Fourmilière - Partie 1

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 Accablée de fatigue, traînant des pieds et trébuchant souvent sur le sol rocailleux et poussiéreux, Pénélope avait l'impression de frire sous le soleil du désert. Elle avait noué son hoodie autour de sa taille et avait ôté ses collants, avec lesquels elle s'était confectionné un turban rudimentaire pour se protéger de l'insolation. Malheureusement, elle n'avait rien pu faire pour ses Docs à talons en cuir dans lesquelles ses pauvres pieds meurtris et cloqués baignaient dans la sueur.

 Elle interrompit la discussion qu'elle avait avec son ami Cassius pour lui redemander :

« - Excuse-moi, tu as bien dit que tu nous menais vers une oasis ?

- Je ne peux pas en être sûr, mais c'est ce qui me semble le plus logique. »

 Le jeune homme posa trois doigts sur le tatouage qui ornait son avant-bras droit, une rose des vents entremêlée d'une spirale, et les tourna d'un quart de tour vers la gauche. Un halo rouge enveloppa son bras, et une flèche lumineuse apparut dans la paume de sa main.

« - Tout ce que je peux te dire, c'est que si nous voulons rentrer chez nous, c'est dans cette direction. »

 Pénélope lui attrapa la main et la tourna sans ménagement.

« - Aïe ! Qu'est-ce que tu fais ?

- Désolée, désolée. Je ne voulais pas te faire mal. Mais je n'arrive toujours pas à croire que tu fasses de la magie !

- En fait c'est le tatouage qui est magique. Moi je ne fais que bouger mes doigts, tu sais ?

- Tu dis ça comme si c'était normal ! rit la jeune femme.

- Ça l’est pour moi. Ça fait partie de mon quotidien.

- Tu viens d'une famille de sorciers, c'est ça ?

- Tu dis ça parce que je suis noir ? »

 La jeune femme resta interdite une seconde, jaugea l'expression de son ami, remarqua la commissure de ses lèvres légèrement relevée, et lui envoya son poing dans l'épaule en lui rétorquant :

« - Espèce d'idiot, tu crois que c'est le moment de me mettre mal à l'aise ?

- C'était trop tentant ! Non, en fait, ma famille est tout ce qu'il y a de plus normale. Il y a deux ans j'aurais probablement eu la même réaction que toi face à tout ça. Ça fait partie du boulot et j'ai fini par m'habituer.

- Attends, pourquoi est-ce que tu aurais besoin de magie pour faire ton boulot à la laverie ?

- Euh, disons mon deuxième boulot. Tu as sûrement compris que ce n'était pas qu'une laverie ordinaire...

- Oui, non. C’est pas ce que je voulais dire, balaya-t-elle d’un geste de la main en grimaçant. Désolée mais je viens de découvrir qu’un monde de magie existe, et il faut que j’arrive à assimiler le fait qu’il existe dans mon monde.

- Tu sais, de ce que j’ai appris, beaucoup d’êtres magiques se cachent dans notre monde à nous. Ils sont discrets, mais apparemment c’est plus courant qu’on pourrait le croire.

- Je ne parlais pas de notre… Planète ? Ou plan ? Peu importe. Non, ce que je pensais c’est… Pourquoi moi ? Franchement, je ne sors jamais en dehors du boulot et des corvées, à part mes élèves tu es quasiment la seule vie sociale que j’ai, je vis pour ainsi dire dans une bulle. Une toute petite bulle restreinte, précisa-t-elle en rapprochant son pouce et son index. Et là, ce soir, je vois ce bonhomme avec son… Et toi tu me racontes que… Enfin merde on parle d’une simple laverie ! »

 Cassius la regarda en coin, surpris par cette soudaine explosion de colère. En la voyant s’éponger le front d’un revers du bras, il comprit que la chaleur accablante du désert lui avait fait perdre le fil de ses pensées, qui devaient déjà être très confuses. Il s’efforça d’être le plus clair possible quand il expliqua :

« - En fait la laverie a une grande importance pour beaucoup de monde. Elle sert à la fois de lieu de rassemblement et d'asile. Et aussi en quelque sorte de clinique. Mais pas directement. Pour ça, je me sers la plupart du temps du portail.

- La grosse machine à laver, clarifia Pénélope en essayant de tout comprendre.

- C'est ça. Les clients me donnent une tessère, une sorte de jeton magique, que je mets dans la machine, et elle nous emmène dans le lieu le plus approprié pour m'occuper de la créature.

