Chapitre 4 : Le Royaume des Ombres, ou Comment ne pas se faire engloutir par des ténèbres vivantes
Je suis plutôt habitué à plonger dans des situations impossibles avec très peu d’informations utiles. C’est comme une compétence acquise pour les anges déchus : entrer dans le chaos en espérant que tout se passe bien. Mais le Royaume des Ombres ? C’était un tout autre niveau.
Il y avait quelque chose de fondamentalement perturbant dans ce lieu. Les ténèbres n’étaient pas simplement une absence de lumière ; elles semblaient avoir une présence physique, une volonté propre. Chaque pas que nous faisions semblait attirer des murmures, comme si le Royaume lui-même prenait note de notre présence. Elara et moi avancions prudemment, épées dégainées, prêtes à affronter… quoi, exactement ? On n’en avait pas la moindre idée.
— « Ça va ? » demandai-je, essayant de briser le silence oppressant.
— « Aussi bien qu’on peut aller quand on marche dans un endroit qui veut probablement nous tuer, » répondit Elara, sa voix tendue mais contrôlée.
J’esquissai un sourire malgré moi. Cette fille avait plus de nerfs que la plupart des guerriers que j’avais rencontrés, humains ou angéliques.
— « Hé, pour ce que ça vaut, on a déjà survécu à des loups-spectres et à une Gardienne mystérieuse. Le Royaume des Ombres ne peut pas être pire, n’est-ce pas ? »
Elara tourna son regard vers moi, l’une de ses sourcils levé. « Cédriciel, c’est toi qui dis ça. Ça veut dire qu’on est en plein dans la mouise. »
Bon, elle n’avait pas tort. Mais quelque chose me disait qu’elle préférait plaisanter un peu plutôt que d’affronter la réalité de ce qui nous entourait.
Après quelques heures de marche, le paysage devint encore plus étrange, si c’était possible. Les arbres, s'ils pouvaient encore être appelés ainsi, semblaient faits d’ombre solidifiée. Leurs branches ne cessaient de bouger, même sans vent. La terre elle-même ondulait parfois sous nos pieds, comme si le sol était vivant.
— « Tu sens ça ? » murmura Elara, s’arrêtant brusquement.
Je tendis l’oreille. Un bruit sourd et régulier résonnait dans l'air. Un battement, profond et constant, comme celui d'un cœur géant.
— « Oui, » répondis-je en serrant la poignée de mon épée. « C’est comme… »
Je n’eus pas le temps de terminer ma phrase qu'une créature jaillit de l’obscurité. C’était un amas de ténèbres tourbillonnantes, sans forme fixe, ses yeux brillants d’un rouge ardent. Son corps semblait être fait de la même substance que l’ombre environnante, mais il bougeait avec une fluidité étrange et inquiétante.
— « Recule ! » cria Elara en levant son épée.
Elle se jeta sur la créature avant que je puisse réagir, son épée brillant d’une lueur bleue en tranchant l'air. Mais sa lame passa au travers de la créature comme si elle n'était faite que de fumée. Le monstre réagit en se déformant, s’enroulant autour d’elle avec une rapidité déconcertante.
— « Elara ! » Je bondis en avant, déployant mes ailes pour la dégager de cette étreinte suffocante.
Ma lame divine s’enfonça dans la masse d’ombre, et cette fois, le monstre sembla réagir. Il se contorsionna, lâchant Elara dans un hurlement guttural. Elle roula sur le sol, se relevant rapidement, un air de défi dans les yeux.
— « Ces choses sont coriaces, » grogna-t-elle, essuyant la poussière de ses vêtements.
— « Elles ne sont pas vraiment vivantes, » répondis-je en me plaçant à ses côtés. « Elles sont comme des manifestations de la magie du Royaume. Il va falloir être créatifs pour les éliminer. »
Elara serra sa mâchoire. « Génial. Je ne suis pas exactement en mode ‘créatif’ en ce moment. »
La créature, maintenant furieuse, se reformait déjà. Ses yeux rougeoyants se fixèrent sur nous, et elle se rua vers nous avec une vitesse folle. Cette fois, j’étais prêt. En un clin d’œil, je déployai mes ailes et me propulsai dans les airs, évitant l'attaque d’un battement puissant. Elara, quant à elle, esquiva d’un saut gracieux, roulant au sol pour se relever instantanément, prête à contre-attaquer.
