Chapitre trois : Un prix à payer.
25 décembre 1820
-Ha…
Un gémissement plaintif venait de se faire entendre au sein de la maison silencieuse dans laquelle seul le crépitement du feu dérangeait le silence de la nuit. André venait de reprendre connaissance sur le sol. Il se sentit égaré en ouvrant les yeux. Où se trouvait-il ? En promenant son regard sur le plafond et le haut des meubles, il reconnut des objets familiers. Il lui sembla qu’il s’agissait de la maison de ses parents…
QUOI ?!
Il se releva soudainement. C’était impossible ! Il se souvenait s’être donné la mort ! Il ne se souvenait que trop bien de la douleur que la lame tranchante lui avait procurait en s’enfonçant dans son torse ! Mais pas seulement…
-Guillaume… gémit-il avec détresse en posant ses yeux sur son corps immobile et recouvert de bandages.
Son si beau visage était tellement abîmé… L’avait-il appelé lorsque ces hommes le frappaient à mort, le martyrisaient ? Lui en voulait-il de ne pas être arrivé pour le sauver ? Il se remit à pleurer. Il se trouvait forcément en Enfer… Oui, il méritait d’être puni pour ne pas avoir sauvé l’homme qu’il aimait plus que tout… Il répéta son prénom inlassablement comme une litanie, le cœur serré, ne pouvant pas croire à quel point sa vie avait basculé d’une manière atroce en l’espace de quelques heures.
-André…
En entendant la voix de sa mère qui l’appelait, il sursauta violemment et regarda dans sa direction. Elle se trouvait agenouillée à ses côtés, à même le sol. Il se trouvait si pris dans une douleur si forte qu’il n’avait même pas remarqué sa présence.
-Mère ? Je ne comprends pas… Vous êtes en Enfer avec moi ?
Elle lui fit un pauvre sourire en réponse.
-Non. Et toi non plus.
Elle baissa les yeux sur son torse et il suivit son regard. Du sang… Sa chemise était recouverte d’une énorme tâche de sang… Alors ? il s’était bien transpercé le torse ! Ce n’était donc pas un cauchemar ! Il était bien mort !
Le poignard ! Où se trouvait-il ? Lorsqu’il avait perdu connaissance, sa lame était toujours à l’intérieur de son corps ! Il regarda partout sur le sol, à sa recherche mais ce fut sa mère qui tendit sa main afin de lui montrer qu’elle le tenait. L’avait-elle retiré de son torse ? Qu’avait-elle fait ?
-Que se passe-t-il ? Mère ?
-Mon fils, ce monde est cruel pour les personnes capables de s’aimer. Il y avait un prix à payer pour obtenir ce que tu souhaitais. Le mien, pour te donner naissance, a été la mort de ton père. Lorsque tu es venu au monde, après qu’il t’a pris dans ses bras, le sourire aux lèvres… Il t’a reposé sur mon sein et s’est écroulé sur le sol. Le prix que je devais payer était de le perdre afin de t’avoir, toi.
Des larmes roulèrent sur son beau visage.
-Je ne le regrette pas. Tu es mon fils, NOTRE fils et je suis reconnaissante de t’avoir. Lorsque ma vie sur Terre sera terminée, je rejoindrai ton père au Ciel, dit-elle dans un sourire. Le seule regret que j’ai, est que le souhait de ton père n’ait pas été exaucé. Il désirait offrir une descendance, un héritier à sa famille afin de resserrer les liens avec eux. Cela l’avait blessé qu’il le déshérite pour la simple raison qu’il était tombé amoureux de moi, une femme sans fortune qui n’était pas née dans une bonne famille. Il trouvait cela injuste mais ça ne l’empêchait pas te les aimer encore… Lorsqu’il nous a quittés, j’ai bien essayé de les voir. Je leur ai écrit quelques lettres qui sont toutes restées sans réponse. Ils ne sont même pas venus le jour de l’enterrement… Finalement, cette famille ne le méritait pas.
Elle passa sa main sur ses joues pour en essuyer les larmes, le regard enfouit dans un passé qui n’était pas si lointain dans son cœur. Puis elle regarda à nouveau son fils.
