Chapitre 19
Quelques parts, entre ombre et lumière, vit cette femme mère de tous les dons malheureux. Sa beauté bien qu’éternelle ne suffit pas à masquer l’ombre de ses regrets. Chaque jour, elle discute avec sa fille Espoir de tout ce qu’elle aurait voulu offrir à l’humanité. Chaque nuit, elle pleure en constatant que les ténèbres prennent un peu plus possession de cette Terre. A chaque aurores, alors que les oiseaux se réveillent seulement, elle se retrouve perdu entre ces deux états d’esprits.
Accompagnée d’Espoir, elle invente le jour où un héros, guérisseur ou pas, réussira l’impossible: éradiquer les douze démons de Pandore. Pieds nus dans son jardin d’Eden, la brise faisait danser sa longue robe blanche qui allait aujourd’hui encore servir de ramasse larmes.
“Élever et aimer des enfants, pour qu’ils deviennent ensuite de la chair à canon qu’on aimera appeler “Guérisseur”. Voilà ce qu’est devenu le quotidien de l’humanité depuis mon erreur.” - Pandore la mère de tous les dons.
Le vent froid et humide envahissait les couloirs de l’Académie depuis maintenant quelques semaines. l’Automne était bien entamée et certains arbres avaient troqué leur verdure contre une tonalité plus saisonnière. La vie ici n’avait pas changé. Chaque élève continuait de vivre sa vie à son rythme tout en suivant les cours dispensés par les professeurs de l’établissement. Sans pour autant être évident, il était maintenant possible de voir quelles personnes étaient les plus frileuses au sein de l’Académie et Skye en faisait partie. Un gros pull en laine jaune ,qu’Allen jugeait être de mauvais goût, l’accompagnait partout. Petite subtilité à noter, elle l’échangeait le soir venue avec un pyjama kangourou, kangourou car il possédait une pochette au niveau du nombril qui permettait de glisser des bricoles ou comme Skye une bouillotte, qu’elle avait dégoté au Bazar, qui lui réchauffait tout l’abdomen toutes les soirées de cette fin de mois d’Octobre sans exception. Monsieur Sunnyday, professeur principal de la classe quant à lui portait des t-shirts manches courtes malgré la température de l’établissement. La pierre froide et l’isolement ancien n’étaient pas de très bonnes qualités. Le pire, d’après un sondage d’élève dans leur salle de repos, était les tenues déshabillées de Isabella Flirtyprud qui avait, dans son regard enjôleur et son physique de déesse, l’unique capacité de réchauffer une pièce et les cœurs de chacun. Les plus âgés, des terminales donc, se demandaient régulièrement comment Austin Sunnyday faisait pour ignorer les nombreuses avances de cette femme qui ne cachait pas son petit faible pour l’homme, jeune quarantenaire. Silentwatch, qui donnait en ce moment cours à une classe de Terminale, avait lui sortit les costumes en velours, une des pires inventions selon Jessica, qui assistait au cours et qui ressentaient des frissons rien qu’en imaginant toucher la texture à la fois douce et irritante de la veste.
Dans la salle des professeurs, Jack Grimwish buvait comme à son habitude une tasse de café. Pour lutter contre le froid il avait une méthode qui lui était propre: boire plus de café noir. Lorsque les feuilles orangées tomberont afin de respecter le cycle des saisons,il se déplacerait plusieurs thermos de café dans une pochette qui était réservée à cette fonction. Des tâches de cafés marrons permettaient de l'identifier facilement. Dans l’autre main, entre son pouce et le reste de ses doigts tenait un livre épais intitulé “La magessence et son évolution expliqué”. C’était au moins le 3ème livre qu’il s’obligeait à lire sur ce sujet. Des recherches récentes mais classées privé, évidemment mené par le Haut-Conseil, laissaient néanmoins sous-entendre qu’il existerait plusieurs degrés de contrôle de la magessence. Très cartésien, Jack Grimwish n'avait , de ses yeux, jamais observé un tel niveau de maîtrise et il qualifiait souvent ce genre d’idée de “fantasme d’auteur” qui n’ont que de bon leur plume. La magessence… jusqu’à présent les chercheurs avaient toujours déclaré que c’était le taux d’Essencine dans le corps de chacun qui permettait un développement plus ou moins conséquent et jusqu’à présent ce raisonnement avait toujours fonctionné. Tous ceux déclarés avoir du potentiel se sont toujours retrouvés en haut des listes, gravant leurs noms quelque part dans l’histoire. Jack referma sèchement le livre qui lui avait tapé sur les nerfs et le posa sur une pile de livres qui traînait à côté. Il n’avait pas le courage de faire dix pas pour arriver à la bibliothèque.