— « Des idées ? » demanda-t-elle en esquivant de justesse une autre frappe.
— « Ouais, une seule : courir ! »
— « C’est ta grande stratégie angélique ? Courir ? »
— « Si tu as mieux, je t’écoute ! »
Nous fîmes demi-tour en même temps, nous lançant dans une course effrénée à travers la forêt d’ombres. La créature ne nous laissa pas de répit, nous suivant de près. À chaque pas, le sol semblait se déformer sous nos pieds, comme si le Royaume lui-même cherchait à nous ralentir.
— « Il faut qu’on trouve un abri ! » cria Elara, sa voix légèrement haletante.
— « Tu vois un abri quelque part ? Parce que moi, non ! »
Soudain, le terrain se dégagea devant nous, révélant une immense plaine d’ombres mouvantes. Au centre, une tour noire se dressait, imposante et sinistre, son sommet disparaissant dans les nuages de ténèbres au-dessus.
— « Là ! » dis-je en pointant la tour. « Ça doit être le château d’Obsidios. Si on peut atteindre l’entrée, on aura peut-être une chance de bloquer cette chose. »
Sans hésiter, nous nous dirigeâmes vers la tour, la créature d’ombre toujours sur nos talons. À chaque seconde, je m’attendais à sentir son étreinte glaciale autour de nous, mais quelque chose nous protégeait, une sorte de chance désespérée, peut-être.
Nous atteignîmes enfin les grandes portes de la tour, immenses et ornées de symboles anciens gravés dans la pierre noire. Je posai une main sur l’une des portes, espérant qu’elles s’ouvriraient par magie. Mais bien sûr, ce serait trop facile.
— « Elles sont verrouillées, » grognai-je en tirant sur la poignée.
Elara, quant à elle, s’appuya contre les portes, reprenant son souffle. « Et maintenant ? »
Avant que je ne puisse répondre, un rugissement résonna derrière nous. La créature était à quelques mètres de nous, et elle semblait plus furieuse que jamais.
— « Oh, non. » Je levai mon épée, prêt à faire face à l’inévitable.
Soudain, les portes s’ouvrirent brusquement, comme si elles avaient senti notre présence. Nous tombâmes à l’intérieur de la tour, et les portes se refermèrent derrière nous avec un claquement sourd. Le silence retomba, aussi abruptement que le rugissement de la créature s'était interrompu.
L’intérieur de la tour était encore plus sinistre que l’extérieur. Les murs étaient faits de la même pierre noire, froide au toucher, et l’air semblait chargé d’une énergie oppressante. Des torches noires brillaient faiblement le long des murs, mais leur lumière ne semblait pas atteindre plus loin que quelques centimètres.
Elara se redressa, son épée toujours à la main, ses yeux scrutant l’obscurité autour de nous. « On est où ? »
— « Dans la tour d’Obsidios, j’imagine, » répondis-je en jetant un coup d’œil aux symboles gravés sur les murs. « Ou au moins, à l’entrée. »
— « Et c’est censé être une bonne chose ? »
Je haussai les épaules. « Ça dépend. Si Obsidios nous accueille à bras ouverts, peut-être. »
Elle roula des yeux. « Pourquoi je te fais encore confiance, déjà ? »
— « Parce que tu n’as pas vraiment d’autre choix, » répliquai-je avec un sourire espiègle.
Avant qu’elle ne puisse répliquer, un bruit lourd et lent résonna dans le couloir devant nous. Des pas. Des pas lourds, traînants, mais indéniablement humains… ou presque.
Nous nous tournâmes tous les deux vers l’origine du son. Au bout du couloir, une silhouette immense émergea de l’ombre. Il portait une armure noire, massive, qui semblait faite de la même matière que les ombres environnantes. Un casque recouvrait son visage, ne laissant apparaître que deux yeux rougeoyants, similaires à ceux de la créature que nous avions affrontée plus tôt.
