Chapitre six : Deux hommes dans le brouillard.

9 minutes de lecture

6 décembre 2020

Cinq jours... Cela faisait cinq jours qu'Adrien était arrivé au phare. Et... qu'il n'avait pas revu cet homme apparu dans le brouillard de Normandie. Il essayait bien de ne plus y penser mais cette rencontre avait été si étrange ! Il se dégageait quelque chose de si envoûtant dans ce moment ! Puis le lendemain, lorsqu'il s'était levé en pensant le trouver au salon, il avait découvert la pièce vide et la couverture bien pliée avec l'oreiller posé dessus.

Il avait tout de même jeté un coup d'œil autour de lui pour être sûr que rien n'avait disparu mais en dehors du bel homme aux longs cheveux bruns, non. Tout était à sa place et cet homme était parti sans un mot, rien. En silence. S'il ne restait ces traces de son passage, - l'oreiller et la couverture bien pliée -, Adrien aurait pu se demander s'il n'avait tout simplement pas rêvé !

Le jeune homme ne savait pas pour quelle raison mais cette disparition, en n'ayant aucun moyen de le contacter, l'avait perturbé. Les jours étaient passés sans aucun trace de cet homme qui restait ancré dans ses pensées. Il voulait l'oublier et faisait tout pour y arriver parce que cela pouvait sembler étrange mais ça lui faisait mal de penser à André... Alors, lorsqu'Alfred était venu au phare pour lui rendre visite et vérifier si tout se passait bien, Adrien ne lui avait posé aucune question sur ce beau brun mystérieux, même s'il en mourait d'envie.

-Bon, allez ! Tu as tout ce qu'il te faut jusqu'à ce que je revienne, Francis ! Sois sage ! s'exclama le jeune homme en caressant la frimousse de son petit chat noir installé sur le canapé.

Aujourd'hui était dimanche, le jour où il allait dîner chez Alfred et son épouse. Et ça le mettait de bonne humeur ! La perspective de partager un bon repas avec des gens aussi accueillants, alors qu'il venait d'arriver et ne connaissait encore personne, le mettait en joie. Il ne doutait pas une seconde que l'épouse d'Alfred serait aussi adorable que l'ancien gardien de phare ! Ce fut donc le cœur plus léger qu'il partit en direction de la maison du sexagénaire qui lui avait expliqué quels chemins emprunter pour se rendre chez lui. Normalement, il n'en avait que pour une quinzaine de minutes à pieds, pas la peine de prendre sa voiture !

Après un bon bol d'air frais, il finit par arriver devant une barrière blanche ouverte sur une cour remplie de fleurs d'hiver et d'arbustes de toutes sortes qui entouraient un gazon entretenu. La maison brillait de mille feux avec ses guirlandes. Apparemment, ici, on aimait Noël !

Un long chemin rempli de cailloux au milieu de la cour menait à la porte d'entrée d'une grande maison typique de Normandie. Adrien vérifia l'adresse qu'il avait marquée sur un bout de papier et s'avança jusqu'à la grande porte sur laquelle il toqua et qui ne tarda pas à s'ouvrir.

-Bonsoir, Adrien ! s'exclama joyeusement Alfred.

Celui-ci portait un pull de Noël rouge vif sur lequel trônait un énorme sapin vert et pailleté. Adrien ne put s'empêcher de sourire face à ces couleurs éclatantes mais aussi parce que lui-même était vêtu d'un pull du même style. Le sien était un peu plus discret puisque blanc avec un grand Père-Noël au centre qui tenait un sac rempli de cadeaux.

-Bonsoir ! Tenez ! Je vous ai apporté une bouteille ! dit le jeune homme en la lui tendant, une fois entré.

Ne connaissant pas les goûts d'Alfred et de son épouse, il avait opté pour son vin blanc préféré.

-C'est très gentil ! Venez !

Il retira son manteau suite à la demande du sexagénaire qui rigola en découvrant sa tenue.

- Eh bien ! Nous voilà assortis ! Allez ! Je vais vous présenter mon épouse !

