Complet - Partie 2
Un jeune homme s'approcha de Cassius en bousculant ses voisins.
« - Oh ! Tu fais quoi avec mes fringues toi ?
- Je ne vais pas vous les voler monsieur, je travaille ici.
- Ouais ben ça se voit, ricana le client. Tu touches pas à mes fringues.
- Monsieur, j'ai demandé à qui était cette machine et vous...
- J'avais entendu c'est bon. Je regardais un truc sur mon portable. On est pas aux pièces.
- Il y a d'autres personnes qui attendent. Vous ne pouvez pas mobiliser une machine pendant plusieurs minutes pour rien.
- Ah ouais ? Et tu vas faire quoi lessive-boy ? » le provoqua le client mal élevé en claquant le hublot du plat de la main.
Cassius lui fourra la panière dans les bras, rouvrit la machine sans le quitter des yeux, et lui donna tout son linge aussi calmement que possible.
« - Vous pouvez attendre qu'un sèche-linge se libère, ou rentrer chez vous, mais je vous prierai de libérer cette machine maintenant.
- Je bougerai pas d'ici. J'ai payé pour cette machine, et je vais en faire tourner une autre. Mon linge a l'air encore sale, qu'est-ce que tu en penses » demanda-t-il en prenant un de ses caleçons et en le posant sur la tête de Cassius.
Le sang de ce dernier ne fit qu'un tour et il fondit sur le jeune homme. Il le précipita au sol au milieu des autres clients, qui s'écartèrent vivement. L'homme se releva à toute vitesse et envoya son poing en direction de Cassius. Celui-ci leva le bras gauche pour se défendre. Le poing vint s'abattre violemment contre son avant-bras. Une onde glacée le parcourut à la crainte d'être blessé, mais c'est son agresseur qui poussa un cri de douleur en le percutant. Cassius sentit un poids inhabituel enserrer son poignet. Il vit du coin de l'œil une lueur verte briller sur son bras. Il rabattit rapidement sa manche en espérant que personne n'avait rien vu. Son assaillant repartit à l'attaque, mais avec moins de véhémence, ce qui permit à deux autres clients de lui attraper chacun un bras pour l'immobiliser. Cassius lui posa une main sur l'épaule et il le sentit tressaillir à ce contact. Il tenta de désamorcer la situation en s'empêchant de hausser la voix :
« - Vous voulez vraiment aller plus loin pour une histoire de lessive ? Vous vous calmez ou alors... »
Le semeur de troubles se dégagea d'un mouvement d'épaules et recula en trébuchant, avant de s'enfuir à toutes jambes. Cassius, qui allait le menacer d'appeler la police, ne comprenait pas l'effroi qui avait soudain déformé ses traits.
Sentant l'adrénaline retomber, il remercia les clients qui l'avaient aidé et s'éclipsa dans l'arrière-boutique. Il prit une canette dans le frigo, qu'il vida d'une traite, et toujours un peu tremblant, se passa de l'eau sur le visage. Quelque chose de pointu lui griffa la joue gauche. Il se tourna vers la porte de la réserve et tendit l'oreille pour s'assurer dans le tumulte revenu que personne ne risquait de le surprendre. Il remonta sa veste sur son bras et découvrit la nouvelle manchette métallique qu'il portait au poignet. Alors qu'elle était parfaitement lisse quand il était parti de chez lui, elle était maintenant renforcée en plusieurs endroits et hérissée de plusieurs pointes à son extrémité.
Il comprenait mieux ce qui avait terrifié son agresseur. Ce dernier avait dû croire que Cassius avait une lame cachée dans sa manche et menaçait de lui faire du mal. Il s'aperçut que son bracelet scintillait d'une lumière verte de plus en plus vive. Les pointes s'animèrent et grossirent à vue d'œil. Il sentit son cœur s'emballer et ses mains tremblèrent de plus belle. Il ne pouvait pas garder cette chose. S'il avait su que ça pouvait être aussi dangereux, il ne l'aurait jamais accepté.
C'était le vieil homme qui lui avait expliqué son rôle de gardien qui le lui avait offert. Il passait de temps en temps à la laverie pour s'assurer que Cassius prenait son rôle au sérieux, et ne rencontrait pas trop de difficultés avec ses clients nocturnes. Quand le jeune homme lui avait narré ses mésaventures avec la colonie de myrmekes, le vieux mentor avait insisté pour lui apporter quelque chose pour se défendre. Peu friand de bijoux, le jeune homme avait fini par céder et promettre de le porter chaque fois qu'il viendrait à la vingt-quatre quatre. Mais il croyait que ce n'était qu'une protection, comme une pièce d'armure un peu désuète. Il n'aurait jamais cru qu'il s'agissait en réalité d'une arme, et encore moins qu'elle était magique.
Cassius s'en voulait terriblement d'avoir perdu son calme aussi vite. Il aurait pu blesser gravement son agresseur. Il tenta de retirer sa manchette, mais celle-ci se serra sur son poignet. Il constata que plus il s'énervait, plus l'objet prenait un aspect menaçant. Il s'allongea au sol et respira profondément à plusieurs reprises. Il ferma les yeux et convoqua des images apaisantes. Il pensa à sa famille en train de rire autour d'un bon dîner. Il pensa à sa mère qui lui lisait une histoire quand il était enfant, et à la fierté dans les yeux de son père quand il avait ramené son premier salaire. Il pensa à ses deux petits frères qui venaient lui voler ses vieux jouets. Et s'ils étaient tombés sur ce bracelet ? Que ce serait-il passé si l'un d'entre eux avait voulu l'essayer ? Auraient-ils pu se blesser ? Et comment Cassius aurait-il expliqué la présence d'une arme chez eux ? Comment aurait-il pu expliquer la présence d'une arme magique ?
Le jeune homme sentit son cœur s'accélerer à nouveau. Il n'était pas prêt à avoir cette conversation avec ses parents. Il avait déjà eu du mal à obtenir d'eux une réaction positive lorsqu'il leur avait parlé de Pénélope. Il focalisa son attention sur sa petite amie. Il pensa à son sourire quand elle le revoyait après plusieurs jours. Il pensa à la façon qu'elle avait parfois de coincer son crayon entre son nez et sa lèvre quand elle lisait. Il pensa à elle allongée à ses côtés, endormie une main posée sur sa poitrine. Il s'imagina lui caresser tendrement les cheveux. Il avait bougé son bras par automatisme, et constata que sa manchette avait repris son aspect initial. Que son esprit se soit suffisamment calmé, ou qu'il ait instinctivement voulu éviter de blesser Pénélope, le résultat était là.
Cassius se releva en grimaçant du tiraillement dans son dos provoqué par la position inconfortable sur le sol âpre, et regarda son poignet pendant de longues secondes pour s'assurer que la lueur verte avait totalement disparu. Il rabaissa finalement la manche de sa veste et retourna travailler.
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