Chapitre 31 : La désirée signification (2/2)
Hypnotisant enchantement. Une colonne à même de rivaliser avec des forces divines. Capable de laisser Vazelya bouche bée, presque pétrifiée, assujettie par cet ineffable déploiement de puissance.
Même lorsque le sort se dissipa, et que le morne aspect de l’île assaillit de plus belle, la mage peinait à se mouvoir. Au-delà de l’envoûtement circulait pourtant son propre flux, qu’elle déployait avec subtilité, en phase avec son environnement. Il lui suffisait de canaliser en continu et alors égalerait-elle le pilier, voire le surpasserait.
Une telle pause l’apaisait, l’incitait à clore les paupières. L’écoulement de flux formerait une douce mélodie dans ses oreilles. Les particules caresseraient sa peau et transmettraient des frissons. Triompherait donc le parfum de la quiétude, grâce auquel Vazelya en sortirait renforcée.
De tangibles sensations la sortirent de sa plénitude. Son cœur cogna à vive allure, en accord avec sa diligence retrouvée. À peine Vazelya s’était éloignée du littoral qu’on l’y rappelait. Vers le sud si inaccessible, dont les hauteurs s’inclinaient face à celles que la magie avait atteinte.
Hélas Vazelya ne put gravir la pente sans que de filaments ténébreux n’apparussent à ses pieds. Elle soupira d’agacement lorsque leur crépitement heurtât ses tympans. Ni une, ni deux, elle fit volte-face et généra une paire d’orbes ocre qui voletèrent autour de ses mains. Elle scintillèrent par-devers la noirceur de son opposant, dont la posture détendue contrastait avec son aura.
— L’heure n’est pas à notre affrontement, déclara Nasparian.
D’obscurs sillons tracèrent les traits de Vazelya. Ses bras trémulèrent tant que des filaments de magie s’échappaient malgré elle. Un bouclier magique s’érigea entre elle et son adversaire, l’empêchant de l’attaquer. Un air de défi se manifesta alors entre ses grondements.
— L’audace ne t’étouffe pas, persiffla-t-elle. Tu me perturbes dans mon repos, tu me hantes sans relâche, et maintenant que tu es physiquement présent, tu refuses le combat ?
— J’aimerais un peu de gratitude, dit Nasparian tandis que ses spirales de flux s’amenuisaient. Comment ton protégé aurait actionné la stèle si je ne l’avais pas guidé ?
— Un sort de contrôle mental ? Laisse Dehol en paix. N’a-t-il pas subi assez de tourments ?
— Tu te méprends, mécène. Il y trouvera ses réponses. Après tout, s’il a tant voyagé, si tu l’as entraîné aussi loin pour assouvir tes propres convoitises, c’est ce qu’il mérite.
Vazelya se détourna de Nasparian quelques secondes, le temps d’accorder un nouveau coup d’œil à la source démesurée de pouvoir, bien que la lumière se fût affadie. Un ricanement acheva de crisper ses nerfs.
— Difficile de nier, assena Nasparian. Tu exsudes de frustration. Ses objectifs sont les tiens, prétends-tu. Ta surpuissance t’a-t-elle cependant préparé à ton épreuve imminente, Vazelya ?
— Tes machinations doivent cesser ! Nous ne nous connaissons que depuis plusieurs semaines, pourtant tu t’attaques directement à mes points faibles. Mon destin est de te défaire, pour qu’ainsi le monde devienne plus serein. Et tu brandis cet éclat, comme s’il s’agissait d’une distraction… Je déjouerai tes plans méphitiques. Je préserverai tout un chacun de ta magie infâme.
— La faiseuse de paix, voilà un surnom obséquieux. Tôt ou tard, Vazelya, notre puissance collisionnera pour de bon. Ce jour-là, espérons qu’aucune âme ne traînera dans les parages. Ne te vexe guère, car tu n’es désormais plus ma première priorité.
— Tu as d’autres… priorités ?
L’affaiblissement fut de courte durée. Quelques particules dansantes, se dissipant dans l’atmosphère, rémanentes d’un contrôle limité. Pourtant elles fusèrent, coalisèrent sitôt que Vazelya plaqua ses poings tremblants à hauteur de ses hanches.
Un coup dévastateur succéda. Se fracassa sur l’égide que Nasparian avait déployée. Après quoi une tonitruante onde de choc ébranla l’environnement. Des fissures lézardèrent la déclivité. Une quinzaine d’arbres chutèrent à proximité, leur tronc fendu.
Au-delà de la collision, là où la magie cessait momentanément d’exercer son influence, Nasparian n’avait pas bougé. Avec un rictus, Vazelya nota cependant une craquelure supplémentaire zébrer son masque.
Nasparian se retourna, placide, et s’avança en joignant ses mains derrière le dos.
— Une colère légitime, accorda-t-il. Moi aussi, j’aurais souhaité qu’aucun autre gêneur ne souille ces terres.
