Walkif (Chap3)
Le Tuk-Tuk l’avait amené au pied d’un immeuble haut de cinq étages, à l’extérieur de la ville. Jamais il n’aurait pu le trouver seul. Ça valait bien ses trois jours de manche durant lesquels il s’était nourri des restes d’un marché. Le premier jour, il avait bouffé une sorte de carotte jaune et une orange pourrie. Les deux autres jours suivant, il avait réussi à trouver des quignons de pain dur. Un festin. Pour ce qui était de la soif, après deux jours à résister, il s’était mis à boire aux rares fontaines de la ville. L’eau n’était pas potable mais rien à faire. Ça restait de l’eau et tant pis pour la coulante qui s’en suivrait.
Les locaux de l’asso n’étaient rien d’autre qu’un hall aménagé avec cuisinette d’appoint, toilettes et trois pièces dont un bureau, une salle de réunion et une salle détente avec canapé, cafetière et théière, télé et fenêtre sur cour. Il n’y avait pas grand monde et encore moins Finah. Un grand type mince et aux yeux perçant l’accueillit.
- Hello, my name Walkif, you ?
Devait-il donner un faux nom ? Des affiches multicolores étaient placardées sur les murs blancs. Elles n’étaient pas traduites. Sur certaines, des points levés avec des fils barbelés les entourant. Sur d’autres, des enfants blancs squelettiques tenant un sein plat. Sur d’autres encore, des femmes et des hommes implorants entourés de policiers noirs, les pointant avec leurs flingues. Leur point commun ? ce slogan : DRO, Heifchifa wehal !
- Qu’est-ce que ça veut dire ?
- Oh ! ça ? ça veut dire : DRO, sauvons-les.
Il comprenait et parlait donc français. C’était un bon point. C’était rare les gens qui le parlait surtout quand on est de l’autre côté de la méditerranée.
- Dès que je vous ai vu, j’ai toute de suite su d’où vous veniez, reprit l’homme tout en souriant.
- Qu’est-ce que ça veut dire ?
Walkif perdit son sourire et pâlit.
- Je disais pas ça par rapport à votre couleur. Je disais ça parce qu’en ce moment on reçoit beaucoup de gens comme vous.
Il parlait peut être français mais il faut croire que la xénophobie ordinaire traversait les frontières.
- Je suis venu parce que Finah m’a trouvé à la Hierkro Jarmol de la gare.
- Ok.
- Elle est là ?
- Non, elle revient dans une heure.
Il alla dans la salle détente ou Walkif lui servit un thé vert et lui précisa qu’il pouvait s’allonger ici en l’attendant.
Lorsqu’il se réveilla de sa sieste, le soleil était déjà bien haut dans le ciel de la cour. A la vue de l’ombre de l’unique arbre dans cette forêt de béton, il comprit qu’il n’était pas loin de midi. En face de lui, Finah. Sa chevelure tressée tombait sur son débardeur rouge tandis que ses yeux doux le regardaient s’assoir maladroitement.
- Bonjour, dit-elle. Comment allez-vous ?
- J’ai connu pire. Ça fait longtemps que vous attendez ?
- Non, je viens d’arriver. Vous avez faim ?
Son ventre répondit pour lui.
- Désolé.
- Pas de problème. Venez, je connais un coin ou on sera tranquille.
Ils sortirent du bâtiment. Avant de passer le seuil de la porte, elle demanda à Walkif quelque chose dans leur langue. Il ne savait pas de quoi ils parlaient. Pas grave. Après dix minutes, ils ouvrirent la porte d’un fastfood. L’enseigne éteinte représentait un poulet courant. Elle lui prit un Gorhfdar, une cuisse rôtie avec frites, et elle une salade verte qui s’appelait Juyso. Il se trouvèrent une table à l’écart des jeunes qui braillaient et rigolaient fort.
- Merci pour le repas.
- De rien, c’est normal.
- Vous faites ça avec tous ceux que vous recevez ?
- Non, c’est juste que ça me fait plaisir de vous l’offrir.
Cette sympathie n’était rien d’autre qu’un moyen pour elle et tous ceux qui faisaient de même de se croire proche de lui, songeait-il. Laissons-lui une chance.
- Pourquoi vous avez quitté le pays ? reprit-elle.
Il commençait à peine de manger. Qu’est-ce que ça faisait du bien d’avoir un truc consistant dans le bide.
- Qu’est-ce que vous voulez savoir ?
- Seulement ce que vous avez envie de me dire.
- Ça changera quelque chose à l’aide que vous allez peut être me donner ?
- Non. J’ai juste besoin de comprendre qu’est ce qui poussent des gens à tout laisser derrière eux et partir à l’inconnu.
- Je vois.
Un ange passa.
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