Une pluie (chap12)
Il se tut. Il n’ira pas plus loin aujourd’hui. La pluie tonnait alors que la mouche semblait assommée, immobile, sur le rebord de la fenêtre. Walkif mit un point final à sa phrase et le regarda.
- C’est un bon début. Je vous remercie pour tout ça.
- Pas le choix.
Il savait qu’il avait raison. Il n’avait pas le choix. Comme tous les autres. Comme tous les siens. Vivre libre ou mourir. Après avoir convenu d’un nouveau rendez-vous le lendemain, il sortit du bureau épuisé. Il détestait parler de lui, de sa vie. Edgard et Lhouka l’attendaient sous un abri Tuk-Tuk.
- Comment ça s’est passé ? lui demanda ce dernier.
- Toujours sans papiers, mais à force d’en remplir, ils viendront peut-être. Et vous ?
- Soy harji qic erzi.
Deux erzi, c’était pas mal pour une journée de mauvais temps. Ça faisait soixante-six kami par personne plus deux kami pour Germaine. La richesse leur tendait les bras. Sur le retour, leurs chaussures se gonflaient d’eau et la recrachaient en sprays à chaque pas. L’odeur du poulet avait laissé place à la puanteur des miasmes humides par des jours hardant. Le vieux rocailleux grinchait derrière sa barbe. Son Fante lui manquait et ses idées noires commençaient à revenir malgré la compagnie de Lhouka. Le pire, disait-il, c’est que Germaine ne savait plus lire. A quoi ça lui servait ce putain de bouquin ? Qu’est ce qu’elle pouvait bien en foutre ? Sa grossièreté était les prémisses d’une engueulade. Lhouka se taisait. Elle devait penser à son mec. Toujours absent. Ils arrivèrent à l’arche où certains tentes avaient été repliées laissant derrière elles des carrés clairs. Certaines baraques s’étaient transformées en tas de planches de bois et de taules détrempées. Ça braillait, ça pleurait, ça se taisait. Heureusement pour la bande leurs « logements » étaient restés intacte. La Germaine les attendait, l’œil dans le vide et le teint livide.
- Je suis désolé, Dgard. Je n’ai rien pu faire. Je… ton livre… l’eau…
Ses larmes longeaient ses valises noirs, ricochèrent sur son nez en choux fleurs et s’écrasèrent sur ses godasses trouées. Le vieux ouvrit ses bras.
- Allez, viens là ma Maine. C’est rien. C’était juste un livre.
Il n’en croyait pas ses yeux. Lui qui n’avait pas cessé de pester, de la maudire sur trente-six générations, tout au long du chemin, le voila l’enlaçant. C’était pas possible. Et Lhouka, dans un geste tendre, en fit de même. Oh et puis zut. C’était les seuls êtres qu’il avait. Après cette accolade, ils firent le point sur ce qui leur restait : plus de bières, plus de quoi manger, plus de tabac sec, plus de jeux de carte, plus de feux, que leurs tentes, leurs vêtements trempés et quelques broutilles. La terre n’était que gadoue et les sardines nageaient plus qu’elles ne s’y accrochaient. Le constat fut sans appel : il fallait s’en aller. Ils firent leurs affaires et se mirent en route. Personne ne parlait, les corps se mouvaient dans une lente valse, et la pluie toujours leur pissait au visage. Tout ça n’avait pas d’importance. Ils étaient ensembles, compagnons d’infortune, l’un pour l’autre, l’un contre l’autre. Au bout de ce qui semblait une éternité obscure, ils arrivèrent à un bâtiment à l’abandon. Les murs s’écroulaient, le plafond s’effondrait et laissait pendre des câbles électriques s’effilochant sur des mousses vertes humides, le sol était éventré de crevasses grouillantes de champignons et d’insectes en tout genre. De temps à autres des cris déchirant fusaient du premier étage.
- Des camés, lança Edgard.
Ils déambulèrent dans cet archaïque bordel lorsque la Maine s’assit brutalement par terre.
- J’en peux plus. Je suis morte.
Tout le monde la regardait. Elle avait raison. Ça faisait plus de deux heures qu’ils cherchaient en vain un endroit où dormir, ça servait à rien de continuer. Ils plantèrent donc leur bivouac et se couchèrent. Le lendemain, à l’aube, ils furent réveillés par des hurlements.
- Arrêtez, vous n’avez pas le droit ! enculés de batards de flic de merde de chiottes !
Surement un des drogués du dessus. Mais pas le temps de niaiser, il fallait plier bagages, se tirer en vitesse avant qu’ils ne débarquent ici. Par chance, le soleil était de retour et les rues et ruelles fumaient sous les volutes de vapeurs s’échappant du bitume humide. Ils retournèrent vers l’arche.
- Pour voir ce qu’il en reste, avait grommelé Edgard de sa voix grave et rude, les yeux empâtés par le sommeil.
Pas une tente, pas un baraquement avait survécu au déluge.
- Elle est à nous, toute à nous ! dit la Maine toute heureuse de ce désert. Venez, on se créée notre petit village. Ça peut être chouette.
Apres avoir installés les tentes, toute la petite bandes récupéra ce qui se trouvait aux alentours pour faire de nouveaux abris et autres étagères, placards et même un coin cuisine avec des moellons. C’était pas le grand luxe mais pour ce que c’était, c’était pas mal du tout. Ils en profitèrent pour faire les comptes. Dix herzi et cinquante kami. Lhouka proposa d’aller en ville pour acheter de quoi se nourrir, boire et gagner sa croute. C’était une bonne qui fut valider par les trois autres.
- J’en profiterai pour faire un tour à la DRO.
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