Chapitre 11 : Une expédition risquée (1/2)

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— Comment est-ce possible ? s’irrita Héliandri.

— Ce sont des maîtres de l’infiltration, expliqua Kavel, encore ébranlé. Personne n’aurait pu anticiper leur présence. Et vu comment leur dague scintillait dans l’obscurité, l’issue aurait pu être bien plus terrible.

— Nous ne connaissons même pas leur nom, dit Adelris. Et leur visage était à peine perceptible. Je crains qu’il nous faille avancer avec vigilance. Au moins, aussi étrange que cela puisse paraître, ils se sont révélés à nous.

Héliandri maugréa entre ses dents, multipliant allers et retours au sein de la chambre. Le sol crissait tant sous ses foulées que les bardes se couvrirent les oreilles. Mais le silence retomba lorsque l’aventurière quémanda l’aide de Turon, adossé près du seuil de la porte.

— Rappelez-vous pourquoi Guvinor m’a envoyé, remémora-t-il sur un ton placide. Si ces malfrats s’approchent à moins de cent mètres de nous, ils ne collectionneront que leur sang et leurs larmes.

— La ludrame était très grande ! avertit Kavel. Ce serait risqué de l’affronter !

— Gamin, j’ai défait bien de puissants adversaires par le passé. Tu pourras dormir paisiblement à l’avenir, car j’ai l’oreille tendue et l’œil vif.

Bien qu’il secouât la tête, Kavel sentit encore ses poils se hérisser. Par-delà la fenêtre s’était volatilisée cette menace. Aucun indice ne se manifesta sur le sentier, aussi soupira-t-il et chercha du réconfort auprès de son aîné.

Aviser l’onde d’excitation chez les bardes renforça sa perplexité.

— Cette quête en devient d’autant plus passionnante ! s’exclama Zekan.

— Le danger vient de chaque côté, dit Makrine. De quoi servir d’inspiration pour quelques chansons.

— Et comment ! se réjouit Mélude. L’on peut déjà narrer la bravoure de l’aventurière chevronnée, prête à secourir son amie de toujours au mépris des lois ! L’on peut aussi conter la ballade du guerrier et de l’historien, traversant mers et erres pour donner du sens à leur existence. Désormais, l’on doit inclure ces mystérieux individus, l’appétence nourrie par les richesses oubliées !

— J’ose espérer qu’un peu de voyage vous fera réaliser le sérieux de cette quête, lâcha Turon. Je vous tolère parce que Héliandri le demande, rien de plus.

— Il faut quand même nuancer ! renchérit Zekan. Ces collectionneurs s’imaginent que de brillants joyaux méritent de mener une périlleuse expédition. Et si la vraie récompense était l’expérience partagée ? Les amitiés nouées au rythme des obstacles parcourus ?

— Oh, pitié…

Héliandri s’arrêta. Parcourant la pièce des yeux, elle s’attarda derechef sur chacun de ses compagnons, avant d’observer ses paumes. Elle détailla surtout son doigt serti de la bague, une lueur dansant dans son œil.

— Nous avons assez débattu, trancha-t-elle. Je suis parée à toute éventualité, y compris si ces intrus reviennent, et j’espère que vous l’êtes aussi. Empaquetez vos baluchons, car un long voyage nous attend. Et que la liberté nous sourit !

Le trio de bardes bondit à cette déclaration tandis que la réaction des autres compagnons se fit plus modeste. Ils s’exécutèrent en moins d’une heure, durant laquelle Héliandri formula ses adieux à Shano. Après un ultime échange de pintes, doublé d’une accolade, l’aventurière se sépara de l’aubergiste et enfila une épaisse capuche en se faufilant dans les rues de la capitale.

Comme il fut convenu, seul Turon accompagna Héliandri pour sortir de Parmow Dil. Parfois elle subit les coups d’œil inquisiteurs de quelques citadins, convaincus de la reconnaître, mais la présence du garde décourageait toute approche. Bientôt ils atteignirent les hautes murailles de la ville, au-delà d’une futaie fendue par deux canaux. Franchir la herse incurvée s’avéra encore plus aisé que prévu. Héliandri lâcha tout de même un soupir agacé au moment où Turon tendit une bourse bien remplie aux gardes.

Tous deux cheminèrent une heure avant de retrouver leurs compagnons. Ils étaient installés au milieu d’un petit bois, dissimulé entre les immenses fermes environnantes, et patientaient déjà depuis un certain temps. Aussi s’imprégnaient la mélodie des instruments, tel le cor annonçant la partance.

