Chapitre quatre : Une lumière dans l'obscurité de la nuit.
1er décembre 2020
-On... On se connaît ?
Cet homme ne dit rien, continuant à le regarder avec attention. Adrien en fit de même. Non... Il n'avait jamais vu cet homme, sinon il s'en souviendrait forcément ! Comment aurait-il pu oublier ? Il devait avoir une bonne trentaine d'années et possédait un charme si envoûtant... Des cheveux bruns assez longs pour être tenus par un élastique dont quelques mèches s'échappaient sur le devant, un début de barbe rugueuse mais entretenue, des yeux si sombres qu'ils paraissaient aussi noirs que la nuit, un long manteau élégant à la couleur foncée ainsi qu'une écharpe complétaient le tout. La lanterne d'un autre temps qu'il tenait dans sa main ajoutait à cette allure et lui conférait un air réellement mystérieux et intriguant. Et le silence dont il faisait preuve commençait à le mettre vraiment mal à l'aise...
-Heu... Vous ne répondez pas ?
-Parce que je ne sais pas ce que je devrais répondre.
Hein ?! Ok... Adrien se racla la gorge pour se donner une contenance et décida de repartir sur de bonnes bases. Cet homme était quand même bizarre !
-Dans ce cas, répondez au moins à ma première question. Avez-vous un problème ? Que faites-vous en pleine soirée, dans la nuit, en plein milieu d'un brouillard épais et d'une tempête près d'un phare ? C'est dangereux !
-Ça fait deux questions, dit-il dans un sourire.
Ok... Aussi beau soit-il, il commençait sérieusement à lui taper sur les nerfs !
-Écoutez, il fait froid et je suis fatigué ! Alors suivez-moi pour vous mettre à l'abri ou repartez rapidement chez vous ! Mais ne restez pas là ! ordonna-t-il d'une voix autoritaire.
Il eut la surprise de voir un sourire se dessiner sur le beau visage qui lui faisait face.
-Je vous suis.
Adrien en fut totalement déstabilisé. Il pensait que cet homme rentrerait chez lui, pas qu'il accepterait son invitation qu'il avait lancée sans réfléchir ! Ho la la ! Dans quel pétrin s'était-il fourré ?! Il espérait vraiment qu'il ne s'agissait pas d'un cinglé ! Mais le temps d'y penser plus longuement, une nouvelle vague venait de frapper durement le port. Il était vraiment temps de se mettre à l'abri ! Ils pouvaient à tout moment être emportés par la mer si celle-ci devenait si violente qu'elle se mettait à les toucher !
-Très bien ! Venez, et vite ! céda Adrien.
Sans plus se soucier de lui, le jeune homme fit demi-tour et commença à marcher rapidement jusqu'à son nouveau foyer. En ouvrant, il prit soin de se baisser afin d'attraper son petit chat curieux qui ne demandait qu'à se sauver. Lorsqu'il se tourna pour fermer la porte, il découvrit cet homme juste derrière lui, à quelques centimètres et par réflexe, recula. Il ne s'attendait pas à ce qu'il soit si près ! Une bourrasque de vent le rappela à l'ordre et il le contourna afin de refermer la porte.
Le voilà enfermé avec un homme étrange qui s'amusait à sortir en pleine tempête, en plein brouillard et en bord de mer ! Était-il suicidaire ? Le jeune homme le regarda brièvement et n'eut pas cette impression. Il se dégageait de lui, une force et une assurance certaines ! Leurs yeux se croisèrent et Adrien se détourna rapidement, gêné d'avoir été pris en flagrant délit d'observation.
-Suivez-moi, dit-il avant d'entreprendre de monter les nombreuses marches qui les mèneraient à la salle de séjour.
Une fois arrivés, il relâcha son chat qui partit sentir le nouvel arrivant.
-Francis ! s'exclama Adrien, mécontent.
Après tout, il ne savait pas si cet homme aimait les chats !
-Ça ne me dérange pas, dit-il en se baissant pour câliner Francis qui ronronna de plaisir.
Eh bien ! Il était rare que son petit chat soit aussi chaleureux avec les inconnus ! Surpris mais en même temps soulagé que Francis ne feule pas contre son invité, il retira son manteau et se dirigea vers le coin cuisine.
-Voulez-vous quelque chose de chaud à boire ? Un café ? Du thé ? Un chocolat ?
-Oui, je veux bien, merci. Je prendrai la même chose que vous, un chocolat, répondit-il en se redressant.
Adrien tressaillit.
-Comment le savez-vous ?
-J'ai remarqué votre tasse. Il reste du chocolat à l'intérieur.
Eh bien ! Cet homme était observateur !
-Ho ! Ah oui ! C'est vrai ! Je l'avais oubliée ! Lorsque j'ai vu votre lanterne dans le brouillard, je me suis demandé ce qui se passait et je suis parti voir si quelqu'un avait besoin d'aide !
