Le collabo (chap10)
Il crécha sous l’arche pendant trois nuits. Lhouka et Germaine lui donnèrent ses premières leçons de langue. C’était plutôt simple : Ay pour Je, Tche pour Tu, Liek pour Il et Elle, Soy pour Nous, Oys pour Vous, Lieki pour Ils et Elles. Quant aux conjugaisons, tout singulier se terminait par O ou A et le pluriel par I ou E, en fonction du féminin et du masculin. Comme l’italien. Le plus dur étant les verbes et le vocabulaire. C’était d’autant plus compliqué que Germaine était la plupart du temps soit en pleine cuite soit en gueule de bois tandis Lhouka pleurait son mec qui ne revenait pas. Et puis en quatre jours, on ne pouvait pas non plus faire de miracle. Et Edgard dans tout ça ? me demanderiez-vous. Il était devenu son camarade de manche dont ils partageaient à part égale la récolte le soir. Toujours aussi silencieux, il tournait les pages de son livre alors que le soleil dansait en demi-cercle. Il avait remarqué un matin que ses mains étaient crevassées et lui avait demandé la raison.
- Oh ça, c’est lorsqu’on m’a forcé à travailler dans un dépôt textile, en Turquie. Les produits chimiques ont fait fondre ma peau.
Le quatrième jour, il s’était souvenu de son dossier à la DRO et il était parti les voir. Une pointe d’espoir le piquait le cœur mais il fallait être réaliste, ses chances étaient minces.
Finah étant débordée à gérer une famille et trois jeunes, des mineurs à priori, sans parents. Il se retrouva donc avec Walkif et son regard perçant.
- On a pas reçu de réponse de la part de la pref. Normal. Finah m’a demandé de remplir avec vous un dossier supplémentaire détaillant votre voyage. Histoire de montrer que vous êtes collaboratif et de bonne foi.
Un gosse ouvrit la porte du bureau en courant, convaincu qu’un shérif imaginaire le poursuivait.
- Tu ne me rattraperas pas ! jamais !
Sa mère lui gueula de revenir. Il claqua la porte derrière lui. Une mouche s’explosait frénétiquement la tête contre le verre de la fenêtre, rythmant le battement de l’ange qui passait. Des sirènes de police sonnaient au loin. Se montrer collaboratif. Collaboratif. Collabo. Satané RN et LR. Et cette mouche qui se fracassait sur la vitre comme les vagues de la méditerranée sur le sable brulant. Comment lui expliquer ? Peut-on seulement mettre des mots sur son vécu ? il fallait bien.
- Vous avez une carte ?
- Oui, attendez.
Walkif tira un tiroir sous son bureau et en sortit une mappemonde. Des premières gouttes commencèrent à s’écraser sur la vitre. Et Edgard et Lhouka qui faisaient la manche au coin de la rue en l’attendant.
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