La porte de la salle des professeurs s’illumina, petite particularité lorsqu’un message était délivré à l’équipe enseignante. Après un long soupire qui en disait long sur sa motivation il alla recueillir le message, un simple flux de magessence concentré en direction de le porte permit d’acquérir l’information sous forme de courrier. Le titre “INVITATION POUR L'ÉQUIPE ENSEIGNANTE” lui déplut et décida de remettre ce courrier à Isabella qui se ferait une joie de répondre à ce genre de lettre. Lui en avait plus qu’assez de ce genre de papier. A chaque fin d’année, et bien que l’on ne soit que fin Octobre, ce genre d’enveloppe mondaine arrivait en trombe à l’Académie. Les plus riches parents de leurs élèves organisaient des réceptions pour toutes occasions. Parfois des classes entières étaient même invitées aux soirées. Tous ces stratagèmes pour montrer leur belle assiettes en argents et se rapprocher de futurs guérisseurs prometteurs horripilait Jack Grimwish. Il y a trois ans de cela, il avait participé à un dîner mondain avec Austin et quel dîner ! Il se souvient très bien la gentillesse et la crédulité de son collègue plaire au plus haut point aux bourges d'hôtes qui, dès que son verre tirait vers le fond, se remplissait d’un liquide à la robe pourpre. Cette soirée avait été qualifiée “d’enfer de riche” par l’homme aux cernes marqués qui était coincé dans un costume en queue de pie et coiffé pour l’occasion d’un chignon fait à la va vite.
Les portes des deux chambres, toujours ouvertes, permettait à Allen et Skye d’aller et venir entre les deux pièces sans prévenir et sans retenue. Depuis leur rencontre, les deux jeunes adultes avaient consolidé leurs liens. Ils ne passaient plus un week-end sans se croiser ou se disputer. Actuellement dans la chambre de Skye, ils étaient en train de terminer un devoir qualifié de “barbant”.
- Je t’ai déjà dit que je trouvais ton pull vraiment moche ?
- C’est la quarante-troisième fois que tu me le dis. Renvoya-t-elle sans même lui adresser un regard.
- Tu comptes compter tout l’hiver ?
- Non en hiver je te sortirais un truc encore plus moche fais moi confiance. Ricana a-t-elle de bon cœur. Son joli visage s'éclaircit, leur relation bon enfant lui plaisait beaucoup et à lui aussi. Au départ assez timide, Allen avait appris à faire confiance à Skye. Il trouvait chez elle de belles qualités qui lui permettaient de ne pas déprimer.
- Je ne t’ai jamais posé la question mais, tu comptes rentrer pendant les vacances? Elles arrivent dans trois jours.
- Non malheureusement, je ne vais pas pouvoir rentrer et toi? répondit-il sans s’étaler sur le sujet. Il lui retourna la question.
- Si je pouvais éviter… je ne suis pas en bon terme avec une grande majorité de ma famille… je suis bien mieux ici avec toi et les autres ! Lui sourit-elle ensuite en replaçant une mèche de ses cheveux blancs derrière son oreille décorée d’une étoile en argent au lobe. Parle moi de ta famille tient! Tu ne m’en a jamais parlé.
- C’est compliqué.
- Tout est toujours “compliqué” avec toi. Allez s’il te plaît ! Supplia l’étudiante en lui faisant un regard dont elle seule avait le secret. Pas insensible, il décida pour la première fois en deux mois, de parler un peu de son passé.