Elara se redressa, prête à se battre. «La silhouette imposante s’avança lentement, ses pas résonnant sur le sol de pierre. Un silence glacial régnait, seulement brisé par le cliquetis métallique de son armure. Il mesurait facilement deux mètres de haut, et chaque mouvement semblait chargé d’une lourdeur menaçante. »
— « Qui êtes-vous ? » lança Elara, sa voix forte, mais trahissant une nervosité sous-jacente.
L’être s’arrêta à quelques mètres de nous. Il ne répondit pas immédiatement, laissant planer un silence pesant. Ses yeux rouges nous fixaient avec une intensité telle que j’avais l’impression qu’il lisait nos pensées, ou pire, nos peurs les plus profondes.
Finalement, une voix caverneuse s’éleva de l’intérieur de son casque.
— « Vous avez osé entrer dans le domaine du roi Obsidios. Peu en sortent vivants. »
Elara, toujours sur la défensive, fronça les sourcils. « Nous ne sommes pas là pour vous affronter, mais pour trouver la Couronne de Lumen. »
Il y eut un instant de silence, puis un rire grave et rauque résonna dans l’immense couloir, comme si l’idée même de notre quête était absurde.
— « La Couronne de Lumen ? » L’armure noire s’avança encore d’un pas, et je sentis l’air se refroidir autour de nous. « Vous croyez que le roi Obsidios se laissera dépouiller de ce trésor aussi facilement ? Vous ne connaissez rien de ce que vous affrontez. »
Je serrai mon épée un peu plus fort, sentant que la situation allait rapidement se dégrader.
— « Nous ne cherchons pas le conflit, » tentai-je, espérant désamorcer la tension. « Nous voulons simplement comprendre notre rôle dans cette prophétie. Obsidios peut nous aider. »
Un autre rire, plus profond cette fois.
— « Obsidios n’aide personne. Il prend. Il dévore. » La créature fit une pause, inclinant légèrement la tête, comme si elle réfléchissait. « Cependant, il aime les défis. Si vous cherchez à obtenir la Couronne, vous devrez d’abord prouver votre valeur. »
Elara et moi échangions un regard rapide. Ce n’était jamais simple, bien sûr. Il fallait toujours un test, un défi, une épreuve quelconque. Et vu le décor, je doutais que ce soit un concours de devinettes.
— « Quelle sorte de défi ? » demanda Elara, ses doigts crispés sur la garde de son épée.
La silhouette se redressa de toute sa hauteur, pointant un doigt noir vers une porte massive au fond du couloir.
— « Au-delà de cette porte se trouve le Labyrinthe des Ombres. Ceux qui osent s’y aventurer sont confrontés à leurs propres ténèbres. Si vous parvenez à le traverser… et à en sortir vivants, peut-être Obsidios vous accordera-t-il audience. Mais sachez ceci : beaucoup ont essayé, et aucun n’est revenu. »
Génial. Exactement le genre de défi que j’aurais préféré éviter.
Elara échangea un regard avec moi, une détermination brûlant dans ses yeux. « On n’a pas vraiment le choix, n’est-ce pas ? »
Je soupirai. « Non, mais j’aurais apprécié quelque chose de plus simple. »
La silhouette s’écarta lentement, nous ouvrant le passage vers la porte imposante. Elle n’ajouta rien, mais l’aura sinistre qu’elle dégageait suffisait à nous rappeler que ce défi n’était pas à prendre à la légère.
— « Prêts ? » murmura Elara, son regard fixé sur l’entrée du labyrinthe.
— « Aussi prêts qu’on peut l’être quand on doit affronter des ténèbres vivantes et nos pires cauchemars, » répondis-je en essayant de ne pas trop montrer mon appréhension.
Nous nous approchâmes de la porte, et avant même que nous ne la touchions, elle s’ouvrit d’elle-même, révélant un couloir sombre, où les ombres semblaient bouger d’elles-mêmes. Un frisson parcourut mon dos, mais je fis un pas en avant. Elara me suivit de près.
