17 Décembre, Chloé.
A.R
Assise sur la balancelle de la cabane où j’ai trouvé refuge pour la nuit, je fredonne ce refrain que me chantait mon grand-père quand j'étais tristounette. Vivre sans une mère n'était pas toujours facile, il m’arrivait de penser que son départ était lié à mon arrivée. Mes grands-parents paternels et mon père comblaient son absence avec tant d’attention. Mamie Josette a toujours joué son rôle à la perfection, avec douceur et patience elle m'offrait l’image d’une femme courageuse et déterminée. Mon grand-père, pour chasser mes larmes, choisissait un disque dans sa collection de trente trois tours. Je grimpais sur ses genoux, posais ma tête sur son torse robuste et écoutait sa voix de ténor reprendre des petits airs tels que celui-ci :
“ Dans la vie faut pas s'en faire
Moi je ne m'en fais pas
Toutes ces petites misères
Seront passagères
Tout ça s'arrangera.”
Je resserre le plaid autour de mes épaules, laisse filer la larme qui glisse sur ma joue dans l’espoir qu'elle se cristallise avec le froid pour emprisonner ce doux souvenir. Garder en soi une part des êtres chers qui nous ont construit est la plus belle façon de les garder auprès de nous. En écho, le ciel se pare de belles couleurs violacées et orangées. Une Aurore boréale dessine de belles volutes, trait d'union entre les cieux et la terre, une messagère de paix.
Un craquement me fait sursauter brisant la quiétude du moment. Sur le qui-vive, déformation professionnelle, je me redresse pour scruter les alentours, un frisson me parcourt.
Montrez-vous, crié-je dans la nuit prête à en découdre si nécessaire.
Un hululement me répond accompagné de battements d'ailes. Une chouette s’envole pour aller se réfugier sur le sapin. L'animal dans sa tenue de camouflage est somptueuse. Je ne peux défaire mon regard de ses yeux ébènes. Après un long moment à tenter de s'apprivoiser, elle reprend sa chasse. À mon tour, je regagne l’intérieur chaleureux de la cabane. La flambée dans le poêle me réchauffe instantanément, une bonne odeur de soupe se dégage de la casserole. Avant de partir, Dame Tartine m’avait préparé une Tupperware avec les restes du délicieux velouté de potimarron. Dans un coin, une étagère regorge de livres. Je découvre un exemplaire en français parmi un panel de titres en Finlandais et anglais. Je pourrais plonger dans un Sherlock Holmes en version originale, mais pour cette nuit, les aventures de Phileas Fogg seront idéales. Faire le tour du monde en quatre vingt jours sera un beau programme. Mon père me le lisait petite pour m’endormir. Blottie dans le fauteuil, les flammes pour compagnes, je tourne les pages les une après les autres et je me connais je ne lâcherai pas l’histoire avant le point final.
Pendant ce temps, à une centaine de kilomètres, William s'endort bercé par le chant d’une chouette. Avant de tomber dans les bras de Morphée, il dépose un livre sur la table de chevet ouvert à cette page :
“Cette terrible scène du 20 Avril, aucun de nous ne pourra jamais l’oublier. Je l’ai écrite sous l’impression d’une émotion violente. Depuis, j’en ai revu le récit. (…) Pour peindre de pareils tableaux, il faudrait la plume du plus illustre de nos poètes, l’auteur des Travailleurs de la mer.”
Vingt mille lieues sous les mers. Fait-il y voir un signe ?
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