Complet - Partie 1
Cassius consulta l'heure sur son téléphone en sortant de la bouche de métro. Pas besoin de courir, il avait encore quelques minutes devant lui avant de prendre son poste. Un message s'afficha avant qu'il ne rempoche l'appareil. C'était Pénélope qui venait de se réveiller et lui souhaitait bon courage pour sa nuit de travail. Il pianota rapidement.
Est-ce que j'aurais la chance de te voir dans ton déshabillé avant que tu sortes du lit ?
Une réponse apparut presque aussitôt. Le jeune homme ouvrit la photo et explosa de rire au milieu de la rue. Perdue au milieu de la couverture défaite, les cheveux en bataille, vêtue d'une combinaison polaire à capuche en guise de pyjama, sa petite amie lui envoyait un baiser les yeux à demi-fermés, encore collés par le sommeil.
Tu es vraiment magnifique ! J'ai trouvé mon nouveau fond d'écran.
Le sourire toujours aux lèvres, il passa le coin de la rue et fut surpris de voir un attroupement devant la laverie. Il était déjà arrivé que des petits groupes de jeunes hommes tiennent les murs de la boutique, et qu'il leur demande de ne pas gêner l'entrée. Il n'avait jusque-là pas eu de problèmes, mais il se méfiait toujours de l'effet de meute. Cependant, il y avait ce soir-là toutes sortes de gens devant la vitrine. Quelques-uns discutaient, certains fumaient une cigarette, et d'autres semblaient attendre de rentrer dans la laverie, leurs sacs de linge posés à leurs pieds. Quand Cassius s'approcha de la porte, l'un d'eux le retint un peu sèchement.
« - Attends ton tour comme tout le monde gamin.
- Je travaille ici, monsieur. »
L'homme leva la main et retira son bras, mais ne s'excusa pas. Cassius préféra ne rien dire et poussa la porte les dents serrées. Il régnait un tel vacarme à l'intérieur qu'il n'entendit pas tinter la clochette au-dessus de l'entrée. Jamais il n'avait vu la vingt-quatre quatre aussi bondée. Toutes les machines tournaient dans un vrombissement assourdissant, et les conversations allaient bon train. La rangée de quatre sièges métalliques devant la vitrine était entièrement occupée, ce qui arrivait déjà rarement, mais son collègue avait également sorti la demi-douzaine de chaises pliantes qui prenaient la poussière dans la réserve. Le jeune homme joua des coudes jusqu'au comptoir pour rejoindre son collègue Duane, qui l'accueillit en remuant ses mains jointes vers le ciel.
« - Mon sauveur ! T'imagines pas la journée que j'ai passée !
- C'est comme ça depuis ce matin ? s'étonna Cassius.
- Non, en vrai c'matin ça allait. Mais depuis la sortie des bureaux, j'ai pas arrêté.
- Tu as déjà eu autant de monde d'un coup ?
- Jamais ! J'ai pas bien compris c'qui se passe exactement, mais apparemment tout le monde a besoin de nous pour faire sa lessive aujourd'hui.
- Tant mieux pour les affaires, plaisanta Cassius.
- C'est l'patron qui va être content. Pour une fois, il te paiera pas à rien foutre de la nuit.
- Très drôle. J'suis sûr que j'en fais plus que toi.
- J'adorerais en débattre avec toi, mais sur mon temps de travail. Qu'est fini pour aujourd'hui. »
Duane claqua ses mains sur ses cuisses et se leva en envoyant son fauteuil contre le mur. En quelques secondes, il avait pris ses affaires dans l'arrière-boutique et avait presque atteint la porte. Cassius l'interpella :
« - Attends oh ! Tu m'laisses le truc dans son jus sans rien m'expliquer ?
- Qu'est-ce que tu veux expliquer ? T'as des machines, t'as des clients. Tu sais quoi faire. J'suis pas ton père, j'vais pas te tenir la main ! »
Cassius voulut le saluer de son majeur tendu, mais il se ravisa et baissa rapidement le bras. Il ne voulait pas renvoyer cette image devant tant de monde, d'autant plus qu'il y avait deux jeunes enfants. Il ôta sa veste en faisant le tour du comptoir, mais avant qu'il puisse la ranger dans l'arrière-boutique, un client lui posa une question. Il la flanqua donc rapidement en boule sur son bureau et renseigna son client. Pendant plusieurs minutes, il navigua dans la boutique pleine pour saluer un habitué, demander gentiment aux enfants de ne pas crier, s'assurer que tout le monde était confortablement installé, se lamenter intérieurement de l'état du sol, vérifier sur quel cycle tournaient les machines et si une place allait bientôt se libérer. Il recommanda patiemment à la mère des petits de ne pas les laisser lécher la vitrine. Il calma un client à l'extérieur en lui assurant que ce serait bientôt son tour. En revenant à l'intérieur, il faillit renverser un des enfants et les invita à ne pas courir dans la laverie.
Une série de trois bips l'informa qu'une machine était terminée et qu'elle avait déjà sonné. Il se faufila jusque-là et demanda à la jeune femme à côté si c'était sa machine. Elle se contenta de secouer la tête en faisant la moue. Cassius haussa la voix pour couvrir le tumulte :
« - Excusez-moi messieurs-dames, à qui est cette machine ? »
Il attendit quelques secondes, mais personne ne lui répondit. Avec un profond soupir, il partit chercher une panière en réserve, la leva à toute vitesse pour ne pas percuter la tête d'un gamin qui surgit de derrière le comptoir directement dans ses pieds, se mordit les joues pour conserver son calme, ouvrit le hublot d'un geste un peu sec et commença à remplir la panière avec le linge humide.
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