Le Labyrinthe des Ombres n’était pas un endroit ordinaire. Dès que nous franchîmes le seuil, une sensation oppressante s’abattit sur nous, comme si l’air était devenu plus lourd, plus épais. La lumière, déjà faible, semblait être engloutie par les murs eux-mêmes, et chaque son paraissait étouffé.
— « On reste ensemble, » murmura Elara.
J’acquiesçai. « Ne jamais se séparer. »
Les premiers pas dans le labyrinthe furent presque calmes, si l’on faisait abstraction des ombres mouvantes et des murmures inaudibles qui semblaient venir de partout à la fois. Mais au fur et à mesure que nous progressions, une étrange sensation commença à m’envahir. Ce n’était pas seulement la peur de l’inconnu. C’était quelque chose de plus… personnel. Les ombres autour de moi semblaient s’épaissir, et soudain, je me retrouvai seul.
— « Elara ? »
Aucune réponse.
Je me retournai brusquement, mais elle avait disparu. Comment était-ce possible ? Elle était à mes côtés il y a à peine une seconde. Je me mis à avancer plus rapidement, essayant de me concentrer, mais l’obscurité devenait de plus en plus étouffante. Des murmures s’élevèrent autour de moi, et j’eus l’impression qu’ils parlaient directement à moi.
« Cédriciel… »
La voix était douce, presque rassurante, mais elle portait en elle un écho terrifiant. Je m’arrêtai net.
— « Qui est là ? » demandai-je, ma voix résonnant faiblement dans le couloir sinueux.
« Pourquoi cherches-tu à comprendre ton passé ? Pourquoi refuses-tu la vérité ? »
La question me frappa comme une gifle. Une vérité que je refusais ? De quoi parlait cette voix ? Je me retournai brusquement, mais il n’y avait toujours personne. Pourtant, les ombres semblaient se refermer autour de moi, formant une prison oppressante.
— « Montrez-vous ! » criai-je, ma voix brisant le silence pesant.
Mais ce qui apparut devant moi n’était pas une créature des ombres. C’était… moi. Ou du moins, une version de moi. Un reflet. Il était exactement comme moi, mais ses yeux étaient noirs, vides de toute lumière. Son sourire était glacé, cruel.
— « Tu sais pourquoi tu es ici, n’est-ce pas ? » demanda mon reflet, sa voix identique à la mienne, mais empreinte d’une malice que je ne reconnaissais pas. « Tu cherches à fuir la vérité depuis toujours. Mais ici, dans le Royaume des Ombres, tu ne peux pas fuir ce que tu es vraiment. »
Je reculai instinctivement, mais les ombres derrière moi se resserraient, m’empêchant de fuir.
— « Je ne fuis rien, » répliquai-je, essayant de garder mon calme. « Je suis ici pour sauver des mondes, pour accomplir une prophétie. »
Mon double rit, un rire froid qui résonna dans mes oreilles. « C’est ce que tu te dis, n’est-ce pas ? Mais au fond, tu cherches autre chose. La rédemption. Le pardon. Mais personne ici ne peut te le donner. »
Je sentis mon cœur s’emballer. Il y avait une part de vérité dans ses mots, et c’était cela qui me terrifiait. J’avais été envoyé dans cette quête avec des doutes profonds, des questions sur mon propre passé, sur les souvenirs flous qui tourmentaient mes nuits. Mais est-ce que c’était cela qui m’avait vraiment conduit ici ? Une quête de rédemption, plutôt qu’un simple désir de sauver les mondes ?
— « Ce n’est pas vrai, » murmurai-je, plus pour moi-même que pour lui.
Mon double s’avança, et je sentis l’air se glacer autour de moi. « Tu ne peux pas mentir ici, Cédriciel. Le Labyrinthe des Ombres voit à travers les illusions. Il expose la vérité. »
J’étais piégé, et je le savais. Il n’y avait aucun moyen de fuir ces ténèbres intérieures qui semblaient grandir en moi. Mais je devais me ressaisir, pour Elara, pour la prophétie. Je ne pouvais pas céder à mes peurs.
