Kitrahelf Fajihga (Chap1)
Il ouvrit l’enveloppe blanche posée sur la table. C’était une lettre du Kitrahelf Fajihga, le tribunal administratif. Il la reconnaissait au logo qu’il a dû apprendre rapidement. Il ne comprenait rien de ce qui était écrit. Le seul mot qu’il connaissait et qui était marqué était : Sahifa, libéré. Avec la lettre, il y avait un visa temporaire de huit jours. Enfin, il y était arrivé. Il était libre. N’ayant plus rien avec lui et après avoir fait ses adieux à ses camarades de galère, il sortit de ce que les panneaux indiquaient comme une « Hierkro Jarmol ». Entre français on se soutiendra toujours, pensa-t-il. Virgil, dans une dernière poignée de main, lui avait glissé un mot. Le nom d’une connaissance à la capitale, qu’il avait dit. Ils espéraient s’y retrouver. Le portail métallique se referma sur le bâtiment gris en un grincement. Où aller maintenant ? il n’avait pas de fric, avait faim, soif et était fatigué. Si on lui avait dit quelques années plutôt qu’il allait parcourir la moitié du globe pour se retrouver ici, sans rien, il se serait bien marré. Mais il avait perdu le gout de rire. Comme beaucoup d’autres d’ailleurs. Le soir commençait à tomber. Les rues étaient pleines de Tuk-Tuk claxonnant et noir de monde. La poussière des routes s’insinuait sous son t-shirt et se collait à sa peau suante. Il s’avança et à peine son pied avait-il battu le goudron que l’un d’eux l’engueula.
- Ouerlo sael, chikmouk tubab ! (Bouges de là, sal toubab !)
Tubab. Le second mot qu’il reconnaissait. En France, c’était une insulte utilisée par les rebeux et autres noirs qu’on laissaient croupir dans les vieilles banlieues. Depuis qu’il avait accosté, tous les gens d’ici qu’ils soient, douanier, avocat, juge, maton ou femme de ménage, l’appelait soit le tubab soit le catho. Comme si tous les blancs étaient des catholiques. Lui, il croyait en rien et ça depuis tout petit. Il s’était même fait débaptiser dès qu’il avait pu, ses parents l’ayant fait plus par tradition que par volonté, car il ne supportait l’idée que sa vie soit sous le joug d’une quelconque secte à laquelle il n’adhérait pas. Il détestait toutes ces fumisteries. C’est d’ailleurs en partie pour ça qu’il avait dû fuir le pays. On n’avait plus le droit de critiquer ouvertement l’Eglise, par la même occasion l’Etat, et encore moins dans le service public. Bien sûr, les non croyants étaient encore tolérés mais pas ceux qui l’affichaient ouvertement. Heureusement, si on peut encore employer ce mot pour sa situation, ce n’était pas le motif principal. Il se fraya un chemin dans la circulation. Il se souvint d’une femme qu’il avait rencontré un matin au foyer ou il logeait depuis son arrivée. Elle s’appelait Finah et parlait le français. Elle représentait une association qui aidait les migrants en situation irrégulière. Elle lui avait expliqué, qu’à sa sortie de la zone d’attente, la fameuse « Hierkro Jarmol », il pourrait venir dans leurs locaux. Le temps de se refaire une santé. C’était quoi déjà le nom de l’asso ? attends… c’était un acronyme du style DRO, un truc dans le genre. C’était leur ADATE à eux. Mais où ils créchaient ? il ne s’en souvenait plus.
Les odeurs de poulet et de viande de mouton flottantes dans l’air chaud lui faisaient grommeler le ventre. Il ne devait pas y penser. Faire comme sur le bateau, se focaliser sur chaque seconde qui s’écoulait. Plus il marchait dans ces rues, entres les passants parlant une langue inconnue, devant les boutiques bon marché rayonnant de lumières, plus sa tête se mettait à tourner. Il s’arrêta un instant sur le parvis d’un immeuble. Calme-toi, respire un coup et tout va bien se passer. Don’t try, go all the way comme disait l’autre. Il aurait payé cher pour lire un de ses livres. Il se remit en route. Parfois, croisant leurs regards, il y lisait du mépris, du dégout, de la peur, de la haine. Mais parfois, rarement, mais quand même, de la tristesse, de la compassion. Si seulement tout le monde était encore humain, ça ne se serait pas passé comme ça. La nuit s’était ancrée dans le ciel. Il fallait qu’il se trouve un endroit pour dormir ou du moins se reposer. Comme à son habitude, il fit les poubelles à la recherche de cartons et de restes. Mais rien. C’était quelque chose qu’il avait remarqué durant sa traversée, plus il allait dans le Sud, moins les poubelles étaient pleines. Pas étonnant. Quand on a presque rien on fait avec ce qu’on a et tant pis pour ceux qui n’ont vraiment plus rien. Plan b : attendre qu’une porte d’un immeuble s’ouvre, que la personne sorte et, juste avant qu’elle ne se referme, la porte, y entrer pour descendre dans les caves. C’était un truc qu’un des passeurs lui avait dit lorsqu’il avait traversé la frontière entre la Libye et le Soudan.
- Au moins tu crèveras pas de chaud dans les caves, avait-il rajouté alors qu’il conduisait un de ses vieux 4x4 Toyota blanc.
La lumière automatique illumina des escaliers grisâtres. Il devait faire un effort pour ne pas se laisser tomber la tête la première. Le mélange entre la faim, la soif et la fatigue te grignotait le cerveau plus vite qu’il ne creuse ton ventre.
- Allez, encore une dernière marche et on y est.
Il s’effondra sur le sol comme un mort et se recroquevilla sur lui-même en pls. Garder le peu de chaleur qui lui restait pour éviter de tomber malade. La lumière s’éteignit et lui avec.
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