Fourmilière - Partie 2
Les deux amis fixèrent un instant la flèche dans la paume de Cassius, qui tournoyait comme une boussole au-dessus d'un aimant, puis ils levèrent les yeux sur un énorme monticule de terre grisâtre. Ils en firent lentement le tour. À mesure qu’ils marchaient, la flèche se déplaçait pour rester fixée sur le centre. Cassius grimpa précautionneusement en tâchant de ne pas glisser sur la terre et les cailloux, pour découvrir au sommet une ouverture d'une soixantaine de centimètres de diamètre.
« - Je crois qu'il faut qu'on descende, dit-il en se penchant vers le trou.
- Tu n'es pas sérieux ? C'est pas franchement l'oasis que tu m'avais promise !
- Je n'ai rien promis, se défendit-il. Et jusque-là, ma boussole n'a jamais menti. Le portail de retour est forcément là-dedans.
- Non vraiment, je le sens pas du tout le délire spéléo dans le tertre maudit. Il n'y a vraiment pas un autre moyen de rentrer chez nous ? »
Cassius se laissa glisser mi-debout mi-accroupi pour la rejoindre et lui répondit en époussetant ses mains :
« - La seule autre solution c'est de continuer à marcher dans le désert jusqu'à trouver quelqu'un qui puisse nous aider, en espérant qu'on parle la même langue, et essayer de retourner dans notre pays, alors qu'on ne sait pas où on est, qu'on n'a pas d'argent, pas de papiers, et qu'on ne peut pas expliquer comment on est arrivés ici. »
Pénélope regarda alternativement le sourire désolé de son ami et le monticule, et finit par capituler en soupirant.
« - Va pour les draugr.
- Tu as joué à Skyrim ?
- Mec, tout le monde a joué à Skyrim. »
Les deux amis s'aidèrent mutuellement à escalader, puis Cassius jaugea l'ouverture.
« - Je n'ai pas l'impression que ce soit très profond. Tu préfères que je t'aide à descendre ? Sinon je passe le premier et je te réceptionne quand tu sautes ? »
La jeune femme s'imagina un instant tomber dans les bras de Cassius. La perspective, qui n’était pas pour lui déplaire, lui rosit les joues. De plus, elle n’avait aucune envie de se trouver seule dans ce trou, même pour quelques secondes. Elle pensa à un dernier détail avant de lui répondre :
« - Passe devant, mais laisse-moi quelques secondes. »
Il s'engouffra tête la première dans le puits et fit une roulade pour se réceptionner avec un bruit sourd sur le sol sablonneux. Il devait y avoir moins de trois mètres de hauteur jusqu'au plafond. Le trou de lumière fut rapidement obstrué par Pénélope qui passa d'abord ses pieds, et se laissa ensuite glisser dans le vide, les bras au-dessus de sa tête. Cassius se positionna en vitesse pour la recevoir tant bien que mal, tombant à la renverse dès qu'elle fut dans ses bras. Les deux amis roulèrent maladroitement dans des directions opposées, Pénélope se battant un peu avec sa jupe et Cassius avalant du sable au passage. Reprenant son souffle, il s'excusa :
« - Je pensais que je pourrais te rattraper. Je me sens carrément idiot. Tu as remis tes collants, remarqua-t-il.
- Oui, je n'avais pas envie que tu voies ma culotte pendant que je sautais, » répondit-elle franchement.
Ce fut au tour de Cassius de rougir légèrement. Son amie s'en rendit compte et sentit son cœur accélérer. La réaction du jeune homme n’était-elle due qu’à de la pudeur ? Pénélope était désormais presque sûre qu’il y avait quelque chose de plus derrière les sous-entendus et les non-dits. Mais comment pouvait-elle aborder la question ? Ne risquait-elle pas de créer une gêne ou une distance entre eux si elle se trompait ? Il valait peut-être mieux attendre qu’ils soient rentrés chez eux pour parler de tout cela. Mais elle avait déjà repoussé plusieurs fois cette discussion, et elle ne voulait pas passer à côté du bon moment.