— « Peu importe ce que tu es, » dis-je, tentant de raffermir ma voix. « Tu n’es qu’une illusion. »
Mon double me regarda, un sourire sinistre sur le visage.
— « Nous verrons si tu peux vraiment fuir ce que tu es, » murmura-t-il avant de disparaître dans les ténèbres, me laissant seul, mais avec une angoisse grandissante.
Je pris une profonde inspiration et m’avançJe pris une profonde inspiration et m’avançai dans les ténèbres. Chaque pas était lourd, comme si le sol aspirait mon énergie. Mon esprit était en ébullition. Mon double avait touché une corde sensible en moi, réveillant des doutes que j’essayais désespérément de réprimer. Était-ce la rédemption que je cherchais réellement ? Ou avais-je simplement peur de la vérité, de ce que j’étais vraiment ?
Les ombres semblaient se resserrer autour de moi, et la sensation d’oppression devenait insupportable. Il me fallait trouver Elara, c’était ma priorité. Elle avait probablement, elle aussi, ses propres démons à affronter. Le Labyrinthe des Ombres n’était pas qu’un lieu physique ; il puisait dans nos faiblesses les plus profondes.
Soudain, un bruit rompit le silence. Un cri étouffé, quelque part devant moi.
— « Elara ! » criai-je en accélérant le pas, mon épée toujours en main.
Le cri se fit de nouveau entendre, cette fois plus proche. Je me précipitai dans le couloir tortueux, les murs d’ombres se mouvant à chaque pas. C’était comme si le labyrinthe essayait de me désorienter, de m’enfermer encore plus profondément dans ses griffes. Pourtant, je persistai, mes ailes frémissant d’anticipation.
Finalement, je l’aperçus. Elara était agenouillée, les mains sur les tempes, comme si elle tentait de repousser une force invisible. Autour d’elle, des ombres s’élevaient, tourbillonnant comme un maelström, s’insinuant dans son esprit.
Je me jetai vers elle sans hésiter, abattant mon épée dans les ombres tourbillonnantes. Mais ma lame passa à travers elles sans aucun effet. Elles étaient intangibles, comme des reflets de son propre esprit.
— « Elara, c’est moi ! » criai-je, essayant de la ramener à la réalité. « Regarde-moi ! Tu dois te battre ! »
Ses yeux, grands ouverts, étaient voilés par la peur. Ses lèvres tremblaient, et des murmures incompréhensibles échappaient de sa bouche.
— « Non… non… je ne suis pas… je ne peux pas… »
Je la pris par les épaules et la secouai doucement. « Ce sont des mensonges, Elara ! Ce ne sont que des illusions ! Tu dois te réveiller ! »
Elle leva les yeux vers moi, mais c’était comme si elle ne me voyait pas, comme si elle était coincée dans un cauchemar dont elle ne pouvait s’échapper.
— « Il m’a abandonnée, » murmura-t-elle, les larmes coulant sur ses joues. « Il m’a laissée seule… »
Je compris alors. Les ombres jouaient avec ses peurs, tout comme elles l’avaient fait avec moi. Mais pour Elara, il s’agissait de quelque chose de bien plus profond, une blessure qu’elle avait portée depuis longtemps. Il ne s’agissait pas simplement d’une quête, mais d’un abandon qu’elle n’avait jamais surmonté.
— « Elara… » dis-je doucement, ma voix tremblante. « Je ne te laisserai jamais seule. Tu m’entends ? Jamais. Je suis avec toi. Nous allons sortir de ce labyrinthe ensemble. »
Elle cligna des yeux, et pour un instant, je crus apercevoir un éclat de lucidité dans son regard. Mais les ombres la tenaient encore fermement, tirant sur ses peurs et ses regrets. Je ne pouvais pas l’atteindre avec des mots seuls. Il fallait quelque chose de plus fort, quelque chose qui briserait l’emprise des ténèbres sur elle.
Je me rappelai alors des enseignements que j’avais reçus dans le Royaume des Anges. La lumière intérieure était la seule force capable de dissiper les ombres. Mais la lumière ne pouvait être invoquée qu’à travers un acte de volonté pure.
