Sayko (chap8)

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Première chose, trouver un supermarché. C’était le spot le plus sur pour la manche. Il se mit en route. Chaque femme qu’il croisait était voilée. Il y en avait de toutes les couleurs. Un défilé de foulards plus ou moins bon marché sous lesquels des visages ronds, carrés, triangulaires, aux traits gras ou fins, aux pupilles noires, aux lèvres pulpeuses et aux rides souples ou raides. Tous ces visages avaient comme point commun la sérénité d’une vie bien rangée. Sans encombre. Il en allait de même pour les hommes. Même si leurs regards lui semblèrent plus durs. Et puis, petit à petit, des métisses apparurent et avec eux l’espoir d’une intégration possible. Des jeunes pour la plupart. Sac à dos sur les épaules, banane sur le torse, lunettes de soleil sur le nez, oreillettes et parlant cette langue incompréhensible. Certains distribuaient des sachets bleus moyennant quelques pièces, d’autres riaient, discutaient, jouaient de la guitare, assis sur des bancs ou à même le trottoir. Savaient-ils ce que leurs pères ou leurs mères avaient vécu ? L’ignorance de leur passé se trahissait dans la souplesse de leurs gestuelles. Bon, c’est pas tout mais où se trouve ce satané supermarché ? remonter à la source des sacs Spar dans lesquels des légumes et autres pattes et sauce tomate se ballotaient.

- Tche Malkfekouo ! (Tu schlingues) l’interrompit un passant en lui montrant sa veste.

- Sorry, I don’t understand.

Il continua à marcher. Cet odeur de poulet grillé volant toujours dans l’air. Sa veste. Sa veste. Qu’est-ce qu'elle avait sa veste ? Il la porta à son nez. Mais c’est une infection ! Elle sentait le poireau pourrie, la crasse, la clope, le gazole et un peu l’urine. Ça faisait combien de temps qu’il ne l’avait pas lavée ? Un, deux, peut-être trois mois. Tu m’étonne que l’autre l’aie arrêté. C’était une vraie puanteur. Il fallait qu’il se trouve une fontaine ou, du moins, un robinet d’eau. Il ne pouvait pas continuer comme ça.

- Where is water ? demanda-t-il à deux jeunes enchemisés.

- Water ? water… Yes water, follow us, répondit le plus grand.

Ils l’emmenèrent devant un vieux puit d’où de deux robinets jaillissait le précieux liquide. Il les remercia dans son anglais parfait et les vit se dissoudre dans la foule de plus en plus compacte. Il se dévêtit. Son torse, nu, dévoila une foret de poils noirâtre. Ses épaules étaient couvertes de cicatrices. Ses côtes luisaient, saillantes, dans la chaleur de la rue. Il passa sa main dans le jet et en perdit ses sensations tellement sa froideur le saisissait. Parfait. Après l’avoir vidée de ses affaire, il lava sa veste d’où un liquide grisâtre en dégoulinait et en profita pour se rincer. Ça ne lui ferait pas de mal. Au contact de l’eau sur son poitrail, son cœur s’accéléra et ses poumons s’époumonèrent. Calme-toi mon vieux. Ça serait trop bête de claquer ici. Il remit sa veste à moitié sèche, prit ses affaires, et chercha le Spar. Les terrasses des bars s’ouvraient, les boutiquiers tiraient leurs rideaux métalliques et fenêtres des immeubles battaient l’aire sur son chemin. Le soir allait tomber. Il fallait qu’il se dépêche. Il était où ce Spar bon dieu ? Il tira à droite et, enfin, le voilà. Exactement la même magasin qu’en France. C’était pas possible. Pas ici. Pas dans ce pays où tout lui était étrangé. Redescends l’ami et regarde si le spot est pris. Manque de bol, il l’était. C’était un vieux barbu, cheveux long, peau rougit par les heures aux soleil, lisant un bouquin d’une main tandis que l’autre était tendue aux passants. Oh et puis mince, la manche à deux, c’est plus sympa qu’en solitaire.

- Hey man ! Can I join you ?

- T’inquiète pas man, lui lança sa voix rocailleuse. Assieds-toi. Tu t’appelles comment ?

- François et toi ?

- Edgard.

- Enchanté, lui répondit-il en lui serrant la main. Ça fait longtemps que t’es là ?

- Quatre mois. Une clope ?

- Non merci, je fume pas.

- Je vois.

Le vieux sortit une petite trousse en tissu d’un vert délavé. De deux doigts desséchés, il prit une pincée d’un vieux tabac qu’il déposa sur une fine feuille de journaux. Après l’avoir roulée, il rangea sa trousse dans une poche de son jean troué par le temps et, d’une autre, en sortit un briquet jaune canari. Puis il se replongea dans sa lecture. C’était un John Fante, Demande à la poussière. Comment l’avait-il trouvé ? Dans une de ces boites à livre du centre-ville. Parfois le bruit d’une pièce tombant dans sa main tendu rompait leur silence. Un petit parc leur faisait face. Un couple et leur chien s’y étaient allongés. Des voyageurs au vue de leurs sacs gonflés. Ils n’avaient pas l’air méchant malgré leurs vêtements sales et distendu qu’il devinait dans la pénombre. Dans la nuit qui les entourait à présent seules leurs pétards, dont le bout rougeoyait, et leur roucoulement trahissaient leurs présences. Parfois des « Sayko, cresha ! » se faisait entendre. Rien de bien méchant. D’un coup, quatre lampes blanches portées à épaule d’homme se braquèrent sur eux. La femme fila en douce tandis que les lampes forcèrent l’homme à rester tranquille, à éteindre sa cigarette. Ce dernier refusa, de ce qu’il put comprendre, et les lampes le plaquèrent à terre, couché le ventre sur le sol. Pas une d’elles cherchait la femme. Elles étaient venues pour lui et uniquement pour lui. Une fois l’homme maitrisé, une lampe se détacha du groupe et s’occupa de Sayko, qui rodait autour d’eux ne sachant pas s’il devait attaquer ou non, en lui mettant la laisse et en l’emmenant à l’écart. Un coup de taser claqua.

- Brzzzzzzzzzzzzzzz.

Et un gros proute s’en suivit. C’est sûr que ça devait aider à te détendre l’estomac. A la suite de quoi, une seconde lampe se releva et se mit à fouiller les sacs gonflés sous les protestations de l’homme dont la face bouffait les brindilles. Un couteau fut sorti d’un des bagages et les menottes furent mises. Les deux lampes restant près de l’homme le soulevèrent et, tout ce beau monde disparut le chien sur leurs traces. Tout le fatras, les sacs éventrés dégoulinant d’affaires, était là, gisant dans l’obscurité, lorsque la femme alla les ramasser. Son sanglot troublait le silence immonde qui régnait alors dans le parc. Que devaient-ils faire ? Edgard se leva et alla lui parler.

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