La politesse du déséspéré (chap4)
En France, je travaillais en tant qu’agent territorial pour le département de la Creuse. C’est en plein cœur du pays. J’étais en charge de mettre en relation les écoles et les structures de santé. En gros, je passais le plus clair de mon temps soit dans mon bureau à téléphoner, à organiser des réunions, à faire des comptes rendus, soit en réunion avec les différents acteurs participants aux projets dont j’étais le chef d’orchestre. C’était clairement pas mon rêve de gosse de finir comme ça mais qu’est-ce que vous voulez, il faut bien rentrer dans le moule à un moment donné. Alors j’ai obtenu une licence, un master en sciences sociales et puis j’ai passé les concours de la fonction publique. Je me revois encore, à peine sorti du système scolaire, replonger la tête dans les bouquins, à bucher comme un dingue en espérant réussir à avoir ce précieux sésame. Toutes ces soirées passées, toutes ces journées d'enfer ; que je prenais comme telles à l’époque ; si c’était à refaire je ne le referais pas. J’ai bousillé les plus belles années de ma vie. J’avais tellement la tête dans le guidon qu’entre mes quinze et mes vingt ans, je n’avais ni copain, ni ami, ni petite amie. J’étais juste une tête d’ampoule qui voulait réussir sa vie. Je vous ai peut-être menti : la rare chose à laquelle je pouvais encore m’intéresser après toutes ces heures à apprendre était l’état du monde. Allez savoir pourquoi, j’avais besoin de me mettre au courant de tout et c’est ainsi que, sans le savoir, je me suis mis à être de gauche. Enfin de gauche, façon parler parce qu’en soit tout ce que je voyais autour de moi c’était soit des types qui crevaient la dalle dans les caniveaux, soit des hommes et des femmes en plein burnout devant gérer deux ou trois gosses qui, eux-mêmes, devaient subir toute la journée des profs et un établissement scolaire qui était lui-même en pleine dépression pour des raisons pécuniaires. J’avais besoin de comprendre comment on en était arrivé là. A chaque fois que je me penchais sur un problème, qu’il soit social, économique, écologique, il avait pour source nos gouvernants. Je n’étais pas le seul à penser ça.
Au départ, comme dans toute démocratie, on est allé manifester pacifiquement. Tout allait bien. Et puis on a vite compris que notre pacifisme n’intéressait pas ceux d’en haut alors certains, dans nos rangs, ont commencé à cramer des Mcdos, des H&M et autres portes étendards des riquains. L’unique réponse qu’on a eu fut plus de flics pour nous encadrer. Ensuite comme nos cris n’étaient pas entendus, on a commencé bruler des bâtiments de l’Etat. Toujours la même réponse mais avec une once de violence en plus. Bah oui, l’Etat possède la légitime violence alors il en profitait et n’hésitait pas à mutiler sa population au point où celle-ci commençait à avoir peur d’utiliser ce droit qui lui était sien. Mais la colère qui coulait dans nos veines était toujours là. Alors les urnes se sont remplies petit à petit de bulletin en faveur de l’extrême droite, du Front National puis du Rassemblement National. Extrême droite qui avait réussi sa dédiabolisation et gagnait en légitimité depuis qu’elle était accueillie régulièrement dans les grands médias, qu’ils soient privés ou public. Au fil du temps, elle s’est imposée comme deuxième parti de France, comme force politique majeure. Dans tout ce bazar, j’ai toujours voté pour des personnes qui plaçaient l’être humain et ses droits au-dessus de tout et comme je devais choisir mon camps lors des élections, il est vrai que j’ai voté les partis de gauche tout le temps. Je n’y peux rien si l’identité de la gauche est la protection des travailleurs, qu’ils soient ouvriers ou employés, la protection minorités, et la défense des valeurs humainistes que je portais.
Un jour, ils sont passés, c’était lors des élections européennes de 2024, et plus rien ne fut comme avant. A la suite de quoi Macron avait dissout l’Assemblée Nationale qu’ils gagnèrent. Ils ont ensuite remporté les élections présidentielles et depuis y sont toujours. Même si, au début, ils ne firent rien de plus différemment des autres, ils s’en sont très vite pris aux droits des musulmans et plus largement des personnes d’origine directe ou indirecte des pays africains. Ces derniers représentaient tous ceux qui avaient soit des parents soient des grands parents migrants. La préférence nationnale qu'ils appelaient ça. Ce furent d’abord leurs droits économiques par le biais de reformes du travail, du chômage, de retraite le tout justifié au nom de la croissance française. Dans le même temps, le racisme ordinaire devenait banal et légitime car sous couvert d’humour. L’humour peut justifier les pires horreurs. Par exemple, certains de mes collègues blancs faisaient de plus en plus sentir aux autres qu’ils n’étaient pas à leurs places mais toujours sur le ton de la blague. Parfois je m’interposais. Parfois j’allais manifester à mes risques et périls contre le gouvernement et leur ségrégation législative. Mes supérieurs se mirent à me surveiller et m’imposèrent des projets éducatifs de plus en plus restrictifs vis-à-vis de ceux qu’on appelait les banlieusard, les racailles, les arabes, les noirs. La seule chose qui me restait était la politesse du désespéré, l’humour. Je ne pouvais m’empêcher de faire des blagues sur ce pays dit « des Droits de l’Homme » qui tombait dans le gouffre des droits des blancs. Il y eu un soir ou ce fut le soir de trop.
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