Prologue
Leurs ébats les ont laissés haletants, les jambes entremêlées, leurs cœurs tambourinant à un rythme de fanfare. Leurs corps épuisés reposent contre ce drap blanc étendu sur un lit de mousse. La lune fait danser ses rayons entre les branches des arbres, les nuages masquent sa lumière à de brefs instants. Ils sentent le vent qui effleure leurs peaux couvertes de sueur et fait bruisser les feuilles. Un hibou hulule dans le lointain, les petits sauts feutrés d'un écureuil font craquer les brindilles sur le sol de la forêt.
Il la tient entre ses bras et caresse ses cheveux de nuit. Une pluie de grains de beauté descend jusque dans le bas de son dos souple, ses jambes sont fines et élancées comme celles d'une biche. Elle frémit doucement, en harmonie avec son toucher. Il embrasse sa nuque avec dévotion. L'homme se sent en paix avec lui-même et ferme les yeux.
Et puis, il la sent trembler. Des perles humides glissent sur ses joues encore rougies par la passion. Elle courbe la tête et éclate en sanglots. Il se relève, tout ému et inquiet, et prend sa compagne par les épaules. Normalement, elle ne pleure jamais, et surtout pas ici, au cœur de la forêt paisible.
Des mots déchirés sortent des lèvres frissonnantes de la femme.
-J'ai été seule pendant si longtemps...
L'homme prend son visage en coupe et embrasse son front, son nez, ses cheveux, éperdument, juste pour faire cesser ces pleurs. Il sait qu'il lui a pris ce soir quelque chose qu'elle ne pourra plus jamais ravoir. Il a rompu son innocence, possédé ce corps magnifique en la faisant gémir et se cambrer. Elle fait cesser ses tendres attentions en lui prenant les mains d'un geste convulsif. En plongeant ses yeux bleu océan dans les siens, elle murmure d'une voix brisée:
-Ma mère est devenue folle et mon père l'a abandonnée. Je t'en supplie, dis-moi que tu ne partiras jamais.
-Je te le jure. Je t'aime.
Un amour poignant se réverbère dans les yeux de la femme en entendant sa réponse, puis la souffrance revient et elle agrippe ses épaules, presque sauvagement.
-Et quand je serai vieille? Quand ma peau sera flétrie, ma beauté envolée, que je n'aurai plus envie de faire l'amour? M'aimeras-tu encore?
-Oui.
Elle laisse sa tête se reposer contre sa poitrine. Entre les branches d'un grand pin, une étoile filante clignote puis disparaît. Elle la fixe un instant puis clôt les paupières.
-J'ai tellement peur.
-Je sais.
-Je t'ai attendu si longtemps. J'étais si effrayée de ne pas te rencontrer, de rester seule avec mes craintes et mes incertitudes.
L'homme la serre si fort contre lui qu'elle halète. Il veut lui dire qu'il avait peur, lui aussi, de rester seul. Qu'il a touché le fond de l'enfer et que c'est elle qui l'en a fait sortir. Il veut lui dire qu'elle est celle qui a rallumé en lui une lumière que la vie avait éteinte. Mais il se tait. Cette nuit, c'est la femme qui a besoin de chaleur et d'étreintes.
-Je suis là, tu es là, nous nous appartenons. Tes larmes sont la preuve que tu es humaine. Je protège ton cœur sauvage.
Et il la prend tout contre lui, attrapant sa jambe avec une douce férocité. Elle se tord et attrape le bas de son cou, se laissant choir dans ses bras, disant de plus en plus vite:
-Oui, protège-moi, Kalvin, serre-moi, ne me quitte jamais, Kalvin, Kalvin, KALVIN!
L'entendre crier son nom le rend désespéré d'elle, désespéré de la prendre, d'être à la hauteur de ses attentes et de la combler. Il s'enfonce en elle avec le choc d'une vague se brisant contre un rocher, et elle entre ses ongles dans sa peau, lovée contre son torse, la tête rejetée par en arrière.
Il la sent vibrer d'extase et devenir forte, consolidée par sa présence en elle. Elle se jette sur lui, le renverse sur le drap, bloquant ses bras en haut de sa tête et il ne lutte même pas, il crie, les yeux fermés, la bouche ouverte, il a l'impression de tomber du ciel. Le prénom de la femme franchit ses lèvres, encore et encore, comme un poème, une louange divine.
-Adéria, Adéria!
À partir de là il n'y a plus aucune pensée cohérente, ni dans la tête de l'homme, ni dans celle de la femme. Ils flottent parmi les étoiles.
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