**

Quelques heures plus tard, Adrien se trouvait près d'une cheminée dans laquelle brûlait un feu de bois et c'était agréable. Ils prenaient tous les trois un digestif bien venu après la délicieuse bûche au chocolat blanc qu'ils venaient de savourer. Ils se trouvaient confortablement installés sur un canapé pour le couple et un fauteuil pour le jeune homme. Comme espéré, le repas avait été chaleureux et délicieux. L'épouse d'Alfred qui se nommait Corentine, était aussi gentille que son mari et très bavarde. Cette ancienne institutrice à l'allure plus sérieuse que les deux hommes dans sa robe cintrée de couleur bordeaux, était une passionnée de cuisine et de lecture. Les sujets de conversations avaient donc été nombreux ! Le jeune homme avait également appris que tous deux s'étaient rencontrés dans cette ville portuaire alors qu'Alfred menait pour la première fois, son neveu à l'école dans laquelle exerçait Corentine et que lorsque leurs regards s'étaient croisés, ça avait été le coup de foudre ! Lui qui n'avait connu que des désillusions sur le plan privé, trouvait cela très romantique.

Il était si difficile à notre époque de trouver un homme gentil et prêt à se lancer dans une relation sérieuse qui ne se basait pas que sur le sexe ! Oui, vraiment... Ce n'était que son avis mais il avait cette impression que les hommes de moins de quarante-cinq ans voire cinquante ans, étaient trop écoutés par la société en général sur les plans sentimental et sexuel. De nos jours, le sexe étant facile à obtenir avec tous ces sites de rencontre, ces applications où l'on trouvait facilement un partenaire pour la nuit, il n'y avait plus de séduction, plus de mystère. Tout était facile, trop facile à obtenir et connaître la personne avec qui l'on désirait entamer une relation de couple, n'était plus au premier plan. Il suffisait seulement de la mettre dans son lit et la relation commençait, sachant que le sexe pouvait arriver dès le premier rencard...

Où était la joie des premiers rendez-vous ? L'excitation à l'idée de revoir la personne qui nous intéressait ? Le cœur battant à cent à l'heure, les pensées remplies de cette personne pour laquelle on avait le béguin, la tenue à choisir pour la revoir, réfléchir au rencard idéal ? Est-ce qu'on devrait aller voir un film ? Ou bien se balader ? Quel endroit serait parfait et romantique ? Non. Aujourd'hui, quelqu'un te plaît, tu proposes un rendez-vous, tu lui sautes dessus sans attendre plus de 15 à 30 minutes et le tour est joué. Félicitations. Tu as obtenu ce que tu voulais. Ça y est, tu es en couple, sans avoir fourni le moindre effort ! Si palpitant...

L'intérêt porté à la personne dont on découvre la personnalité peu à peu et qui définirait si oui ou non, on est faits l'un pour l'autre ? Si ça vaut le coup de tenter une relation de couple ou non ? Ça n'avait pas d'importance... Et Adrien en avait marre de ça.

Il rêvait d'un homme qui ait cette envie de le séduire, de le connaître. Qui lui montrerait de l'intérêt, qui serait prêt à faire quelques efforts pour des rendez-vous magiques, comme lui était prêt à le faire. Il ne voulait plus de ces mecs qui l'embrassaient alors que ça ne faisait que quelques minutes qu'ils se connaissaient ! Ou de ceux qui essayaient de le mettre dans son lit alors qu'il avait trop bu parce qu'il était en soirée avec des amis et que l'effet de l'alcool l'avait surpris ! Non. Pour l'instant, son célibat lui allait très bien.

Ne plus être proche de sa famille, être éloigné de ses quelques amis, avoir un nouveau travail qui l'écartait un peu de la société, ça ne lui faisait pas peur, loin de là ! Il aimait la solitude ! Et cette nouvelle vie assez particulière ne l'encourageait certainement pas à se jeter dans les bras du premier homme intéressé qu'il croiserait ! Non...

Malgré la pression que pouvait mettre la société sur les célibataires afin qu'ils rentrent dans le moule et se mettent en couple, il se sentait libre ainsi et n'avait plus peur d'être déçu encore une fois et d'avoir le cœur en miettes...

Cependant, en écoutant l'histoire de ces deux êtres qui lui faisaient face et dont l'amour l'un pour l'autre semblait encore si fort malgré les années, ainsi que la complicité, un petit pincement au cœur se faisait sentir. C'était incontrôlable pour une âme romantique comme l'était la sienne à ses dépens ! Il soupira discrètement et se reconcentra sur l'instant.

Le couple de sexagénaires avait sorti un album afin de lui montrer de vieilles photographies prises au phare. Adrien avait pu découvrir un Alfred d'une vingtaine d'années et plus, dont les cheveux étaient noir corbeau, mais aussi son épouse qui avait vécu de nombreuses années auprès de lui au sein du phare. Puis, elle était tombée enceinte et le couple avait cherché une maison, CETTE maison, pour élever leur fille qui portait le doux nom de Cléo. Le jeune homme avait le sourire en regardant toutes ces images chargées de souvenirs. Il aurait aimé avoir une famille aussi unie et aimante que l'était la leur.