Il prit sa tasse et la mit à l'évier. Il entreprit d'en préparer deux nouveaux. Lorsqu'il se retourna, les tasses en mains, il se figea en découvrant que cet homme le fixait, les yeux brillants d'intérêt et un léger sourire flottant sur ses lèvres. Depuis quand le regardait-il ainsi ?!
-Un problème ?
-Non, au contraire, répondit-il dans un sourire plein de charme qui fit accélérer le cœur d'Adrien.
-D'accord... dit-il plus bas en s'approchant et en lui tendant sa tasse fumante, cherchant à cacher son trouble.
Leurs doigts se frôlèrent et un frisson le traversa à son toucher. Il était sûr que cet homme l'avait fait exprès ! Il partit s'asseoir sur le canapé et tendit la main afin de lui montrer qu'il pouvait s'asseoir sur le fauteuil en face, ce qu'il fit.
-Quel est votre nom ?
-André de Berthier.
En entendant son nom de famille, Adrien ne put s'empêcher de sourire.
-Ça fait très... noble ! s'exclama-t-il.
-J'ai effectivement des origines nobles.
-Ok ! Et... que faisiez-vous seul dans la nuit en pleine tempête ?
Il prit le temps de boire une gorgée de son chocolat avant de répondre.
-Je me baladais.
-Quoi ?! Ça vous prend souvent cette envie de vous promener en pleine tempête et en plein brouillard afin de risquer votre vie ?
Adrien s'était tendu d'un seul coup. Qu'est-ce que c'était que cette réponse, franchement ?! Avec surprise, il le vit de nouveau sourire.
-Vous avez raison. Ce n'était absolument pas prudent de ma part. Je vous présente mes excuses pour vous avoir effrayé et forcé à sortir par ce temps. Mais... J'avais quelque chose de très important à vérifier. Ce que j'avais à voir était bien plus important que ma propre vie.
Un silence s'installa entrecoupé par le bruit des vagues qui frappaient la côte et le vent qui soufflait par moment bien plus fort. Mais également par les chants de Noël d'Adrien dont le son avait été mis au minimum afin qu'ils puissent parler.
L'ambiance était électrique, intense. Les dernières paroles de cet homme avaient été prononcées sur un ton si affirmé ! Mais surtout, son regard avait troublé le jeune gardien du phare. Il l'avait regardé comme si... Non ! N'importe quoi ! Adrien se dit qu'il devait être vraiment fatigué pour penser une seule seconde que ce qu'il avait eu de très important à faire était de venir le voir, lui, alors qu'ils ne se connaissaient absolument pas ! Il détourna les yeux, mettant fin à cet échange et but une bonne gorgée de son chocolat pour se donner une contenance.
-Et... Que faites-vous dans la vie ?
Avec cette question banale, le jeune homme aux cheveux blonds souhaitait mettre fin à cette tension qui régnait et à laquelle il n'avait pas l'habitude.
-Je suis architecte mais un architecte en vacances pour le moment.
-"Architecte" ? Je crois bien que vous êtes le premier que je rencontre !
-Eh bien, je suis flatté d'être le premier, dit-il d'une voix suave, comme s'il parlait de tout autre chose.
Adrien s'éclaircit la gorge, les joues rougies.
-Et... Que pouvez-vous me dire sur votre métier ?
Cette question pouvait paraître étrange mais il se sentait très gêné d'être aussi rouge qu'une tomate bien mûre ! Surtout que cet homme ne cachait pas son amusement face à cette vision qu'il lui offrait ! Pourquoi n'était-il pas plus doué pour cacher ses émotions ?...
-J'aime être à la conception de bâtiments, c'est comme poser ma marque dans ce monde... Laisser un souvenir de mon passage dans telle ville ou telle région... Je suis à mon compte et ne prends des contrats que lorsque j'en ai l'envie, je ne m'impose pas un rythme de travail dur et continu. Je n'en vois pas l'intérêt. Et vous, alors ? Vous êtes le nouveau gardien de ce phare ? Je sais qu'Alfred cherchait un remplaçant depuis longtemps.
-Heu... Oui ! Je suis arrivé aujourd'hui. J'étais arrivé à une période de ma vie où je ressentais le besoin de partir et de tout renouveler. Nouvelle ville, nouveau métier, nouveau foyer...
-Et d'où venez-vous ?
-De pas très loin. Je viens de la région d'à côté, de la Picardie. J'y suis né, y ai fait mes études avant de travailler dans un musée au sein même de la ville dans laquelle je venais d'être diplômé. Autant dire qu'en dehors de mes vacances, je n'étais même jamais sorti de mon département avant aujourd'hui ! termina-t-il dans un petit rire.