Son enfance avait été heureuse. Du moins à ses yeux et d’après ses souvenirs. Sa famille était l’exemple même d’un foyer modeste, ne roulant pas sur l’or mais s’accordant des vacances tous les deux ou trois ans. Sa mère était enseignante en école élémentaire, un métier décrié et qui d’après les paroles de sa mère n’était “Pas assez reconnu”. Son père de son côté était second de cuisine dans un restaurant qui peinait à décrocher une étoile, gage de qualité. Autant dire qu’il n’était jamais à la maison et que ça vit se résumait aux poêles, casseroles et condiments du restaurant.
- Tu n’as pas de frère et soeur?
Très bonne question de Skye qui permit à Allen d’enchaîner sur un drame familliale. Si aujourd’hui il est en effet enfant unique, ce n’aurait normalement pas dû être le cas. Sa mère, suite à une maladie indéterminée, avait perdu son bébé alors qu’il était sur le point de naître. Allen passa très vite sur cette histoire qui évidemment le touchait et lui faisait du mal. Il repensait au sourire de sa mère qui depuis n’avait jamais repris place sur son visage. Après ce tragique événement il lui confia que son père avait trouvé réconfort dans les bouteilles de rhums, blanc comme ambré il ne faisait plus la différence. Evidemment ce n’était pas un environnement adéquat pour un enfant.
- C’est horrible… je suis désolé je n’aurais pas dû insister…
- Ne t’inquiète pas.
Alors qu’un petit silence s'était installé, Kaï toqua à la porte, comme toujours une serviette autour du cou, et retombant sur ses pectoraux dessinés qu’il venait sûrement de travailler.
- Dites vous deux. Vous auriez pas vu l’autre baltringue? Il n'est pas venu s'entraîner .
- Si tu parles de Milo, je l’ai aperçu à la bibliothèque des murmures tout à l’heure.
Kaï râla mais ne dit rien. il garda le commentaire blessant pour lui et retourna à ses occupations. Depuis leur retour de mission, Kai avait eu l’occasion de défier Allen en cours dans un duel. Le niveau des deux garçons ne faisait qu’augmenter. La lisibilité d’Allen et la puissance technique de Kai effrayait tout le reste de la promotion et encore une fois, personne n’avait réussi à terrasser l’autre avant la fin du temps imparti, chose que Kai avait du mal à supporter. C’est d’ailleurs sur le sujet qu’enchaina Skye.
- En Décembre la "Masterclass", un tournoi de fin de trimestre est organisé, tu lui montreras tes progrès ! Tu vas lui montrer qui est le chef ici ! Skye croyait dur comme fer au talent d’Allen. Elle ne savait pas vraiment comment fonctionnait le pouvoir du garçon, juste que quelque chose bridait sa magessence et qu’il ne pouvait pas aller au-delà d’un certain seuil, en l'occurrence ici: 5%.
Ils eurent ensuite une pensée pour Ace, le déviant qu’Austin avait affronté au plateau abyssal… Ils avaient été mis au courant lors du rapport d’exercice. La situation catastrophique de la mission les avait marqués au fer blanc à jamais. Parfois entre deux passages dans la Cathédrale, centre de l’Académie, ils croisaient Jett et Jessica qui continuaient à rire et pleurer ensemble comme si rien n'était. Ils ne laissaient rien paraître, pas une seule fois ils en avaient discuté ensemble. Ce qui se passait en mission était privé. Les guérisseurs aussi étaient, à leur manière, concernés par le secret professionnel. En somme, tout le monde avait repris sa vie à l’Académie. Élèves comme enseignants avançaient sans penser au lendemain.
Le réveil de sa chambre affichait d’une couleur rouge “02h17” quand elle se réveilla en sueur dans son lit, la couette à motif étoilé à moitié par terre. Une bretelle un peu coquine de son débardeur était tombée le long de son bras et dévoilait une petite masse rebondit. Ses cheveux épais s'étaient libérés de l’élastique durant son sommeil. En s’asseyant sur son lit, la lumière pourpre de la lune se réfléchit sur ses beaux cheveux blancs. Une douleur insoutenable l’a saisie. Le souffle court et une main au niveau du cœur, elle se leva, tapa son pied droit contre un sac en cuir qui traînait et finit par s’appuyer, plutôt s’affaler, sur son bureau. La douleur était insoutenable, elle chercha d’une main son pilulier qu’elle gardait précieusement secret, l’ouvrit et ingéra trois cachets. A en croire le semainier, elle en avait déjà pris la veille et trois jours auparavant.
