Marcelo (chap11)

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C’était au mois de décembre, j’ai pris un train pour Munich. Je savais qu’ils accueillaient plus facilement les français qu’en Espagne ou en Italie et surtout l’Allemagne protégeait les migrants d’un retour vers leurs pays d'origine. Ma hantise à ce moment-là. Bref Munich. C’était froid, gris, strict et ça filait droit. A l’époque j’avais encore mon passeport ce qui me facilita la tache pour trouver une place dans un foyer d’hébergement. Comme je le découvrirais plus tard, ce premier foyer était un véritable hôtel quatre étoiles : une chambre ; partagée avec un drogué, deux suintant la mauvaise bière et un schizo ; une salle de bain avec sept douches privatives, une salle à manger commune avec frigo à disposition et, cerise sur le gâteau, trois ordinateurs en libre services. On partageait tout joyeux mobilier avec une trentaines d’autres personnes du même acabit que mes voisins de chambrée. J’y suis resté trois semaines à la fin desquelles ils m’ont expulsé. Malgré leur générosité vous ne restez qu’un migrant. Pourquoi ne pas avoir fait les démarches pour s’intégrer ? Me demanderiez-vous. Parce que l’Allemagne et la France, c’est une longue histoire d'amour dans laquelle l’échange d’êtres humains est une base solide. Mi-janvier, je débarquai à Vérone avec la volonté de partir vers le continent africain. J'avais entendu parler de votre pays à la télé. Mes cours d’italien du lycée me servirent plutôt bien. Parler la langue est un avantage non négligeable lorsqu’on arrive sur un territoire qui nous est hostile comme c’était le cas avec l’Italie depuis l’arrivée de Meloni et des Fratelli d’Italia à la présidence. Ma première nuit dans cette ville fut ma première nuit dehors. A la belle étoile dirait les romantiques. Première nuit blanche par la même occasion. Entre la trouille de se faire agresser, choper par les flics, des chiens errants, les bagnoles et scooters beuglant, les fêtards qui gerbent leur foie, y a de quoi pas dormir. Ça on le sait pas quand on est habitué à son petit confort. Un jour, je rencontrai un type, Marcelo. On devint très vite copain et un soir, devant nos cadavres de bouteilles de vins, il me demanda de conduire une voiture à Palerme par les petites routes. Des potes à lui m’attendaient là-bas pour m’embarquer dans le premier bateau direction Lampedusa. C’était un bon deal. Pour celer tout ça, il me fila un faux permis plus quelques billets et c’est comme ça que je découvris la campagne italienne. C’est sûr que ça changeait des teutons. J’ai fait la route en deux jours. Je m’arrêtai à Naples où je dormi sur le siège passager après avoir mangé un pizza délicieuse. Je repartis tôt le matin, le café serré me réveillant durement. Le trajet a dû durer neuf heures. J’arrivai crevé par la fatigue alors que quatre mecs, flingues à la ceinture me regardaient garer la voiture. Je m’en souviendrai toujours. Il faisait nuit, une nuit clair sans étoile. Sans lune. Les mains sur le capos, le plus baraqué me fouilla des pieds à la tête tandis que le plus maigre ouvrit le coffre. Il le referma et fit un signe aux deux qui restaient en retrait. Deux coups de feu fusèrent et, fermant les yeux par reflexe, j’entendis le corps du balaise s’effondrer à mes côtés et un second corps tombé à terre. Je tremblai, je me suis même pissé dessus. Un main se posa sur mon épaule.

- Sorry, Sorry, chialais-je.

- It’s ok. It’s finish. The boss tell you to come tomorrow at two.

La main se décolla de mon épaule et un poids énorme s’enleva.

- Thank you.

- Don’t say think you, we know how you are and, if you speak, we will kill you, me dit-il en jetant mon passeport au sol.

J’attendis que les bagnoles s’arrachent. Je ne voulais pas les voir. Lorsque je les rouvris, les corps avaient disparu et seules les taches ambrées dégoulinantes rongeaient le goudron. Parcouru de spasmes, je pris mes jambes à mon cou. Dans quoi avais-je mis les pieds ? qui étaient ces types ? qu’est ce qu’il y avait dans le coffre ? pourquoi ces morts ? pourquoi ne m’ont-ils pas tué ? encore aujourd’hui je n’en sais rien. Toujours est-il que le lendemain, à deux heure du matin, je me retrouvai embarqué sur un rafiot de fortune avec deux cents autres personnes. Il y avait de tout : des hommes, des femmes, des enfants, des bébés, des vieux. Nous étions seuls, sans capitaine ni mousse pour nous diriger. On dut se relayer pour tenir la barre sans savoir où aller et espérant que le moteur tienne la traversée. En France, j’avais entendu des histoires de bateaux de migrants coulés en méditerranée, j’avais vu ses êtres sans vie étendus sur les plages, mais c’était loin. Ça existait mais ça n’avait pas de chair. C’était trop loin pour en avoir, vous comprenez ? Alors quand je me suis retrouvé assit sur un bout de planche en plein milieu d’eaux infinies, le soleil se levant, entourés de pleurs, de cris, de larmes et de regards hagard, je me suis dit qu’on y arrivera jamais. Comment ça serait possible ? Déjà que c’était un miracle de flotter.

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