Chapitre 33
Le vieux Maître respirait faiblement. Il était par moment secoué de fortes quintes de toux, mais heureusement, aucun sang ne sortait de sa bouche aux coins crispés par la douleur. Le chevalier Caes avait enlevé un vêtement, qu’il portait sous son armure, pour l’enrouler autour de la tête du vieil homme. Une tâche de sang, que la nuit faisait paraître bien noire, s’était rapidement dessinée au-dessus de sa tempe. Son visage présentait d’évidentes contusions et sa tunique était déchirée par endroit. Laissant apparaître ici, un mollet maigre aux nombreuses varices et là, un avant-bras décharné par le temps où on pouvait voir quelques égratignures assez bénignes.
Cormack ne parlait pas. La vue de ce sage homme et mentor dans cette apparente vulnérabilité était choquante cependant, ce n’était pas sur lui que son attention était fixée.
— Il nous faut trouver un point d’eau où nous pourrons laver la plaie, déclara Caes. Ce bandage de fortune n’est pas des plus sains…
Autour d’eux, des débris plus ou moins conséquents de la nacelle de secours décoraient les alentours. Certaines pièces se trouvaient disséminées à plusieurs centaines de mètres. Cormack, lui-même, avait été retrouvé à pas moins quatre cents pieds du point d’impact. Il était incroyable qu’il se soit retrouvé en un seul morceau.
La carcasse du petit vaisseau, contre laquelle était adossé le vieux conseiller, était située à cinq cent mètres de ce même point d’impact. Chose difficile à croire sans la longue tranchée creusée par l’engin sur cette impressionnante distance.
— Il nous faut aussi retrouver le vaisseau, continuait le chevalier. Il contient des fournitures médicales.
— Nous devrions rejoindre le barrage nabarois ? répliqua Ezéquiel.
Voilà la personne que Cormack ne quittait pas des yeux. Toujours silencieux, il observait son ami qui bougeait à nouveau et reproduisait toutes ces attitudes qui le caractérisaient. Ses vêtements étaient déchirés par endroit, chose commune pour tous ici présents qui présentaient un triste état de peaux râpées, de contusions et d’armures cabossées. Il boitait légèrement de la jambe droite et se palpait régulièrement les membres comme s’il s’assurait que tout était là.
— Si tu es là, Bern est encore vivant, intervint Kappa avec une certaine violence dans la voix. Hors de question que nous l’abandonnions !
Ils l’avaient laissé dans cette salle, persuadés qu’il était aussi mort que le jeune prince. À ce moment-là, Cormack n’aurait, pour rien au monde, abandonné la dépouille de son ami sur ce sol froid et sombre. Kappa lui, malgré sa tristesse, ne s’était pas embarrassé à transporter le cadavre de Bern. Cependant, Ezéquiel était revenu, bien vivant. Et même si son retour était auréolé de mystère, le fait était qu’il se trouvait bien là !
Le Rolf ne perdit pas une miette du regard que son ami renvoya à Caes avant de simplement acquiescer.
- Tu étais mort, finit par lâcher le Rolf, prenant ainsi la parole pour la première fois et attirant l’attention de tous.
Le jeune prince se tourna vers lui en ouvrant la bouche mais rien n’en sortit. Il finit par hausser des épaules. Une autre attitude bien à lui.
— Nous, on ira nulle part !
Cormack tourna la tête vers l’insolent pirate qui venait de s’exprimer et son triste collègue toujours inconscient.
— Ces deux-là m’étaient sortis de la tête…, soupira le Rolf.
— Ben nous, on se souvient très bien d’vous, pas vrai Crépin ? Crépin ? Ah merde ! C’est vrai que vous m’l’avez assommé ! J’espère que ça ne le rendra pas plus con ! Quoi qu’il en soit, nous, on bougera pas d’ici. Donc vous avez deux solutions ! Soit vous nous détachez et on part chacun d’notre côté en espérant plus jamais s’recroiser ! Soit vous nous laissez, ligotés comme des saucisses, à attendre la mort !