Je fermai les yeux un instant, concentrant mon esprit sur cette lueur intérieure, sur ce que je savais être vrai. Je n’étais peut-être pas parfait, je portais des cicatrices et des doutes, mais je refusais de laisser les ombres m’engloutir à nouveau. Je refusais de perdre Elara à cause de ses propres peurs.
Une chaleur douce émana de mes ailes, se diffusant dans l’air autour de nous. La lumière commença à se répandre doucement, repoussant les ombres, les faisant reculer lentement.
— « Elara, » murmurai-je d’une voix plus ferme cette fois. « Tu peux le faire. Tu as affronté bien pire que cela. Laisse les ombres partir. Elles ne te contrôlent pas. »
Elle serra les poings, luttant contre la force qui l’oppressait. Les ombres autour d’elle commencèrent à faiblir, mais elles se débattaient encore, cherchant à la maintenir prisonnière. C’était comme si elles se nourrissaient de sa douleur, de sa culpabilité.
— « Je ne… je ne peux pas… » murmura-t-elle, la voix brisée par les larmes.
— « Oui, tu peux, » insistai-je. « Tu n’es pas seule. Nous sommes ensemble. Regarde autour de toi. Ce que tu vois n’est qu’un mensonge. »
Elle ferma les yeux, tremblante. Les ombres tentèrent une dernière fois de l’engloutir, mais une étincelle de lumière jaillit d’elle, brisant leur emprise. Un cri déchirant s’éleva alors que les ténèbres se dissipaient brusquement, comme si elles avaient été brûlées par une flamme invisible.
Elara s’effondra à genoux, haletante, mais consciente. Ses yeux rencontrèrent les miens, remplis de confusion et de peur, mais aussi d’une lueur de reconnaissance.
— « Cédriciel… » murmura-t-elle.
Je m’agenouillai à ses côtés et posai une main sur son épaule.
— « Tu as réussi, » dis-je doucement. « Tu es plus forte que ces ombres. Elles n’ont plus aucun pouvoir sur toi. »
Elle hocha la tête faiblement, reprenant peu à peu son souffle. « Merci… je croyais que… je n’arrivais plus à penser. »
— « C’est le labyrinthe, » expliquai-je. « Il joue avec nos esprits, nos pires craintes. Il essaie de nous briser. »
Elle se redressa lentement, essuyant ses joues d’un revers de main. « Nous devons sortir d’ici. Je ne veux plus jamais ressentir ça. »
Je l’aidai à se lever, et ensemble, nous nous tournâmes vers le chemin qui s’étendait devant nous. Le labyrinthe n’était pas encore terminé, mais nous avions surmonté une épreuve majeure. Les ombres n’avaient plus autant d’emprise sur nous.
— « Continuons, » dis-je. « Si ce que cet endroit voulait, c’était nous faire abandonner, il vient d’échouer. »
Elara me sourit faiblement, un sourire qui contenait à la fois de la gratitude et de la détermination.
Nous marchâmes côte à côte dans le couloir sinueux du labyrinthe. Les ombres continuaient de bouger autour de nous, mais elles étaient désormais plus distantes, presque hésitantes. Le pouvoir qu’elles avaient exercé sur nous semblait s’être amoindri.
— « Tu penses qu’on est près de la sortie ? » demanda Elara, brisant le silence qui régnait depuis plusieurs minutes.
— « J’en sais rien, » avouai-je. « Mais je sais qu’on n’a plus le choix. Il faut avancer. »
Nous tournâmes à un autre angle du couloir, et soudain, devant nous, une immense salle s’ouvrit. Au centre, un trône de pierre noire se dressait, et, assis dessus, une silhouette sombre nous observait, ses yeux rougeoyants perçant les ténèbres.
