter, dans le moindre détail. Mais assieds-toi, je t’en prie, tu vas avoir des surprises.
— Assez, Carole ! Si Matt reprends ses esprits, nous nous rassemblerons pour discuter. Choses que visiblement vous n’avez pas pris le temps de faire quand vous vous êtes retrouvés. Nous irons à l’essentiel, le reste ne nous regarde pas.
La femme ne partage pas son point de vue et grimace quand elle se tourne vers lui pour répondre :
— Tu trouves que cela ne nous regarde pas ?
— Carole, s’il te plait, se radoucit Jonathan. Sois patiente.
Lana nous rejoint, seule et mal à l’aise face à nos expressions interrogatives.
— Il… Il est en colère. Il a pourtant écouté ce que je disais. J’ignore si cela changera quelque chose, mais je pense que s'il n'a pas tenté de m’égorger c'est que tout n’est pas encore perdu.
— Mais de quoi tu parles ? je demande un peu fort, de plus en plus agacé.
— Il te doit l’état dans lequel il est !!! hurle Carole.
Avant que je ne puisse réagir, Carole se jette sur Lana, la renverse, la cloue au sol. Sa tête rebondit sur le sol. Bob crie, s'appête à s'interposer, mais est retenu par Clyselle. Un courant d’air m’oblige à faire quelque pas en arrière tandis que la folle se retrouve étendue parmi les morceaux de verre de l’ex baie vitrée, Matt agenouillée sur elle. Les deux mains sur sa poitrine, il la maintient dans sa position. Face à face, ils luttent dans un duel de regards.
Lana s’est assise. Je l’aide à se relever. On va devoir surveiller ses réactions, vu le choc sourd qu'on a tous entendus et la bosse qui apparait déjà. Au moindre signe anormal, Sandrine pourra l’aider. C’est une sorcière après tout. Les habitants de cette maison seraient-ils bien des démons, des vampires ? Non, impossible. Pourtant…
Les deux autres se sont redressés, eux aussi.
— Je vais me rafraichir, déclare Matt avant de poursuivre, indécis. Puis j’écouterai ce que vous avez à me dire et je déciderai ensuite si je vous aide. Je me suis lassé d’aider les gens. Pour ce que cela me rapporte…
Il repasse la baie vitrée. Ouf, je crois que cet homme est plus dangereux encore que les traqueurs. Lana, non ! Elle se précipite à sa suite encore une fois !
Elle revient vite, me prend la main et m’entraîne dans le couloir. En bas d’un escalier, elle m’ordonne de ne surtout pas regarder les tableaux. Nous traversons de nombreux couloirs. J’ai l’impression que ce sont toujours les mêmes, mais les pierres au sol ou aux murs sont différentes et les portes disposées d’une autre manière. Enfin, elle s’arrête devant l’une d’entre elles.
— C’est ici que je me suis entraînée, en grande partie. C’est Matt qui m’a enseigné. Ici et dans un champ, et aussi dans une maison voisine. Il est très fort.
— Je ne sais pas quoi penser d’eux. Une idée m’est venue, mais je n’arrive pas à y croire. On dirait des vampires.
— Tu as raison. Enfin, presque. Ce sont des enfants de vampires, des dhampires. Tu auras toutes les explications tout à l’heure. Pour en revenir à Matt, il n’est pas le monstre que tu crois. J’ai ma part de responsabilités dans son état d’aujourd’hui. Carole a raison.
Je la sens mal à l’aise, et je n’en mène pas large non plus. Je crois avoir saisis où elle veut en venir et on n’a pas besoin de ça, surtout en ce moment. On a d’autres soucis. Je comprends mieux les regards désagréables de ce type maintenant. J’aime ma femme, mais je me demande bien comment elle a réussi à mettre un vampire à ses pieds ! Néanmoins :
— Je ne suis pas sûr de comprendre. J’en ai peur aussi.
— Il y a pourtant certaines choses que tu ne dois pas ignorer. Au tout début, nous nous disputions sans cesse car il m’empêchait de partir à votre recherche. Il m’empêchait juste d’aller me faire dévorer par ces créatures. Il m’a aidée à muscler mon corps, et m'a appris à me battre. J’ai commis une erreur, une fois, qui a failli lui couter la vie. Pourtant, il a continué à m’entrainer et m’a accompagnée partout où j’avais l’espoir de vous trouver. Il faut que tu comprennes que nous avons passé beaucoup de temps ensemble, seuls. Ça crée des liens. Nous avons fini par mieux nous accepter avec nos différences. Jusqu’à ce que nous retrouvions les enfants. Il m’a laissée récupérer ma vie.
Une question me torture, mais je connais la réponse. Les regards qu’il a posé sur nous, ses paroles, et cette conversation me reviennent à l’esprit et ne laissent plus aucune place aux doutes. Mon monde s’écroule encore une fois. Pour une nouvelle raison. La première m’a provoqué peur et terreur, mais celle-ci lacère mon cœur. Pourrai-je pardonner ? Aurai-je la possibilité de rivaliser ? Lana aura-t-elle la force de lui résister et de faire le bon choix ? Je dois tout faire pour ça.
— Sa toilette doit être terminée. Nous devrions aller les rejoindre, je prétexte pour éviter de poursuivre cette désagréable conversation. Nous sommes plusieurs à avoir encore beaucoup de zones d’ombre et ils doivent nous attendre. Sandrine a des choses à dire, elle aussi.
Les deux frères et la sœur, adossés contre un mur, nous laissent profiter des canapés. Je suis près de ma femme, un bras autour de ses épaules. Ainsi propre et bien habillé, je comprends mieux que Lana se soit laissé amadouer par l’autre type. C’est un bel homme…
Carole semble s’ennuyer et surtout être contre l’idée des révélations à venir.
C’est Jonathan qui prend la parole.
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