Chapitre 4
Vas était affolé dans leur petit monde intérieur au sein du cerveau de Line, il trottinait en rond depuis la discussion avec Abellona. Il se mordillait les ongles, arrachait les peaux qui dépassaient, les yeux fixés sur le sol. Oui, il n’arrêtait plus de marcher les cent pas. Évidemment, il avait entendu leur conversation depuis l’intérieur. Rien ne lui échappait.
Les yeux rivés sur le sol, Vas était captivé par ses propres pensées tourbillonnantes. La discussion qu'il avait entendue entre Line et Abellona résonnait encore dans son esprit. Chaque mot, chaque révélation, l'avaient profondément troublé.
Vas était habitué à observer et à comprendre les émotions de Line, à anticiper ses réactions. Mais cette fois, il se sentait impuissant face à la complexité de la situation.
Vas continuait de marcher les cent pas, incapable de trouver le calme intérieur. Alors, se rappelant de tout ce qu'il avait appris en observant Line, Vas prit une profonde inspiration et décida de se concentrer sur l'essentiel.
— Non, mais tu t'en rends compte ! Hercerg a probablement déjà éliminé toutes les preuves comme quoi la tellicratie n’est pas si rose que ça.
Line plissa légèrement les yeux, prenant un instant pour réfléchir à la situation.
— Abellona disait ça comme ça, répondit Line. Rien ne prouve qu’il fait comme Louis XV.
Vas secoua la tête, un sourire ironique se dessinant sur son visage.
— Trop charmant ce Lukas. J’en tomberais presque amoureux.
— Fais pas l’idiot.
Le ton de Vas devint plus sérieux.
— C’est toi qui fais l’idiote ! Il n’y a plus aucune liberté d’expression, mais toi, ça ne te fait rien.
Line croisa les bras, son expression devenant plus sérieuse.
— En quoi il n’y a plus aucune liberté d’expression ? demanda-t-elle d'un ton calme, cherchant à comprendre les préoccupations de Vas.
Vas prit une profonde inspiration, cherchant ses mots.
— Supprimer les dystopies, c’est déjà trop.
Line haussa les épaules, adoptant une posture plus défensive.
— Et tu ne te dis pas que s’il n’y a plus de dystopies, c’est parce que les romanciers sont comblés politiquement ? Que la tellicratie apporte ce dont on a besoin et donc, il n’y a plus matière à la critiquer ?
Vas secoua la tête avec vigueur.
— Tu te rends compte qu’on ne peut même plus trouver des anciens livres d’antan ? On ne sait quasiment rien de notre passé.
Line prit une pause, son regard se perdait dans la distance.
— On l’apprend à l’école.
Vas la regarda avec incrédulité.
— On apprend ce qu’on veut apprendre. Ce que le gouvernement veut faire passer comme message. Bizarrement, on ne sait pas comment les grands régimes politiques se sont effondrés.
Le silence s'installa entre eux, chargé de l'ampleur des révélations et des questionnements qui trituraient leurs esprits.
Les manuels scolaires avaient été remaniés il y a des siècles déjà, et bon nombre de chapitres avaient été évincés pour laisser l’histoire en superficialité. Plus personne ne savait ce qu’était la Révolution française. Pourquoi ? Parce que ça aurait été donner un exemple à la population sur la façon de détruire un gouvernement, un régime politique, une hiérarchie sociale. Eh oui, Hercerg était malin, il n’avait pas 162 de QI pour rien.
Au fil des années, tout un système de maintien de la tellicratie avait été mis en place. À commencer par les arts, la meilleure propagande pour faire passer la pilule. Si tout le monde lisait que la société était parfaite alors tout le monde se persuadait qu’elle l’était réellement. On ne la dénonçait plus, on la préférait à ses prédécesseurs. On ne disait plus, « les gens se suicident », mais « les gens se suicident quinze fois moins qu’il y a deux siècles ». Tout était tourné positivement pour entrer dans le crâne des citoyens que tout était positif.
Les médias et les canaux de communication étaient également sous contrôle. Les informations diffusées étaient filtrées et manipulées pour s'aligner avec la vision idéalisée de la tellicratie. Les critiques ou les opinions divergentes étaient étouffées, présentées comme des remontées du passé sombre à éviter à tout prix. L'idée de remettre en question le système en place était découragée et stigmatisée. La peur de représailles et de conséquences négatives incitait les gens à se taire, à accepter le discours officiel et à croire en la perfection de la tellicratie.
Si Abellona se doutait que le gouvernement tramait quelque chose, qu’une censure existait bel et bien, alors Vas…
— Censure ! Censure ! Censure ! Elle est partout ! Hercerg domine et nous, on accepte d’être des dominés. Hercerg est une ordure, une vraie ordure. Et moi, j’ose le dire. À bas Lukas Hercerg !
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