— « Vous avez survécu au Labyrinthe des Ombres, »** dit la voix grave et froide. **« Mais survivre n’est que la première étape. Approchez, enfants des mondes. Le véritable test commence maintenant. »
Obsidios nous attendait.La silhouette sur le trône noir semblait taillée dans les ombres elles-mêmes, une masse imposante d’armure noire et d’énergie obscure. Les yeux rouges qui brillaient dans l’obscurité étaient fixés sur nous, pesant de tout leur poids. L'atmosphère était chargée d'une puissance froide, presque palpable. Chaque pas que nous faisions vers lui semblait alourdir nos corps, comme si le sol voulait nous retenir en arrière.
— « Approchez, enfants des mondes, » répéta Obsidios, sa voix résonnant dans la vaste salle comme un tonnerre lointain. « Vous avez survécu au Labyrinthe des Ombres, mais cela ne fait que prouver que vous êtes capables de vous confronter à vos propres ténèbres. Maintenant, vous devez me prouver que vous êtes dignes de la Couronne de Lumen. »
Mon instinct me hurlait que cette épreuve serait différente. Plus directe. Plus brutale. Je posai un regard rapide sur Elara. Elle avait retrouvé sa force, mais je pouvais voir la fatigue dans ses yeux. Moi aussi, je me sentais vidé, mais il n'était pas question de reculer maintenant. Nous étions si près du but.
— « Que veux-tu que nous fassions ? » demanda Elara, la voix ferme malgré la tension.
Obsidios ne répondit pas immédiatement. Il se leva de son trône avec une lenteur calculée, et chaque mouvement semblait émettre une onde de choc dans l’air. Lorsqu’il fut debout, il était encore plus imposant que je ne l'avais imaginé. Sa stature dépassait celle de n’importe quel mortel ou être céleste que j’avais jamais rencontré.
— « La Couronne de Lumen ne peut être réclamée que par celui ou celle qui possède la lumière intérieure la plus pure, » déclara-t-il, ses yeux flamboyant d'une lueur sinistre. « Cependant, cette lumière ne brille jamais seule. Elle est toujours mise à l’épreuve par l’obscurité. Vous devez me montrer que vous savez manier cette lumière, non seulement pour vous protéger, mais pour protéger les autres. »
Il leva alors une main massive, et le sol devant nous s’ouvrit brusquement, laissant place à un gouffre sans fond. Des ombres en jaillirent, comme si elles attendaient juste ce signal pour se libérer de leur prison. Une silhouette noire se forma lentement à partir de cette masse ténébreuse, un être immense et menaçant, aux yeux aussi rouges que ceux d’Obsidios.
— « Voici l’Ombreforge, » dit-il en désignant la créature qui venait de naître des ténèbres. « Si vous parvenez à le vaincre, vous aurez peut-être une chance d’obtenir la Couronne. Mais méfiez-vous : ce monstre n’est pas simplement une force de destruction. Il se nourrira de vos peurs, de vos doutes, et les retournera contre vous. »
Super, pensai-je, encore une créature alimentée par la peur. Parce que nous n’avions pas eu assez de ça dans le Labyrinthe des Ombres.
L’Ombreforge s’avança vers nous, chacun de ses pas faisant trembler le sol. Ses membres, composés de brumes épaisses et mouvantes, semblaient se dissoudre et se reformer constamment, comme s’il était à la fois solide et intangible. Son regard se posa sur nous, et immédiatement, je sentis cette sensation glaciale, familière, celle qui m’avait envahi plus tôt dans le labyrinthe. Les ténèbres commençaient à s’insinuer dans mon esprit.
— « Cédriciel ! » appela Elara. « On doit le combattre ensemble ! »
Je secouai la tête, essayant de chasser les ombres qui rampaient dans ma conscience. Oui, ensemble. Nous ne pouvions pas vaincre cette chose seuls. Je levai mon épée, et elle brilla faiblement d'une lueur dorée, ma propre lumière intérieure répondant à l’appel. Elara, de son côté, fit de même, et la sienne brilla avec une intensité plus vive.
L’Ombreforge ne perdit pas de temps. Il chargea, balançant une masse d’ombres vers nous. Je plongeai sur le côté juste à temps pour éviter l’attaque, mais la puissance du coup fit vibrer l’air autour de moi. Elara, plus rapide, esquiva aussi et contre-attaqua immédiatement, son épée tranchant à travers la brume de la créature.
