Complet - Partie 4

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 La remarque de Beyti fit prendre conscience à Cassius que lui-même n'avait pas eu de nouvelles de sa petite amie de la soirée. Il voulut voir si elle lui avait laissé un message, mais son téléphone n'était pas dans sa poche. Après une demi-seconde de panique irraisonnée, il se rappela l'avoir glissé dans la poche de sa veste. Il écarta à nouveau les enfants qui traînaient dans ses pattes pour rejoindre le comptoir, et s'aperçut que la petite dame avait fait tomber sa veste en posant son sac. Alors qu'il faisait le tour de son bureau, il entendit quelqu'un éternuer.

« - À vos souhaits » dit-il machinalement.

 Le jeune homme tourna vivement la tête, car les trois personnes autour de lui avaient prononcé ces mêmes mots en même temps que lui. Il se regardèrent quelques instants, ne comprenant pas de qui venait l'éternuement, puis ils échangèrent des moues dubitatives et des haussements d'épaules en souriant. Cassius ramassa sa veste, espérant que son téléphone n'ait pas souffert de la chute, mais elle était étrangement légère. Une fouille rapide confirma sa crainte. L'appareil avait disparu. Il jeta sa veste sur le sac en toile et courut en réserve vérifier s'il n'y avait pas laissé son téléphone finalement. En vain. Quand il revint dans la boutique, son blouson était à nouveau au sol. Le jeune employé pesta intérieurement contre le sans-gêne des clients, mais aucun d'entre eux ne semblait s'être approché du comptoir. Il replaça machinalement sa veste sur le sac de la cliente, et entendit distinctement un soupir, avant que le sac soit secoué d'un soubresaut qui fit chuter le vêtement.

 Sans réfléchir, Cassius écarta les pans du sac et découvrit une effigie de bois représentant une silhouette assise. Le corps massif semblait avoir été taillé d'une seule pièce dans un tronc sombre, les membres étaient longilines, l'un des bras décroché gisait au fond du sac, et la tête ronde grossièrement sculptée figurait un visage humain presque caricatural avec ses deux trous profonds pour les orbites et sa large fente en diagonale pour la bouche. Des volutes de fumée s'échappaient de cette ouverture. S'inquiétant de savoir s'il y avait du feu à l'intérieur de la statuette, Cassius glissa sa main dans le sac pour l'examiner. Il ne put retenir un cri de surprise quand elle tourna la tête vers lui et lui frappa la main de son seul bras valide. Il recula jusqu'à plaquer son dos et ses deux mains au mur. S'apercevant que la laverie était soudain silencieuse, il releva les yeux pour constater que tout le monde le regardait.

« - Tout va bien ? Qu'est-ce que vous avez vu là-dedans ? questionna la femme derrière le comptoir en désignant le sac.

- Rien, rien du tout, s'empressa de répondre le jeune employé. C'est juste... beaucoup plus sale... que ce que je croyais. Je vais le poser derrière, et je m'en occuperai tout à l'heure. »

 Avant qu'on ne lui pose plus de questions, il se jeta sur le sac, l'agrippa des deux mains pour le maintenir fermé, et l'emmena en réserve le plus vite possible. Il claqua la porte derrière lui et jeta presque le sac au sol. Il entendit une plainte en sortir. Il écarta les pans de toile du bout du pied, pour découvrir la statuette assise de dos. Elle tourna sa tête à 180 degrés, provoquant un nouveau mouvement de recul de Cassius. Il avait rencontré beaucoup de créatures étranges depuis qu'il travaillait là, mais aucune ne l'avait mis plus mal à l'aise que cette poupée vivante. Elle semblait s'en rendre compte, car elle lâcha un rire narquois et se traîna jusqu'à lui à reculons, en poussant son corps lourd de ses jambes grêles, ses deux orbites fixés sur lui. La figurine pivota lentement son corps pour l'aligner avec sa tête, puis emmena le bout de son bras à sa bouche, avant de tirer sur un mégot de cigarillo et de souffler sa fumée en direction de Cassius.

« - T'as des clopes pour moi gamin, demanda-t-elle d'une voix caverneuse.

- Tu parles ?

- Bien sûr que je parle, tu me prends pour quoi ?

- Je n'ai aucune idée de ce que tu es.

- Si, tu le sais. La vieille te l'a dit tout à l'heure. T'as pas écouté ou quoi ? D'ailleurs tu m'as pas répondu.

- Tu es un complet ? Je n'en ai jamais entendu parler.

- Non pas un complet, un kapré, précisa la créature en appuyant bien le dernier mot. Je sais que la vieille a un accent pas possible, mais fait un effort. Bon, ces clopes, c'est oui ou c'est non ?

- Non, j'ai pas de cigarettes pour toi.

- Radasse, sois sympa quoi !

- Non, mais je ne fume pas. Je n'en ai pas, c'est tout.

- Bon, ben je vais voir dehors alors, » décréta le kapré en se levant à toute vitesse et en courant vers la porte.

 Cassius parvint à le bloquer de justesse avec son pied.

« - Qu'est-ce qui te prend ? Tu veux te faire repérer ou quoi ?

- Je m'en fous.

- Pas moi !

- Pourquoi, il y a qui dehors ?

- Des clients. Beaucoup de clients, en plus, ce soir.

- Moi aussi je suis un client. Ah oui, au fait... »

 Le kapré secoua la tête de droite à gauche jusqu'à ce qu'une petite lumière éclaire brièvement le fond de ses orbites, et qu'un son métallique résonne à l'intérieur de son crâne. Il glissa les trois doigts frêles de son bras gauche dans la fente qui lui servait de bouche et en sortit une tessère qu'il tendit à Cassius. Le jeune employé n'avait jamais vu les glyphes gravés dessus, mais il savait qu'elle lui permettrait de rejoindre un endroit approprié pour s'occuper du kapré.

« - Tu as besoin de soins ? »

 Le kapré fouilla son sac de toile quelques secondes et lança son deuxième bras en direction de Cassius, qui le saisit au vol.

« - D'après toi, ça a l'air de quoi ?

- C'est douloureux, demanda le jeune homme en examinant la fine branche sous toutes les coutures.

- C'était pas agréable de me le faire arracher, éluda le kapré. Maintenant ça va. Mais je peux pas le remettre tout seul.

- Excuse ma question, mais tu as l'air... végétal ?

- Je suis un esprit des arbres, oui.

- Tu ne pourrais pas, je ne sais pas, faire repousser ton bras ?

- Si, avec du temps, mais ça picote effroyablement, et il ne serait pas aussi fort que le précédent. »

 Cassius soupesa le maigre morceau de bois en pinçant légèrement les lèvres. Le kapré haussa le ton, vexé :

« - Oui ben c'est pas la première fois que je me fais découper, figure-toi ! Et me faire repousser, ça m'oblige à puiser dans mes réserves, et elles sont pas illimitées !

- Pardon, calme-toi s'il te plaît.

- Oh ! C'est une honte ! s'exclama une voix de femme à l'extérieur.

- Elle a raison, reprit le kapré, c'est honteux. Tu dois me soigner, pas me juger.

- Oui, oui, désolé, je vais le faire. Mais je dois d'abord aller voir ce qui se passe. S'il te plaît, ne bouge pas de là en attendant.

- Demande-leur s'ils ont des clopes ! »

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