— D’autres personnes ont traversé le portail ? s’écria la mécène.
— Une armée, même ! Des centaines de militaires, engoncés dans leur armure étincelante, persuadés de se frayer un passage au moyen de la violence. Ludrams et humains, ils se prétendent si différents, et se rejoignent pourtant sur cet aspect.
— Si ces gens-là t’inspirent tant de mépris, pourquoi perdre ton temps avec eux ?
— Car ils accélèrent l’inévitable. Aussi importuns soient tes compagnons, autoproclamés explorateurs, mon jeune moi ne nie pas un certain charme dans leurs ambitions. S’aventurer vers l’inconnu, déterrer les secrets de naguère. Ce qui est devenu banal pour moi avec les décennies peut faire miroiter beaucoup d’yeux. Même si je n’apprécie toujours pas ce manque de respect envers les anciennes civilisations.
Bien que Nasparian tournât le dos à son interlocutrice, cette dernière remarqua combien la lueur jaillissant de ses yeux s’intensifiait. Elle en fut presque immobilisée, mais se rapprocha tout de même en canalisant.
— Et c’est moi l’outrecuidante ? se moqua-t-elle. Je ne suis pas aveugle, Nasparian. Les orbites de Delcaria brillaient elles aussi d’une constante lumière. Tu as rencontré la mort, n’est-ce pas ?
Nasparian n’offrit que son silence mais se courba quelque peu.
— Peut-être qu’aucune chair ne se trouve derrière ce masque, suggéra Vazelya. Serais-tu le Nasparian historique ? Ressuscité plusieurs siècles après ton décès ?
— Non !
— La colère aide à révéler la vérité.
— Tes connaissances te trahissent, Vazelya. As-tu oublié que son crâne a été séparé de son corps ? La nécromancie est capable de grandes choses, guère de retrouver un squelette perdu dans les abysses.
— Alors tu es une toute autre personne et tu empruntes son nom. Puis-je demander pourquoi ?
Chaque fois que Vazelya s’efforçait de réduire la distance, Nasparian s’éloignait davantage, émettant un râle sur ses foulées. De sombres filaments grésillaient autour de ses empreintes.
— Tes distractions me retardent, se plaignit-il. Tu cherches à protéger ces militaires, Vazelya ? Quel altruisme. Ou prétention, peut-être ? Ne penses-tu pas qu’ils sont capables de se défendre par eux-mêmes ?
— Pas contre toi, répliqua la mécène. Mon intuition me dit que tu n’as pas l’intention de goûter une seconde fois au trépas. Par tous les moyens.
— Avant d’être Nasparian, j’étais faible, et insensible à la magie. Tout le monde n’a pas l’opportunité de se redécouvrir. J’ai profité pleinement de cette opportunité, même si le voyage ne s’est pas encore achevé.
— Une élégante manière d’exprimer ta volonté de destruction.
— Ils débarquent par centaines, portant leurs armes avec un excès de fierté. Qu’ils assument les conséquences de leurs choix.
Des frissons courbèrent l’échine de la mécène sur cette déclaration. Interloquée, elle le fut davantage dès qu’un cercle noirâtre se matérialisa autour des pieds de Nasparian. Des profondes inspirations s’accordaient à la propagation de son flux.
— Notre combat attendra encore, déplora Nasparian. Je vais déployer mes ressources à la suppression de cette menace. Peut-être que notre magie s’entrechoquera bientôt.
— Je n’accepterai pas que tu t’enfuies éternellement, lâcha Vazelya. Surtout après m’avoir autant provoquée.
— D’autres forces régissent ce monde. Puisses-tu en témoigner lorsque les cieux se pareront d’anormales couleurs. À présent, je dois t’abandonner, car j’ai une menace à éradiquer.
Une part de Vazelya l’exhortait à libérer son plein potentiel. À arrêter Nasparian avant que les ténèbres ne le suivissent vers le nord. Perdue dans ses tâtonnements, paralysée malgré elle, la mécène assista impuissante à la disparition de son ennemi.
La téléportation généra une soudaine bourrasque qui éjecta Vazelya plusieurs mètres en arrière. Elle atterrit lourdement sur le sol, et bascula avant de planter ses ongles dans la terre. Ses os couinèrent, ses muscles supportèrent mal le choc.
Inspirant, expirant, Vazelya passa outre la douleur, se perdit en jurons. De nouveau le vide dominait autour d’elle, car la magie antagonique se résumait à de fines traces. Elle grogna et se mordit les lèvres avant de s’orienter vers les hauteurs. Des filets de lumière se matérialisaient encore dans sa perception bien qu’elles eussent disparu depuis longtemps.
— J’ai moi aussi d’autres priorités, déclara-t-elle avec un subtil sourire. Puisque la redécouverte a été mentionnée… La source de pouvoir me tend les bras. Courage, Dehol. Ta patience sera bientôt récompensée.
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