26a/ PARDON : MATT
J’ouvre la porte des appartements des sorcières sans prendre la peine de frapper, emporté par ma détresse. La stupeur se lit sur leurs visages. Je reste sur mes gardes, à attendre qu’elles m’invitent à entrer. Je n’ai pas oublié qu’elles possèdent les moyens de se défendre. Qu’attendent-elles pour m’autoriser à avancer ? Je ne montre à leurs égards aucune agressivité. Samantha semble effrayée mais un seul signe de sa mère l’encouragera à me repousser d'une manière... brutale. Sandrine me jauge, les yeux quasi fermés. Je vais bientôt perdre patience. J’ai seulement besoin de… Je ne sais même pas de quoi j’ai besoin.
— Il faut que cela cesse. J’ai failli la tuer cette fois, je râle pour leur souffler la raison de mon intrusion.
— Tout sera bientôt terminé. À moins que tu n’aies changé d’avis, vu ta mine déconfite, s'enquiert la sorcière, avec une once de supériorité.
— Non, je t’ai dit que je voulais en finir.
J’entame le récit de mon dernier tête à tête avec Lana. Je m’emporte, traverse la pièce de long en large, fais de grands gestes des bras, parle fort… Je passe les détails sur notre étreinte passionnée. J'en frémis encore et je refuse de partager ça avec qui que ce soit.
Je suis surpris que Sandrine me prête une oreille aussi attentive. C’est la première fois que je confie mes sentiments et mes émotions, et je me rends compte que cela apaise quelque peu ma peine. Elle semble me comprendre, mais a l’air stupéfaite par la force de cette passion.
— Débarrasse-moi de cette souffrance qui m’habite, qui torture mon âme et me consume à l’intérieur.
— J’ignore si la magie suffira car vos sentiments sont extrêmement profonds. Le rituel pour augmenter mes capacités ne sera pas superflu.
Elle m’explique l’ordre des sortilèges qu’elle va pratiquer, sans omettre ni les effets, ni les conséquences.
— Puis-je rester ici ? je demande, écœuré par ce que je suis devenu. Je vais tourner en rond si je reste seul et je risque de péter un câble. Tu comprends, n’est-ce pas ?
— Assieds-toi sur la chaise. Je ne veux pas t’entendre lors des rituels. Pas un mot, pas une seule remarque car la magie à laquelle nous allons déclencher est dangereuse. Bien plus que toi, ton frère et ta sœur réunis. Un seul mot peut inverser un sort ou le diriger contre nous. Je dois rester concentrée. Est-ce que tu mesures bien les risques ? Bien, allons-y.
Après avoir placé avec soin tous les objets nécessaires sur le guéridon, elle me rappelle d’un dernier coup d’œil de rester sa à ma place. Le divertissement qu'elle me promet attise ma curiosité et apaisera mes sombres pensées.
Elle vérifie que les pointes de son pentacle sont dirigées dans la bonne direction et dépose des bougies noires devant elle avant d'attraper un bol et de réciter :
— J’appelle l’Elément de la Terre afin que par son pouvoir, ma personne soit protégée.
À l'arrêt devant la petite table, elle parsème quelques grains de sel sur ses outils puis trace son cercle de protection.
Elle s'empare d'une bougie rouge avec laquelle elle appelle la force du Feu, ou son Elément. J’ai bien envie d’ouvrir une fenêtre car l’air devient lourd, mais je ne veux pas perturber la sorcière. Elle laisse tomber quelques gouttes de cire sur le pentacle. La magie me paraît compliquée, trop de choses à réunir, trop de formules à répéter, pourtant, je suis admiratif devant la foi que lui accorde Sandrine. Ses gestes sont habiles et son ton assuré. Elle m'impressionne.
Au moment où elle appelle l’air, je perçois le frémissement d'un rideau et me demande si je n'ai pas rêvé. Elle boit un liquide dans une coupelle. Elle doit avoir soif à force de prêcher. Elle appelle l’Eau, bien sûr.