Les comprimés la calmèrent, les crampes et tremblements disparurent et elle pu se rallonger. Elle s’endormit. Sur le réveil s’affichait “02h51”.
Ce soir-là, Stacy avait décidé de passer à l’action. Depuis le début de l’année, le regard cinglant de Kaï lui avait plus. Depuis sa manigance avec Skye au marais, elle n’avait pas particulièrement refait parler d’elle. Elle n’avait pas changé de comportement pour autant, elle continuait d’être une peste avec ceux, et surtout celles, avec qui le courant ne passait pas. Meneuse de son petit groupe de peste, elle avait néanmoins développé des sentiments pour le jeune homme rebelle bien qu’il n’y fasse pas attention. Cela pouvait faire un peu cliché mais lui ce qui l’intéressait c’était ses performances physiques, son classement vis à vis d’Allen. Jamais il ne prenait le temps de discuter de lui même et pourtant la jeune femme avait essayé plusieurs fois d’entamer la conversation mais parler chiffon et famille, très peu pour lui. Une fois, elle avait réussi à capter son attention autour du distributeur à boisson de la salle commune en lui parlant d’Avenir et de ses objectifs. Elle avait été très étonnée d’entendre monsieur muscle, bien qu’il ne ressemble pas à un bodybuilder, s’exprimer sur ce sujet. Derrière son air mauvais et son regard de tueur, Kai cachait de réels objectifs et tous ses efforts finiraient par payer. En silence elle le soutenait, son égaux ne supporterait pas que quelqu’un l’encourage, quoi qu’elle pouvait penser. Parfois lorsqu’elle était seule dans sa chambre, en peignoir de bain et un énorme chignon sur la tête, elle s’avouait volontiers jalouser la relation amicale et détendue qu’Allen et Skye alimentait. Elle aussi, elle aurait aimé avoir des amis, et pas simplement des greluches maquillées avec qui tu te moques des passants la journée mais qui, le jour de ton anniversaire, ne pense même pas à te sourire. Elle le savait, le seize septembre de l’an prochain, personne n’y penserait. Elle souriait tristement, cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas eu quelqu’un pour se livrer, parler garçons et problème de cœur. Elle avait bien pensé à captiver Kai par l’entraînement de sa magessence mais malheureusement pour elle, elle n’était pas plus performante que Milo, sa magessence semblait pouvoir canaliser et amplifier la magessence chez les autres, une sorte de drogue, pouvant faire croire au corps qu’il regorge d’énergie alors qu’il est épuisé. Elle ne tenait pas le rythme, et se contentait de passer régulièrement par le gymnase où s'entraînait le garçon qui ne prêtait pas attention à elle, trop concentré à compter le nombre de séries qu’il cumulait. Peut-être devrait-elle revoir sa méthode. Peut-être que son caractère dérangeait Kai qui discutait plus facilement avec la fille au prénom du ciel qu'elle-même.
Elle descendit de sa chambre, qui se trouvait à l’autre bout du couloir par rapport à celle d’Allen et Skye et prit le chemin du gymnase sur les coups de 19h. Elle avait pris le temps de mettre toutes ses chances de son côté. Tenue de sport adéquate, suffisamment confortable avec un haut ample mettant sous certains angles son 85C, maintenu grâce à un bandeau, en valeur. Elle savait qu’il serait là- bas, il était très sérieux et régulier dans ses activités. Après réflexion, il ne pouvait pas être ailleurs, c'était impossible. Elle l’espérait.
Le front en sueur, Kai achevait avec de la musique workout une série de tractions. En voyant la jeune femme aux cheveux pourpre entrer dans la salle, il ne lui décrocha même pas un regard. Toutefois, il se dit que c’était bien la première fois que la “reine des garces” entrait volontairement dans le “temple” du garçon.
Elle n’osa pas trop regarder son corps, elle se contenta de s’installer sur un tapis d’exercice non loin et lança un programme de course. Un footing à 19h15, cela pouvait lui arriver aussi après tout.
En silence, elle l’observa curieusement. Elle avait perdu sa tchatche habituelle. Elle ne savait pas comment faire pour juste entamer une discussion avec lui.
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