24/ UNE PETITE DANSE : SANDRINE

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J’ai la solution. Nous allons devoir agir vite. Je vais leur faire part du déroulement des opérations quand nous nous réunirons tous ce soir pour le souper. J’espère qu’ils comprendront. Ma fille ne se joindra pas à nous. Elle est contre mes décisions et essaye de me persuader de prendre encore quelques jours pour trouver d’autres moyens. Je comprends, mais cette malédiction n'a que trop duré et nous devons agir avant l'extinction de la race humaine.

Je dois informer Matt de ce qui nous attend. Il mérite de savoir avant les autres. Je pars à sa recherche sans tarder.

Il se cache dans un arbre, à l’arrière de la maison. Accroupi, il épiait je ne sais quo et m’a surprise quand il a surgit devant moi pour me barrer la route.

Cet homme m’effraie toujours. Je n’ai pas oublié qu’il est un démon dont je dois rester méfiante. Il est capable de se montrer sans pitié. Je lui fais un signe des mains que j’espère apaisant. J’imagine que lui aussi doit me craindre, car en fin de compte, je lui ai fait plus de mal que lui ne m’en a fait…

— Je suis en train de devenir fou, me confie-t-il.

Parle-t-il de Lana, du fléau ou des deux ? Je lui fais le récit de mes recherches qu'il écoute sans m'interrompre, tantôt sceptique, tantôt curieux. Il acquièsce d'un signe de tête puis saute retrouver sa branche d'arbre, sans doute pour méditer les nouvelles informations.

C’est un être torturé par son côté démoniaque et par son humanité. Il hésite entre le mal qui lui offrirait une vie si facile et le bien par lequel il vient de découvrir les ravages de l’amour. À moi de le convaincre une bonne fois pour toutes. Le meilleur moyen de l’empêcher de faire marche arrière, c’est d’exposer nos plans devant les autres. Devant Lana, car il refusera de la décevoir encore une fois.

Le moment est venu de se réunir autour de la grande table de la cuisine et c’est en silence que Matt et moi regagnons la maison.

Il n’y va pas par quatre chemins. Tant mieux, cela signifie surement que sa décision est ferme et définitive.

— Sandrine a des révélations à faire, dit-il, debout en bout de table alors que chacun a déjà pris place.

Il m'invite à me lever et à prendre la parole. J'espère qu'ils auront suffisamment foi en moi...

— Dans quelques jours, tout sera terminé. Quelques préparatifs sont encore à prévoir, mais Matt et moi devons nous tenir prêts.

— Pourquoi as-tu choisi mon frère pour t'assister ? demande Carole, désapprobatrice.

— Elle ne m’a pas choisi, je me suis proposé.

— J’ai mes raisons pour l’avoir accepté, tout comme il a les siennes pour être venu me trouver. J’ai décidé de ne pas entrer dans les détails. Nous vous tiendrons informés de ce que nous prévoyons au fur et à mesure. Voilà ce que vous avez besoin de savoir pour l’instant : je vais avoir recours aux rituels et aux incantations. Je vais aussi pratiquer la magie noire. Donc moins vous participerez et moins vous en saurez, mieux cela permettra la réalisation de notre projet. Le reste viendra plus tard.

Mon partenaire approuve du regard.

— Tu vas faire des trucs risqués d’après ce que j’ai compris, reprend la soeur. Ce n’est pas malhonnête de votre part de nous laisser dans l’ignorance ? Nous avons le droit de savoir à quoi vous vous exposez et peut-être nous par la même occasion !

— Je répète : moins vous en saurez, mieux cela vaudra…

— J’approuve Sandrine, intervient Matt avec assurance. Pour le bien de tous, il n’est préférable de vous prévenir qu’au dernier moment, quand vous n’aurez plus la possibilité de vous opposer.

— Nous opposer ? Qu’entends-tu par-là ? sursaute Lana, la voix inquiète.

— Matt, tais-toi, s'il te plait, j'implore du regard. Tu en as déjà trop dit, j'insiste en désignant Lana du coins des yeux.

— Tout cela me semble beaucoup trop dangereux ! s'obstine-t-elle.

Elle fixe Carole, puis Jonathan dont les visages restent dirigés sur leur frère. Faute de leur appui, elle se tourne vers Robert, avant d'implorer ses enfants, et enfin son mari. Ce dernier hausse les épaules, en signe d'incompréhension. Sans doute espère-t-il beaucoup des risques encourus par son rival. Lana m'agace profondément. Autant j'apprécie le reste de sa famille, autant le comportement de cette femme m'horripile !