Elle attache maintenant des feuilles à l’aide d’une ficelle rouge et provoque une réaction incontrôlable en moi lorsqu’elle se coupe les doigts, et qu'elle laisse couler quelques gouttes de sang. Sur une dague en plus ! Je remue sur ma chaise et m’exhorte au calme, malgré mes gencives qui me font mal. Les doigts crispés sur les bords de mon siège, je tente de serrer les dents. La main de Samantha se pose sur mon bras, apaisante. Pourtant, mes sens aiguisés et la vue, ainsi que l’odeur du liquide rouge m’appellent. Je voudrais regarder ailleurs, mais mes yeux ne m’obéissent plus. Sandrine parle de volonté, de sacrifice et de ténèbres ! Elle vient de demander de meilleures capacités. Elle plonge sa dague dans la coupelle qu’elle lève au ciel et réitère sa réclamation. Je n’entends plus que les mots sang et ténèbres. Je suis soulagé quand, enfin, elle vide le contenu de la coupelle dans sa bouche. J’aurai préféré le consommer moi-même, mais au moins, je vais pouvoir reprendre le contrôle de mon esprit.
Elle s’assied au sol et attend. Soudain, elle tressaille. Son corps se balance d’avant en arrière et de gauche à droite. Elle est en transe ou quoi ? C'est flippant !
Enfin, elle se relève pour libérer et remercier chaque Elément invoqué en touchant son pentacle.
Elle détache une ficelle noire de la dague et la noue à son poignet. Pareille pour la ficelle rouge qui liait les feuilles.
Je suis incrédule. Elle a remercié tout le monde, ce n’est pas encore fini ? Ses yeux se posent sur moi, quelques secondes, puis se plantent sur Samantha.
— Ma chérie, quand tout sera terminé, n’oublie pas de brûler la ficelle noire et les feuilles de rose pour chasser une éventuelle entité ténébreuse malveillante.
Ses mots réveillent ma douleur. Elle s’est amplifiée, d’ailleurs. Je grimace, les mains sur les tempes, alors que es battements de mon cœur se répercutent dans ma tête, frappent en rythme mes yeux, mes mâchoires, mes oreilles et mon crâne. Encore une nouveauté. Je n’ai jamais souffert de la sorte, jusqu’à maintenant, les migraines m’étaient totalement inconnues.
Je suis forcé de regagner ma chambre car les deux sorcières descendent rejoindre les autres pour partager un maigre repas.
Je ne peux pas les accompagner, à cause de la promesse que j’ai faite à ma sœur. Comment pourrai-je tuer Lana ? Bon, d’accord, j’ai failli l’étrangler toute à l’heure, mais mon accès de rage passé, je n’ai plus aucune intention d’honorer ma parole. De toute façon, je n’ai pas faim. J’ai soif. J’ai envie, besoin d’une boisson rouge, épaisse, aux parfums si particuliers.
Je me traine jusqu’au milieu de mon salon, accompagné de ma pesante solitude. Elle m’écrase. Le silence m’entoure. Les seuls sons que je perçois proviennent des nouveaux malaformes qui se sont agglutinés autour de la clôture. Ces monstruosités-là ne souffrent pas, elles. Leur vue finit par m’insupporter et je me réfugie à l’intérieur. Où je ne sais pas quoi faire. Je n’ai jamais connu l’ennui auparavant. En fait, je n’ai rien connu, moi qui croyais tout savoir, moi qui me faisais passer pour un humain. Eux possèdent l’émotion et les sentiments dès leur naissance. Nous, les dhampires, sommes obligés d’apprendre. Seulement voilà, personne ne nous a préparés, ma sœur, mon frère et moi à ressentir autre chose que la convoitise. Personne ne nous a expliqué que nos joies, nos peines, nos envies… seraient amplifiées. C’est notre destin d’être seul. Nous avons été complètement stupides de croire que nous pourrions y parvenir.
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