- Donc on a vraiment été téléportés dans un autre monde ? Je n’arrive pas à croire que j’ai dit ça, rit-elle en secouant légèrement la tête.

- Désolé si je minimise l’expérience, mais je suis quasi-sûr qu’on est toujours sur Terre. Je dirais quelque part en Afrique de l’Est, si je reconnais bien le type de paysage.

- Et un désert africain c'est le lieu idéal pour le netun de tout à l'heure ?

- Non clairement pas, soupira Cassius. Mais c'est sûrement pour ça qu'il n'est pas avec nous, et son maître non plus. Il a fait n'importe quoi avec le portail ! On a déjà de la chance d'être ensemble. Mais eh ! Bravo, dit-il en regardant son amie. Tu as vite retenu le nom du petit gnome !

- J'apprends vite, c'est pour ça que j'aime autant les études, tu sais ! Mais dis-moi, comment as-tu fait pour savoir que tu trouverais un travail comme celui-là dans cette laverie ? Je ne sais déjà pas ce que je ferai de mon doctorat en Histoire quand je l'aurai, je n'ose pas imaginer comme ça doit être galère dans ta branche ! »

 Le jeune homme rit aux éclats.

« - Tu crois que j'avais mon diplôme de soins aux créatures magiques ? Je t'ai dit que je ne connaissais rien de ce monde il y a encore deux ans. Le patron de la laverie ne sait pas ce qu'il s'y passe ! Moi, je voulais juste un job peinard la nuit. Tu comprends ça je pense. Et un soir un vieux bonhomme est venu m'expliquer que ce lieu était spécial, et qu’en y travaillant la nuit, j'avais plus ou moins accepté une responsabilité de gardien.

- Tu n'as pas eu le choix ?

- Je ne sais pas trop, répondit-il après avoir réfléchi quelques instants. En fait j'étais trop émerveillé et enthousiasmé par ce qu'il me racontait, et je n'ai même pas songé à refuser.

- Donc la boutique n'est qu'une façade ? Je me sens un peu idiote de n'avoir rien vu pendant tout ce temps...

- Non la boutique est bien réelle, sinon tu ne pourrais pas venir y bousiller tes fringues tous les jeudis.

- Mais la ferme ! s'offusqua son amie. J'ai fait beaucoup de progrès !

- Ta chaussette était pleine de bouloches ! D'ailleurs tu n'as pas répondu à la photo que je t'avais envoyée. »

 La jeune femme songea à ce qu'elle avait en tête en venant à " la vingt-quatre quatre ". Ce message qui l'avait fait sourire dans le week-end, et ce moment fugace qu'ils avaient partagé tous les deux. Ses pensées étaient alors trop confuses, et elle avait préféré en parler de vive voix. Elle s’apprêtait à le faire, mais une autre question qui lui sembla plus urgente lui traversa l'esprit.

« - Le client de la semaine dernière. Le grand type flippant. C'en était un, pas vrai ?

- Un quoi ?

- S'il te plaît ! Tu peux bien me le dire maintenant. C'était un genre de monstre ?

- On évite d'utiliser le terme de monstre.

- Désolée.

- Je comprends, admit Cassius avec un signe de tête et un sourire. Mais oui, c'en était un. Un krampus pour être précis. Il était bien amoché le pauvre. En plus je l'ai engueulé parce qu'il m'a obligé à te mettre dehors, alors qu'ils ne sont pas censés se montrer devant les clients ordinaires.

- Je te remercie pour le "ordinaire", le taquina Pénélope.

- J'ai hésité à dire "normaux" mais je n'aime pas la hiérarchie "normal/anormal".

- Je comprends, dit la jeune femme à son tour. Ce boulot doit faire relativiser pas mal de choses. Perso, je ne suis au courant que depuis quelques dizaines de minutes et j'ai un milliard de questions en tête ! Au fait, j'en ai déjà vu d'autres ?

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- D'autres clients... VIP, précisa-t-elle en mimant des guillemets avec ses doigts. Camouflés, pendant que j'étais à la boutique ?

- Tu sais, c'est pas à moi de dévoiler... L'anonymat c'est important dans ce genre d'endroit.

- Ça veut dire oui ! C'est qui ?

- J'ai pas dit ça ! N'essaie pas de m'extorquer un nom ! Et en plus... Attends une minute.

- Change pas de sujet, tu en as déjà trop dit.

- Non, je suis sérieux. Je crois qu'on est arrivés. »

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