Noir sur blanc (chap13)

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Vous voulez que je reprenne d’où ? à la traversée ? Très bien. Elle dura un jour et une nuit. Le moteur nous lâcha vers midi. Je le sais parce que le soleil était à son zénith. Un premier enfant mourut de chaleur. Puis un second. Cette mer qui paraissait si sage à l’aube s’était transformée en une fournaise. Se furent le tour des vieux et des vieilles. La mort frappe à tout âge dit-on. Le pire dans tout ça n’était pas tant les hurlements, les lamentations, les pleurs, les silences mais la cruelle réalité. Chaque personne décédée était basculée par-dessus bord, allégeant l’embarcation. Et plus elle était légère plus on avait de chance de rejoindre la côte rapidement.

Ses yeux se perdirent dans les profondeurs de son gobelet de thé vert marron que Walkif était allé lui chercher avant qu’il ne commence. Sa voix se brisa et reprit de plus belle.

Personne ne peut comprendre. Personne ne pourra comprendre. Jamais… on s’échoua sur le sable en pleine nuit. Aucun moyen de savoir où on était. Après avoir aidé les plus faibles encore vivant, je traçai ma route. Parfois je me fracassais la gueule, tombant dans un trou, buttant sur une racine. Je dus marcher comme ça pendant bien deux heures avant de faire face à un panneau à peine visible m’indiquant Sulūq. La Libye. J’étais au moins sur le bon continent. Je continuai et aarrivai sous deux arches immenses. Je m’allongeai sous l’une d’elle et m’y endormis. Le lendemain, je montai dans un camion de marchandise qui filait à Tripolis avec escale à Ben Giauad. J’aurais plus de chance de trouver là-bas d’autres migrants pouvant m’aider dans mon voyage. C’est dans un cul de sac de cette ville aux étroites ruelles que je fis la rencontre de Virgile et sa sœur, Maude. Ils étaient plus jeunes que mois de six ans. Des jumeaux. Ils me m’informèrent qu’ils partaient pour un pays, entre la Somalie et le Kenya. Pourquoi là-bas ?

- C’est l’une des rares démocraties où les droits humains sont véritablement respectés, avait lança Maude.

Je découvris plus tard qu’elle avait fait de études de droit en France.

- C’est surtout qu’on a un cousin déjà installé à la capitale, retorqua son frère. Ça nous sera plus facile pour s’intégrer.

On trouva un type qui nous prit dans son camion. C’est ainsi qu’après un trajet d’un mois ; ou à chaque arrêt dans des villes moyennes on dut travailler dans des entrepôts à peine éclairé à couper du poissons, tirer de la laine et mettre des courgettes en boites de conserves, il nous jeta à Al Jaouf. Bien sur ces boulots c’était pour payer la dette qu’on avait contracté envers lui. D’autant qu’on avait pas d’autres choix puisqu’il nous avait pris nos passeports. Comme le feront tous les autres par la suite d’ailleurs. Pas folle la guêpe. Bref. Dans notre malheur on trouva un peu de réconfort auprès d’un paysan d’Al Jaouf qui accepta de nous faire passer la frontière avec le Soudan gratos. Il nous embarqua dans son 4x4 blanc et nous voyageâmes pendant une semaine et demie dans le désert. Malgré la faim, la soif et la fatigue, je n’oublierais jamais ces dunes infinies mangeant le ciel. On descendit à Argeen et delà on partit pour Doka. Même si le trajet pouvait se faire en deux jours, les passeurs nous le firent faire en un mois et demi durant lequel Virgile et moi travaillâmes sur des chantiers et Maude en tant que femme de chambres. A Doka, alors que nous bossions encore pour eux, Maude eu un problème et pas des moindres. Un soir, alors qu’on venait à peine d’arrivée dans chambre, que l’on partageait avec dix autres migrants, elle débarqua, la figure en sang, boursouflée. Entre deux sanglots, elle nous expliqua qu’elle s’était faite violer par des hommes d’affaires européens dont un français toute l’après-midi et qu’elle avait réussi à s’enfuir alors qu’ils dormaient. On plia bagage dans la foulée pour l’Ethiopie. On se retrouva donc à Dolokay. Vous connaissez le refrain maintenant : travail sur les chantiers pour les hommes et usine de textiles pour les femmes pour payer le trajet. Bien sûr le tout logé dans des conditions inhumaines. La puanteur suintait des murs, la crasse rongeait la peau et une cruche d’eau pour doucher dix hommes. J’y ai vu des types se manger entre eux, pris par la folie de la faim. J’en ai vu d’autres s’arracher les dents pour se sentir encore vivant. Sans compter les cadavres de ceux qui sont mort de fatigue ou de maladie et qu’on coulait directement dans le béton. C’est à Addis-Abeba qu’on…

Sa voix se tut. Une larme coula le long de sa joue et plongea dans le thé froid à présent. Elle fut rejointe par une dizaine mouillantes. Il s’essuya le visage avec sa main droite.

Excusez-moi. C’est donc à Addis-Abeba que mourut Maude. Dans l’effondrement de son entrepôt. Comme c’était que des clandestins, les autorités n’ont pas cherché les corps. C’est une survivante et camarade de Maude qui nous expliqua ce qu’il s’était passé : une conduite de gaz avait pris feu et les produits chimiques ont suivi la flamme. C’est a ce moment là que j’ai perdu Virgil. Lui qui était jusque là plein d’espoir, qui nous poussait à poursuivre la route, s’éteignit en une demi seconde. Il venait de perdre la dernière chose qui le maintenait en vie. Plus jamais je ne le revis rire ni même sourire. La machine avait sauté comme qui dirait. Au fur et à mesure que les jours s’enchainaient, je le vis de plus en plus violent. Sa peine se muait en haine. Il fallait que je l’embarque vers une autre ville au plus vite au risque qu’il fasse une connerie. Vous comprenez une « connerie » ? très bien. Un routier nous fit monter dans sa beine et nous partîmes vers Doolow où il nous prit nos passeports comme monnaie d’échange. Une des dernières enclaves de la Somalie. Et c’est dans cette enclave que les flics nous ont chopé et envoyé dans des camps de réfugiés jusqu’à ce qu’on arrive, lui et moi, à la Hierkro Jarmol.

Walkif termina sa phrase, se leva, alla au bureau, pianota pendant une quinzaine de minutes sur son clavier, imprima deux feuilles et revint.

- Je vous laisse relire, me dire s’il y a des incohérences et je l’enverrai à la pref.

Noir sur blanc, son récit se réduisait à des cases cochées, des mots clefs et des commentaires de deux cents caractères espaces compris. Son nom et prénom figuraient en petit sous un numéro de dossier long comme le bras.

- C’est ca le dossier complémentaire ?

- Oui. Pourquoi,

- Je vois.

- Alors ?

- Alors quoi ?

- Il correspond à votre voyage ?

- Vous rigolez j’espère ? et puis merde de toute façon, j’ai pas le choix. Allez-y, envoyez-le.

Walkif se leva, scanna le tout et envoya le dossier depuis son bureau. Ils se saluèrent et il se retrouva dehors.

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