Pourtant, malgré son coup précis, l’Ombreforge sembla à peine affecté. Sa forme se reformait instantanément, comme si rien ne pouvait l’atteindre.
— « Il se nourrit de nos peurs, » murmurai-je. « Nos attaques physiques ne suffiront pas. »
Elara acquiesça, esquivant une nouvelle attaque.
— « Alors on doit se concentrer. Ne pas le laisser entrer dans nos esprits. »
Je pris une profonde inspiration et tentai de me concentrer. La lumière intérieure, cette force que j’avais invoquée pour repousser les ombres plus tôt, était ma seule chance. Je fermai les yeux un instant, cherchant à ignorer le bruit du combat et à faire taire les doutes qui murmuraient encore dans mon esprit. La rédemption, le passé… tout cela devait attendre. Ce n'était pas le moment de me perdre dans mes propres ténèbres.
Quand je rouvris les yeux, ma lame brillait plus fort. Elara, voyant cela, fit de même, et sa propre lumière éclata comme une étoile dans les ténèbres de la salle. L’Ombreforge poussa un rugissement, reculant légèrement, visiblement affecté par la pureté de notre lumière combinée.
— « Ça marche ! » s’exclama-t-elle. « Continue ! »
Nous avançâmes ensemble, attaquant à l’unisson. Chaque coup porté par nos lames brillantes faisait reculer la créature, ses ombres se dissipant à chaque fois qu’elles entraient en contact avec notre lumière. L’Ombreforge, autrefois si imposant, semblait perdre de sa consistance, comme s’il fondait sous la pression de notre détermination.
Pourtant, ce n’était pas suffisant. La créature continuait de se reformer, bien que plus lentement, plus faiblement. Mais je savais que tant que nos propres peurs existaient, elle pouvait revenir. Obsidios nous regardait toujours, ses bras croisés, observant sans intervenir.
C’est alors que je compris.
— « Elara ! » criai-je. « Ce n’est pas en le détruisant qu’on va gagner. Il faut l’accepter. »
Elle me lança un regard confus, mais je poursuivis, mon cœur battant la chamade.
— « Cette créature est nourrie par nos ténèbres intérieures. Si nous continuons à la combattre, nous alimentons son existence. Mais si nous acceptons nos propres peurs, nos propres doutes… elle n’aura plus aucun pouvoir. »
Elara comprit. Elle baissa son épée, et je fis de même. L’Ombreforge, confus, se figea. Nous nous tenions là, immobiles, face à lui, nos armes abaissées, mais nos esprits plus forts que jamais.
— « Je reconnais mes erreurs, mes doutes, mes peurs, » murmurai-je. « Mais elles ne me contrôlent pas. Elles font partie de moi, et je les accepte. »
Elara fit écho à mes paroles. « Je ne fuis plus. Je n’ai plus peur de ce qui m’a blessée. »
La créature poussa un dernier rugissement, mais cette fois, ce n’était pas de la colère. C’était un cri de défaite. Les ombres qui la composaient commencèrent à se dissoudre, disparaissant dans l’air, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien d’elle.
Obsidios nous observait, silencieux. Puis, lentement, il s’inclina légèrement.
— « Vous avez réussi. Peu nombreux sont ceux qui comprennent que la véritable force ne réside pas dans la destruction, mais dans l’acceptation. La lumière ne peut exister sans l’ombre, et l’ombre ne peut être vaincue par la seule force brute. »
Il tendit la main, et un objet scintillant apparut dans l’air, flottant doucement vers nous. La Couronne de Lumen. Elle brillait d'une lumière douce et apaisante, comme si elle nous reconnaissait comme ses porteurs légitimes.
— « Prenez-la, » dit Obsidios. « Et rappelez-vous toujours que la véritable lumière vient de l’intérieur. »
Elara attrapa la couronne, ses doigts tremblants légèrement sous l’émotion. Nous avions réussi. Mais ce n’était que le début. Le véritable combat nous attendait encore, au-delà des ténèbres du Royaume des Ombres.
Et cette fois, nous étions prêts.
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