— On devrait te passer une épée au travers du corps pour tes exactions ! cracha Kappa dont les phalanges blanchissaient tant il enserrait le pommeau de la sienne. Sais-tu combien des nôtres sont morts face aux créatures que vous avez envoyées ?!
Caes intervint en calmant Kappa d’un signe de la main, qu’il agrémenta d’un regard sans équivoque. Le chevalier se tut mais ne se détendit pas pour autant. Ses yeux brillaient d’une rage mal contenue.
— J’y suis pour rien, moi ! protesta Vacko. J’suis qu’un pirate et j’obéis aux ordres. J’connais qu’ça ! Avec Crépin, on savait pas !
— Vous avez les vies de bien trop d’innocents sur les mains, en plus de nos frères, déclara Caes d’une voix mesurée mais froide.
Il s’avança vers le pirate qui, pourtant déjà assis, sembla se ratatiner sur lui-même. Réaction tout à fait logique que Cormack comprenait sans peine car même calme, le chevalier était terrifiant.
— Nous vous laisserons aux autorités nabaroises afin que vous répondiez de vos crimes, poursuivit-il sur le même ton. Dans le cas où vous nous rendiez la vie compliquée le long de ce court voyage…
Une partie de sa lame émergea de son fourreau. Reflétant la lueur de l’astre lunaire dans un chatoiement de métal épuré avant de conclure.
— Justice sera tout de même rendue. Quelques soient nos préceptes et la souillure de mes vœux. Il est, en ce monde, des choses qui ne peuvent être pardonnées.
Face à lui, le pirate Vacko déglutit péniblement. Reprenant son souffle à grand peine, il avait retenu sa respiration tout au long de la tirade du chevalier. Plusieurs secondes passèrent où ses yeux affolés projetèrent leur terreur suppliante en tous sens. Quelques tremblements plus tard, il leva finalement un sourire nerveux et forcé à l’encontre de son juge potentiel.
— Bien ! J’imagine qu’on va faire un p’tit bout d’route ensemble, alors ? Pas vrai, Crép… Ah merde, c’est vrai ! Histoire de pas vous pousser à vous venger, hein ? On va être très coopératifs, vous allez voir… C’est Vacko qui vous l’dit !
— Ce n’est pas comme si Vacko avait l’choix, grinça Kappa en rangeant son épée après avoir effleuré, du tranchant de sa lame, la gorge de Crépin encore inconscient.
Quelques tics supplémentaires animèrent le sourire que s’efforçait d’entretenir le pirate. Le geste était plus qu’explicite. Avec ce chevalier-là non plus, les préceptes n’étaient pas absolus.
— Cormack, peux-tu porter le vieux maître ? demanda Caes à Cormack qui le regardait avec des yeux ronds.
— Euh… oui, hésita-t-il.
Il lança un regard interloqué à Ezéquiel, mais celui-ci faisait mine d’observer la direction qu’ils allaient devoir prendre. Il affichait sa nonchalance habituelle, comme si la situation était on ne peut plus normale. Cormack secoua la tête, comme pour se débarrasser des sombres pensées qui menaçaient de s’ajouter aux autres déjà bien nombreuses.
Le vieux conseiller gémit alors que le Rolf le prenait dans ses bras le plus délicatement possible. À la manière d’un nourrisson dans ceux d’une mère. Plus loin, Vacko faisait ça de manière bien moins douce avec son camarade. Caes et Kappa le surveillait à bonne distance, la main posée sur la garde de leurs épées. Gravis les suivait.
Ezéquiel surgit à ses côtés. Cormack lui lança un regard insistant mais le jeune prince lui intima silencieusement de suivre le curieux cortège. Alors qu’ils procédaient, délaissant les décombres de la nacelle détruite, il perçut la furtivité des coups d’œil que jetait Ezéquiel sur lui. Il n’aimait définitivement pas ces regards. Tantôt curieux, puis voraces… meurtriers… Une attitude qui mettait à mal le colosse qui se trouvait face à un visage qu’Ezéquiel ne lui avait jamais montré.
Il se reprit. La direction du regard descendait bien plus bas. Se concentrait un centième de seconde sur ce que le Rolf tenait blottit dans ses bras.
Sur Maître Cène…
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