Soudainement, une photo l'interpella. Il la regarda plus attentivement, sentant son sang se glacer.

-Qui est-ce ? demanda-t-il.

Il montra du doigt un homme aux cheveux bruns attachés sur la nuque et à l'allure élégante, vêtu d'un pantalon noir à l'aspect un peu usé et d'une chemise blanche. Il regardait la mer, les mains dans les poches, se tenant près d'Alfred qui avait l'air aussi joviale qu'aujourd'hui. Cette photo devait dater de vingt ou trente ans s'il se fiait à l'âge que devait avoir l'ancien gardien de phare sur l'image.

-Ho ! Il s'agit d'André senior de Berthier.

En entendant ce nom, un frisson traversa Adrien. Devenu livide, il se figea.

-On dirait... J'ai rencontré un André de Berthier, il y a presqu'une semaine...

-Déjà ? Il est vrai qu'il n'habite pas très loin du phare et qu'il aime se balader près de la mer ! C'est son fils. Ils se ressemblent comme deux gouttes d'eau, n'est-ce pas ?

C'était le moins que l'on puisse dire !

-Son fils ?! Heu... Oui... J'ai cru qu'il s'agissait de la même personne... avoua Adrien qui reprenait des couleurs.

-Ha ha ! Je peux comprendre mais je n'ai pas besoin de vous expliquer que cela est impossible ! s'exclama-t-il avec un clin d'œil gentiment moqueur. André senior doit être âgé d'à peu près soixante-dix ans aujourd'hui et si vous avez rencontré son fils, alors vous savez qu'il ne doit avoir qu'entre trente et trente-cinq ans, je dirais !

-Oui, oui ! Je ne sais pas où j'avais la tête ! pouffa le jeune homme, un peu gêné mais aussi, bizarrement soulagé.

Alfred lui sourit avec gentillesse, semblant amusé et tourna d'autres pages de leur album.

-Tenez ! Il y a d'autres photos de lui, ici ! Il portait une longue barbe à ce moment-là !

Adrien regarda avec attention. Il était vraiment beau. Même avec cette barbe épaisse qui lui recouvrait les joues. Mais surtout, sur quelques photos, il souriait et ça le bouleversait étrangement. Un beau sourire lumineux... Il était si rare ! Seulement trois ou quatre photographies le montraient sur toutes celles qui parcouraient plusieurs années d'amitié avec Alfred et son épouse !

-Ha ! Ça me rappelle des souvenirs, tout ça ! Son père a vécu dans cette ville, dans la maison actuelle de son fils, durant une bonne dizaine d'années. Il travaillait comme maçon pour la ville. Bien que de bonne compagnie, il était assez discret sur sa vie privée et je n'ai jamais vraiment compris la décision de son départ. Ils nous a juste dit qu'il avait reçu une offre d'emploi mieux rémunéré dans une autre région et qu'il avait besoin de changement ! Mais... Je sentais qu'il y avait autre chose... Et lorsque son fils est arrivé, il y a environ... deux ans de cela, j'ai été réellement étonné d'apprendre qu'il était le fils d'André ! Il avait dû rencontrer sa mère quelques années avant de venir ici ! Il est peut-être parti pour aller la rejoindre ! Allez savoir ! Le fils est aussi discret sur sa vie privée que l'était son père !

Adrien trouvait que ce trait de personnalité allait parfaitement avec cet homme mystérieux. Lui qui essayait de l'oublier, voilà que cette soirée chez Alfred le faisait revenir à ses pensées et qu'il en avait même appris un peu plus sur ce bel étranger ! Le destin était vraiment plein de surprises, ces derniers temps !

L'heure du départ finit par sonner. Une fois des « au revoir » chaleureux prononcés et une promesse de revenir manger chez eux le week-end suivant, Adrien prit le chemin du retour, son petit cœur réchauffé par cette belle soirée.

En arrivant sur la côte rocheuse qui menait au phare, le jeune homme eut la stupéfaction de découvrir qu'un nouveau et épais brouillard l'attendait. Après s'être stoppé, il reprit doucement sa route mais il avait beaucoup de mal à distinguer quoi que ce soit. Il s'avançait avec lenteur et précaution depuis un bon moment lorsqu'une lumière attira son attention. Cet homme... André... Il était là. Devant la porte d'entrée du phare, muni de sa vielle lanterne...

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