— Lana ! je l'apostrophe. La magie noire est dangereuse, les vampires sont dangereux. Et les malaformes, qu’en penses-tu ? Ce n’est plus qu’une question de temps pour que nous mourions tous. Nous devons faire quelque chose et c’est pour cette raison qu’on nous a permis d’entrer ici à ma fille et moi ! J’aurai pu commencer le travail avec Matt, sans vous en avertir. Nous ne l’avons pas fait, par correction, par respect. Ne nous le faîtes pas regretter. Nous vous avons expliqué notre point de vue. Sachez que nous ne changerons pas d’avis.

— Bien, je propose de fêter ça ! lance Matt sur un ton joyeux. Sandrine a trouvé une épilogue à ce chaos, vénérons là ! Vive notre sorcière !

Il tente de détourner leur attention et débouche une bonne bouteille de vin. Il va même jusqu’à demander à Jonathan de sortir sa guitare, mais ils sont tous trop hantés par les questions demeurées sans réponses.

Carole me toise d’un regard noir et profond. Elle tente de lire en moi. Je reste de marbre. Matt s'entête auprès de son frère au point qu'il abdique et quitte la pièce, pour revenir quelques minutes plus tard, chargé de son instrument. Mon acolyte nous prie alors d'emporter nos assiettes d'igname jusqu'au salon et de nous assoir autour de la table basse.

La boisson et les airs apaisants que nous joue Jonathan remplissent bien leur rôle. L’alcool anesthésie nos esprits affligés, tandis que la musique tranquillise nos nerfs et nos muscles épuisés. Nous écoutons en silence, en cercle sur le tapis du salon, quand ma fille fait son apparition, attirée par le son des douces mélodies. Elle s’installe à mes côtés et j'entoure sa taille de mes bras. Alors je commence à chanter, nous nous balançons avec douceur, elle et moi, de droite et de gauche. Samantha me sourit tandis que le reste du groupe nous imite. Matt romp cette douce quiétude quand il se lève et m’invite à danser. Je reste tout d’abord indécise, stupéfaite. Pourquoi pas ? Il pousse la table et nous commençons à tournoyer au milieu des autres, bientôt rejoints par Bob et sa femme, puis Clem et Lana. Mon cavalier profite alors des notes d’une nouvelle mélodie pour changer de partenaire. Nul besoin de citer le prénom de ma remplaçante. Elle hésite. Son mari ne semble pas trop confiant, pourtant, elle accepte l’invitation. Dommage, c’était agréable de se laisser porter par la musique et guider par cet homme habile. J’ignore quelle nouvelle idée saugrenue il peut bien avoir en tête, mais son petit jeu pourrait se révéler très dangereux pour la suite des évènements. Si je les interrompe, il risque de se braquer, de me le faire payer, ou pire encore. Ils sont très proches. L’une de ses mains la maintient contre lui, comme s’il craignait qu’elle ne s’écarte. L’autre est cachée par ses cheveux, dans son cou. Son cou dont il ne parvient pas à détacher les yeux ! Je vois déjà ses deux canines, de chaque côté de ses lèvres. Il va la mordre ! Devant nous tous ! Par chance, je ne suis pas la seule à avoir compris. Carole s’est redressée pour se jeter sur eux et les séparer.

— Stop, Matt !

Il a déjà saisit sa sœur par le cou et entrainée contre le mur, le visage déformé par la rage. Il grogne et respire bruyamment. Je crois qu’il lutte contre lui-même. Il a dû desserrer son étreinte car elle parvient à articuler quelques mots :

— Quoi que tu aies décidé de faire, fais-le ailleurs !

Il s’est ressaisit quand il la relâche pour nous faire face, le visage inexpressif, les crocs rangés !

— Je vais m’isoler, explique-t-il d'une voix sourde, le regard vague. Sandrine restera mon unique interlocutrice. Demain, je m’occuperai des dépouilles qui encombrent la rue. Je vous présente mes excuses pour mon comportement.

Il passe devant nous, hautain comme à son habitude, et marque une pause devant Lana.

— Pardon d’être ce que je suis, glisse-t-il à son oreille sans le regarder.

Il prend la direction des escaliers. Elle a baissé la tête. Elle prend une profonde inspiration, fixe un point devant elle et le rappelle :

— Il faut qu’on parle, toi et moi. Suis-moi, s’il te plaît.

Elle se dirige vers la porte d’entrée, raide comme un piquet, indifférente à nos airs ébahis. Elle ne prend pas la peine de l’attendre, certaine qu’il va lui obéir.

Lui, par contre, revient tranquillement, fier comme un coq, un sourire de triomphe sur les lèvres.

— Toi, tu ne bouges pas ! hurle Carole alors qu'elle se rue sur Clément. Le pauvre esquissait déjà un pas pour les suivre. La démone scrute le plus jeune des enfants, toutes dents dehors. Par chance, le petit ne remarque rien, préoccupé de voir sa mère s’éloigner. Son père, par contre, a parfaitement saisi. Nous autres aussi, d’ailleurs.

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