3 Décembre, Chloé.
A.R
Au petit matin, un rayon de soleil caresse ma joue. J’ouvre les volets et découvre mon père à l'ouvrage. Augustin rapporte du bois pour la cheminée. Après tant d’années au service des autres, il est venu prendre soin de lui. Dans cet îlot de nature sauvage, libre et heureux, il revit, loin de l'agitation parisienne. De mon côté, mon regard se perd dans le ciel bleu azur d’une pureté irréelle et sous mes pieds, le nuage cotonneux dissimule la vallée endormie.
J'enfile mon jean et saute mes chaussures de randonnée pour le rejoindre au plus vite. Au passage, j’attrape la thermo et deux tasses posés sur la table de la cuisine et me dirige vers la terrasse où un large sourire bienveillant m’accueille. Avachis sur les transats face au panorama à couper le souffle, nous dégustons notre chocolat chaud. Devant la féerie des lieux, ma carapace se fissure. Une larme glisse sur ma joue, le barrage est prêt à céder.
- Tu veux monter au lac pour observer les rapaces ? me demande mon père en fixant l’horizon.
- Pourquoi pas, marcher me fera le plus grand bien.
- Je prépare des sandwichs et des madeleines pour le dessert.
Il me connaît si bien, derrière son regard bleu gris se cache tant d’amour.
Sac à dos, bâtons de marches en main et bonnet de laine vissé sur nos têtes, la fine équipe se met en marche vers les sommets. Je me réjouis. Dans cet espace, la nature regagne ses lettres de noblesse. Après une heure et demie à jouer les cabris sur le sentier escarpé, à avaler les dénivelés, nous découvrons un panorama magique. Mon père a retrouvé ses jambes de vingt ans. De mon côté, je multiplie les activités sur mes temps libres pour garder la forme en toutes occasions. Je cours tous les mardis en fin d’après-midi dans les bois pour me vider la tête et le jeudi, j’arpente la salle des arts martiaux. Je n’ai jamais été autant affûté. En plaisantant, William me dit que je pourrais postuler dans une équipe de triathlon, ce serait bien moins risqué que courir après les malfrats. Quelque part, il est le grand frère que je n'ai jamais eu. Le savoir dans les limbes, entre deux mondes, me fait une fois de plus culpabiliser.
Pas le temps de m’auto flageller, mon père me rappelle que la vie ne se conjugue pas dans le passé et les regrets mais bien dans le présent.
- Chloé apprécie la magie du lieu et écoute-le te murmurer sa plus belle symphonie.
- Je sais et c'est ce qui me maintient en alerte.
- William est un gars solide, ajoute-t-il sans que je m’y attende.
- Tu lis dans mes pensées ?
- Ton visage et les larmes dans tes yeux parlent pour toi.
- Tu es médecin et tu sais que l'espoir est mince.
- Il est présent et c'est l’essentiel.
- Merci papa, reniflé-je en me serrant contre lui.
Une fine pellicule de glace s'est déposée à fleur d’eau, un miroir dans lequel se reflète mon âme. Face à l’immensité, je me sens si minuscule et tellement à ma place. Dans deux jours, je serai à des milliers de kilomètres sur les traces d’un homme à la grande barbe blanche et au manteau rouge. Pour l'heure, je savoure l’instant auprès de l'homme qui est toute ma vie.
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