Quelques nuages assombrissaient le ciel sinon ensoleillé. Une faible brise accompagnait leurs foulées pendant que les voyageurs traversaient le bois, soucieux d’éviter les routes principales. D’ambre et d’émeraude brillaient les champs étendus, cernés par les habitations des villages circonvoisins, qui les renfermaient tels d’immenses bras.

C’était au-delà des douces rivières, dans la nature séparant les cités, que les richesses de Nirelas se dévoilaient. Chaque fois que la compagnie prenait de la hauteur, ils admiraient un paysage dompté et pourtant intacte, où le relief peignait les contrastes d’un tableau diapré. Les vallées se déroulaient depuis le sommet des déclivités, serpentés de cours d’eau miroitant au zénith, pigmentés de magie à peine perceptible. Ils s’étendaient tellement que les heures de traversée se muaient en jours, sans qu’aucune frontière ne se manifestât.

Tours et édifices se hissaient parfois dans leur vision, ils côtoyaient toutefois toujours l’horizon. Héliandri s’assurait d’esquiver toute zone densément peuplée, même si échapper à toute âme relevait de l’inconcevable. Il y avait toujours quelques chasseurs décochant leurs flèches enchantées aux profondeurs des bosquets et clairières. Il existait inéluctablement plusieurs pèlerins gravissant les collines isolées. Il se trouvait immanquablement des prêtres ayant érigé leur temple au cœur de la nature même. Tout comme des explorateurs qui s’engageaient sur des ponts suspendus au-dessus d’insondables gouffres.

Malgré tout, le groupe appréciait surtout leur propre compagnie. Luth, eilenis et violons entrecoupaient régulièrement les moments de silence malgré les objections de Turon. Les notes se composaient, se jouaient, se propageaient au rythme des étapes, comblaient tout risque de monotonie. La moindre forteresse abandonnée, la moindre caverne oubliée, le moindre donjon perdu au centre d’un lac, servait de prétexte à de nouvelles paroles.

Kavel aussi griffonnait au quotidien, bien que ses mots développassent une saveur distincte. À chaque étang un brin trop scintillant, à chaque plaine tapissée d’un amas de flux discernable à l’œil nu, il assaillait Héliandri de questions. L’aventurière lui répondit sans hésiter au départ, gratifiant l’historien de détails croustillants sur le folklore local. Mais elle se fit plus distante à mesure que les interrogations se répétaient. Il se renseignait alors auprès des bardes, ou laissait son imagination manier sa plume. Nulle vétille ne lui échappa cependant, surtout les particularités de Menistas. Car les semaines eurent beau se succéder, les panoramas de Nirelas demeuraient imprégnés d’une constante magie. Davantage encore qu’à Hurisdas, elle était présente en chaque être vivant, et rayonnait au-delà des plus élogieuses descriptions.

Kavel accorda une attention toute particulière à la faune environnante. Pour sûr que des animaux de Hurisdas foulaient ces terres, amenés par l’immigration humaine, mais l’historien les ignorait. Il écrivit cependant des dizaines de paragraphes sur les espèces endémiques, quitte à s’en approcher sans circonspection. Parmi eux, il nota les roshnas, petits quadripèdes au pelage incarnadin, errant au cœur des bois en meute. Souvent les quorzruns émergeaient des profondeurs des lacs, de large envergure et dotée d’écailles dorées, dont la face allongée s’achevait sur un trio de cornes subulées. Mais ce qui marqua surtout le jeune homme étaient les halgas, imposants mammifères aux poils courts, aux épaisses pattes et au dos couronné de courbes protubérances, car leur vitesse de pointes surpassait même celle des chevaux.

Près de deux semaines s’étaient succédés sans que Nirelas se fût entièrement dévoilé. Certains membres, trop consacrés à l’exploration, s’abandonnaient dans les infinies couleurs du panorama en perpétuel changement. Héliandri et Turon les guidaient vers les bonnes étapes, les yeux orientés en permanence vers le sud.

Ce soir-là, la compagnie s’installa au cœur d’un bosquet, au sommet d’un modeste monticule. De la fumée s’exhala depuis de crépitantes flammes jaunâtres et se dissipa dans les airs. La densité du feuillage réduisait l’aperçu de la voûte céleste était réduit, aussi le feu générait un halo limité au seul campement. Par-dessus oscillait légèrement un chaudron où mijotait un ragoût, que Makrine touillait et Zekan assaisonnait. Herbes, viandes et légumes s’harmonisaient et libéraient des saveurs exquises que les bardes s’efforcèrent d’élaborer davantage.

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