Son fil de pensées fut rapidement interrompu par un bruit menaçant dans son dos. Elle se retourna vivement pour faire face à plusieurs dizaines de fourmis de la taille d'un chien qui faisaient cliquer leurs mandibules en sécrétant une salive blanchâtre.
« - Oh c'est pas bon, gémit le jeune homme en venant se placer devant son amie transie de peur. Elles pensent sûrement qu'on menace leur colonie. On doit pouvoir s'en sortir si on ne fait pas de mouvements brusques... »
Avant qu'il ait fini sa phrase, Pénélope avait réagi d'instinct et avait ramassé une pierre pour la lancer vers les créatures. Le projectile heurta la fourmi la plus proche en pleine tête, ce qui la désorienta quelques instants, avant qu'elle ne reprenne sa place et qu'un grondement sourd s'élève de l'essaim. Jouant le tout pour le tout, Cassius fit un tour complet de ses doigts sur son tatouage, ce qui lui permit de produire une lueur éclatante avec sa main droite et ainsi d'éblouir les créatures. Il attrapa le poignet de son amie et la traîna derrière lui en s'élançant à travers la horde d'insectes désorientés vers le tunnel. Ils parvinrent à écarter la plupart des créatures sur leur passage, mais une de celles qui étaient le plus en retrait planta ses crocs dans la jupe de Pénélope. Poussant un cri où se mêlaient la peur et le dégoût, la jeune femme parvint à se libérer d’un violent coup de botte en plein thorax. La fourmi rebondit au sol avec une stridulation plaintive qui fit s’écarter ses congénères. Pénélope leva les yeux vers la tache de lumière au plafond, mais elle sentit que Cassius la tirait à l’opposé, vers le tunnel.
« - Qu'est-ce que tu fais ! hurla-t-elle. Il faut qu'on sorte d'ici !
- Maintenant qu'elles nous ont vus, on ne sera pas plus en sécurité dehors. Il faut qu'on trouve le portail, c'est notre seule chance.
- Qu'est-ce qui te faire croire qu'on le trouvera au fond des tunnels ?
- Si j'ai bien retenu ce que j'ai lu sur ces fourmis, ce sont des myrmekes. Elles creusent des galeries à la recherche d'or. Je ne vois pas meilleure cachette pour un portail magique qu'une grotte gardée par des fourmis géantes ! »
Pénélope avait à nouveau des dizaines de questions qui se bousculaient dans sa tête, mais elle préféra économiser son souffle pour courir. Soudain, ils sentirent le sol trembler sous leurs pieds et ils entendirent le cliquetis des mandibules derrière eux. Ils n’avaient que quelques secondes d’avance sur leurs poursuivantes. Ils traversèrent les souterrains aussi vite que possible, s'enfonçant de plus en plus, toujours éclairés par le bras de Cassius. Au détour d’un couloir, Pénélope dérapa et tomba à genoux. Son ami fit demi-tour et l’aida prestement à se relever, avant de regarder derrière elle et de la plaquer contre le mur. Il éteignit son tatouage et posa son index sur les lèvres de la jeune femme pour qu’elle ne fasse pas de bruit. Ils s’étaient aplatis dans une mince crevasse dans la paroi qu’il n’aurait pas vue s’il ne s’était pas tourné. Quelques instants plus tard, la horde grouillante passa à toute vitesse sans les débusquer. Pénélope tenta de reprendre son souffle sans faire de bruit, tandis qu’elle sentait dans sa nuque la respiration de Cassius, qui s’était presque collé à elle pour prendre le moins de place possible. Après plusieurs minutes, quand ils furent sûrs que les fourmis étaient suffisamment éloignées, ils sortirent de leur cachette et reprirent leur exploration à pas rapide. Quelques couloirs plus loin, ils croisèrent un petit groupe de fourmis occupées à écorcher un cadavre de vache dans une anfractuosité. Ils firent rapidement demi-tour et empruntèrent une autre galerie avant que les créatures aient l'idée de les poursuivre.
Enfin, après de longues minutes de course effrénée, ils atteignirent le cœur de la fourmilière.
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