Prologue

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- Je vous avais prévenue. On ne peut pas changer la nature profonde de quelqu’un en si peu de temps. C’est impossible.

La femme parle de ce ton indifférent caractéristique des gens du monde qui m'exaspère.

- Mais... Mais, elle sera présentée à la cour, demain. Elle ne peut pas y aller dans cet état-là. Elle risque de tout gâcher !

C’est bien la première fois que j’entends ma mère aussi affolée. D’ordinaire, elle est plutôt indifférente et posée, un modèle d’excellence. Mais curieusement, l’urgence de la situation lui fait perdre ses moyens si durement gagnés.

- Je suis encore désolée, déclare l’autre femme sur un ton qui suggère le contraire. Mais je ne peux rien faire de plus. Je crois savoir d’où vient cette nature si curieuse.

Cette insulte à peine voilée fait frémir ma mère comme une feuille morte en automne. De l'autre côté du mur, je la sens trembler de peur. Ce n'est pas son interlocutrice qui la terrorise : c'est moi et ce que je suis capable de faire ou ce que je suis incapable de faire.

Des pas se rapprochent et je m’écarte précipitamment du battant pour m’asseoir sur un banc de bois au fond du couloir. Je fais mine d’être absorbée par un tableau insipide sur le mur d’en face quand la porte s’ouvre. Ma mère a repris son expression neutre et elle me regarde, un éclair de soupçon presque invisible dans les yeux. Elle est parfaitement consciente que je ne suis pas restée là sans rien faire durant sa discussion avec la directrice de pensionnat. Mais ce que j’ai fait et où je suis allée, cela, elle n’en a aucune idée. Je me lève et lui emboîte le pas tandis que nous sortons de la pension, cette endroit horrible où l’on m’a poussée à faire des choses complétement contre nature. Assise, le dos tendu à l’extrême vers le plafond terne, on me passait des images en m’obligeant à ne ressentir aucune émotion. Mais je ne peux pas m’empêcher de rire à la suite d’une blague, pleurer quand je vois quelqu’un mourir et avoir peur devant un film d’horreur. Je ne peux pas être aussi insensible que ces femmes à la cour. Ça me paraît tout simplement impossible.

Je ne suis ni une Violette, Rose, Prune, Olive ou encore une Blanche comme se prénomment les filles de ma génération.

Non, je m'appelle Alexandra Zénadora d’Arcanza, fille du ministre des Arts et de la souveraine d’Arcanza, sœur cadette de l’héritier du trône d’Arcanza. Et moi, contrairement aux autres, j’ai des émotions, je les montre et les vis pleinement. Pour cela, je suis dangereuse et je les effraie.

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