Le silence se fit de nouveau et la playlist de chansons de Noël se termina. Ce fut le signal pour Adrien qui comprit qu'il se faisait vraiment tard.
-Bon. Monsieur De Berthier, vous allez...
-Appelez-moi André, l'interrompit-il.
-Ok... André, vous allez dormir ici et je n'admets aucun refus. Je ne vais certainement pas vous laisser repartir en pleine tempête ! Vous pourrez vous en aller demain matin.
-Très bien. C'est très gentil de votre part. Merci.
Adrien hocha la tête et termina sa boisson chaude qui ne l'était plus tant que ça. Il se leva ensuite pour partir chercher une couverture et un oreiller qu'il installa sur le canapé sous les yeux amusés d'André. Qu'y avait-il de si amusant chez lui ? Et aussi de si intéressant ? Car lorsqu'il se retourna, il découvrit qu'il le fixait encore ou plutôt, le dévorait du regard, serait plus juste... Mais il choisit de ne rien dire. Il se sentait trop fatigué ! Un déménagement, plusieurs heures de route, un emménagement, du nettoyage, du rangement et une sortie en pleine tempête avaient eu raison de lui !
-Bien. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à me le dire, dit-il en allant prendre son petit chat noir qui les regardait, bien installé dans son panier.
Il ne savait pas vraiment à qui il avait affaire, alors il préférait prendre Francis avec lui. Il prit également le panier. Il savait que son chat voyagerait sans doute dans le phare durant la nuit mais la plupart du temps, il s'installait pour dormir avec lui au moins quelques heures.
-Bonne nuit, André.
-Bonne nuit, Adrien.
C'est vrai... Comment connaissait-il son nom ? Il lui demanderait le lendemain, se promit-il. Épuisé, il se dirigea vers les escaliers afin de descendre au niveau juste en dessous et partit en direction de la chambre. Après s'être préparé pour la nuit, il tendit l'oreille mais n'entendit rien. André devait être couché. Le jeune homme en fut soulagé et entra enfin dans son lit sur lequel Francis l'attendait déjà. La couette jusqu'en haut des oreilles, le bruit des vagues contre la côte qui le berçait, il ne tarda pas à se laisser envahir par le sommeil. C'est alors que le bel homme venu du brouillard descendit l'escalier qui menait à la chambre. Francis se mit à ronronner face à cette présence incongrue qui lui allait très bien. Car après tout, il n'aimait pas que son maître dorme et ne s'occupe pas de lui ! Il le préférait éveillé !
Arrivé dans la chambre, André se stoppa un instant afin d'écouter la douce respiration d'Adrien. Elle était lente, il dormait d'un profond sommeil. Alors, s'enhardissant, il approcha lentement jusqu'au lit et regarda le bel endormi. Ses beaux cheveux blonds... Ils scintillaient dans la lumière de la Lune, tel un trésor, ce qu'il était pour lui. Il ne l'avait pas vu si jeune depuis longtemps. Son amour... L'homme de sa vie. Il ne put s'empêcher de s'agenouiller sur le sol pour se retrouver à la hauteur de son joli visage aux doux traits.
-Mon amour... murmura-t-il. Plus que vingt-quatre jours et nous serons de nouveau réunis.
Du bout des doigts, il lui effleura délicatement la joue. Un soupir de contentement lui répondit.
-C'était si dur sans toi... Trop dur. Mais tu es de nouveau devant moi...
André resta un long moment à regarder l'homme qu'il aimait depuis deux siècles. Chérissant cet instant de l'avoir retrouvé. Ces années sans sa présence étaient une telle torture ! Des jours, des ans... Vingt-sept années solitaires, froides et dénuées d'intérêt sans l'être qui lui était le plus cher à ses côtés ! Jusqu'à ce que sa lumière revienne dans sa vie. Puis après un grand bonheur, qu'elle finisse par s'éteindre, le laissant dans une solitude pleine de désespoir... Avant de revenir illuminer son quotidien, faisant vibrer de nouveau son cœur, son âme.
Il vivait de cycles. Un cycle de souffrance faisait toujours place à un cycle de bonheur lorsqu'il retrouvait son âme-sœur, et il se raccrochait à ça. C'était si injuste de devoir souffrir autant pour avoir le droit de vivre auprès de celui qu'il aimait !
Le bel homme au cœur brisé finit par se lever. Il était temps de partir. Il ne désirait surtout pas l'effrayer. Que lui dirait-il s'il le voyait en train de l'observer dormir ? Oui... Il refusait de gâcher les premiers moments auprès de son amant, après toutes ces années.
-Tu es mon soleil, la lumière qui me manque tant dans cet hiver éternel. Et tu le seras toujours, mon amour... Toujours.
Ce fut le cœur lourd qu'il s'éloigna et sortit du phare pour entrer à nouveau dans l'obscurité glacée...
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