-Ton prix à payer est apparemment de ne pas pouvoir mourir. Mais pour Guillaume, ce sera différent. Votre amour durera éternellement, tu seras à ses côtés… C’était ton vœu. Cependant, avec le pouvoir du calice dans lequel tu as bu, il existe toujours un chemin fait de souffrance pour accéder au bonheur… Ton amant est mort afin de renaître quelque part. Il s’est réincarné et le destin fera en sorte que vous vous retrouviez lorsque vous approcherez de la date de ce pacte et de l’âge que vous avez aujourd’hui. Tu seras condamné à le voir vieillir et mourir, et à être séparé de lui avant de le retrouver encore et encore jusqu’à la fin des temps…
André se sentait sonné par tout ce qu’il entendait. Il s’était passé tellement de d’événements ces dernières heures ! Mais… La seule chose qui comptait réellement, la seule chose qui importait, tout ce qu’il retenait de toute cette horrible journée, était que son bien-aimé n’était pas mort et qu’il le retrouverait. Qu’il serait à ses côtés et qu’il pourrait le chérir autant qu’il le désirait ! Rien d’autre n’avait d’importance ! Non, rien d’autre. S’il devait souffrir à l’attendre des années, alors il le ferait. Tout ce qu’il désirait était de le retrouver. Il était prêt à tout endurer pour cela.
-Je suis désolée, dit-sa mère.
Il se tourna et la regarda. Prenant tendrement ses mains entre les siennes, il tâcha de la rassurer.
-Mère, ne le soyez pas. Êtes-vous sûre de ce que vous affirmez ?
Il avait toujours quelques doutes. Pourtant, sa mère ne lui mentirait jamais, il le savait. Et puis, il s’était donné la mort et celle-ci n’avait pas voulu de lui. Il souleva sa chemise et posa ses yeux sur l’endroit où il savait qu’il s’était frappé de la lame tranchante. Près du cœur… Cependant… Il ne subsistait aucune trace… Seulement du sang séché sur sa peau, rien d’autre.
-Je t’ai retiré le poignard… J’ai écouté ton cœur afin de voir s’il battait encore mais…
La voix de sa mère s’éteignit dans un sanglot.
-Il ne battait plus ! Je ne comprenais pas ! J’ai alors attendu, ne sachant quoi faire ! Et puis, ta peau s’est refermée sous mes yeux ! Ta poitrine a repris vie et s’est soulevée ! Et tu t’es réveillé ! Ho, mon fils ! À ce moment précis, j’ai compris. Guillaume était mort mais pas toi. La mort venait même de te rejeter ! Et le vœu n’admettait aucun doute ! Vous deviez vivre votre amour pour toujours ! C’est ainsi que la clarté s’est faite dans mon esprit. J’ai entendu tellement d’histoires dans ma famille ! Tellement d’histoires liées à cet objet… dit-elle en posant ses yeux mouillés sur la coupe dans laquelle resté un peu de leurs sangs. Ma mère m’en a raconté beaucoup le soir afin de m’endormir et j’ai longtemps cru que ce n’étaient que de simples histoires pour endormir les enfants, qu’elle avait de l’imagination ou même qu’il s’agissait d’histoires que l’on se transmettait de génération en génération, sans réellement d’importance…
Elle s’arrêta un moment, perdue dans ses souvenirs.
-Lorsque je suis partie avec ton père, reprit-elle, ma mère n’était déjà plus de ce monde et je n’étais pas proche des autres membres de ma famille, comme tu le sais. Alors, j’ai tout simplement décidé d’oublier toute cette partie de ma vie… En cette nuit, je le regrette et je me rattraperai. Je te raconterai tout ce que je sais, mon fils. Il s’agit de ton héritage. C’est grâce à ces histoires entendues jadis que j’ai compris quel serait ton destin, désormais.
Sa voix s’éteignit sur un ton plein de tristesse et de regrets, ce qui fit réagir André qui voyait ce tournant de son existence sous un autre aspect. Et celui-ci était empli d’espoir et non de souffrance.
À ce moment-là, il ne savait pas encore à quel point sa vie serait dure. À quel point perdre à plusieurs reprises l’homme qu'il aimait plus que tout au monde serait cruel et glacerait son cœur de solitude. Tout ce qu’il comprenait, tout ce qui comptait et faisait encore battre son cœur était qu’il retrouverait Guillaume. Il était prêt à attendre aussi longtemps qu’il le faudrait.
-Mère... Vous m'avez offert un présent que je n'oublierai jamais. Je saurai être patient. Je saurai attendre que mon bien-aimé Guillaume soit auprès de moi et je chérirai chaque instant à ses côtés. Ne vous faites pas de souci pour moi. Je vous suis tellement reconnaissant ! Je resterai auprès de vous et prendrai soin de vous aider comme je le pourrai. Je continuerai de travailler à la ferme pour vous remercier de ce que vous avez accompli. Si vous avez raison, alors... Désormais, je me dois d'attendre vingt-sept années que celui que j'aime revienne à mes côtés...
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