Cap au Sud.
Année 2760 du troisième calendrier de l’Ecclésiaste.
Étant prudent de nature, je décidai de m’en tenir à mon plan initial, attendre et voir venir. Les six bahweins* avaient peut-être tout comme moi trouvé un refuge.
Ici, ma position était inexpugnable. J’avais suffisamment de provisions et d’eau pour tenir un siège. Autour de moi et sur cinq bons parasanges*, la hamada était aussi plate que ma paume.
Je scrutai donc l'horizon à la recherche d'un signe de vie, mais rien ne se montrait. Je me demandai si je n'avais pas commis une erreur en m'arrêtant ici. Peut-être aurais-je dû continuer ma route ?
Mais fidèle à ma première idée, je décidai de passer le reste de la journée à me préparer au cas où il y aurait des survivants à l'ouragan.
Un bon feu de bois sec, un bon tchay*… et même que j’en profiterai pour fourbir mes armes, ainsi que mon armure, sans d’ailleurs oublier celle de What.
En bas, mon roojas avait trouvé une grosse flaque où nettoyer son plumage et il s’ébrouait à tout va.
Une fois entretenues et aiguisées, je rassemblai mes armes et mon armure à l’entrée de mon abri. Je fis ensuite le tour du refuge pour m'assurer que tout était en ordre, que je n'avais rien oublié, j’avais même relevé mes pièges, filtré et rempli mes outres, ce soir What et moi nous mangerions encore de l’anguille des sables.
Puis je retournai au sommet de mon rocher avec un autre tchay. J’observai les alentours, l’air était d’une limpidité cristalline. Le regg* était toujours désert, à l’exception d’un petit nuage de poussière loin à l’Ouest.
Je restai l'œil vigilant, l'oreille aux aguets et ma longue vue dans une main. Machinalement, je fouillai dans mon Le'aokuu*. Il est vrai qu’avec tous ces événements, je n’avais pas pris la peine de vérifier ce que contenait la bourse que j’avais nuitamment subtilisée à Théodore Argrigent. Immédiatement je compris pourquoi les bahweins* me faisaient la chasse. Ce n’était certainement pas pour la cinquantaine de pièces d’or, d’argent ou d'acier, non ce n’était pas pour cela, mais pour une autre petite bourse de taffetas, qui contenait sept Jièms* d’un jaune presque blanc, aussi lumineux que sept soleils. Comment estimer la valeur de ces pierres ? Une seule aurait suffi à acheter un duché, pour sept, j’aurais pu lever une immense armée ou acquérir un royaume. Mais pour moi, elles représentaient autre chose, l’énergie nécessaire au bon fonctionnement de mon Oracle*.
J’entrepris de délacer le brassard de cuir qui masquait l’artéfact. Cela faisait des lustres qu’il était en mode super économie d’énergie, la dernière fois que j’avais contrôlé la jauge, c’était pour constater avec amertume, que la batterie était descendue sous les 5%. Cela voulait dire pour moi, un max d’emmerdes. Bien évidemment, je savais qu’elle ne baisserait pas beaucoup plus. Mais sous les 5%, j’avais droit au minimum. Juste au maintien de mes fonctions vitales et à quelques rares options. Chaque gemme de jièm*, c’était 20% supplémentaires d’énergie pour mon Oracle vorace. Maintenant, je pouvais enfin m’afficher ouvertement comme un Reg* et non comme un Res*. En même temps que les 4 jièms se dissolvaient au contact du bracelet, je sentais une nouvelle vitalité imprégner tout mon être. Je serais tranquille pour les cent prochaines années. J’avais enfin accès à deux bio-micro-drones* de surveillance et à toutes les autres fonctions. Une petite mouche électronique s’échappa du bracelet, une vision panoramique holographique s’afficha dans les airs devant moi, confirmant l’absence de danger.
Par acquis de conscience, je fis faire une dernière rotation à mon drone, mais avec la vision thermique poussée au maximum histoire de voir… que ces coquins, avaient survécu et qu’ils avaient pris la direction de l’Ouest, celle que j’aurais dû prendre. Ces bâtards voulaient soit me tendre une embuscade, soit me rattraper. Le drone suivit sur plusieurs parasanges les traces laissées par les queues et les pattes des lézards.
La nuit me porterait conseil. Je me préparai donc, en rassemblant des branches et des bûches dans mon abri et lorsqu’il fit noir j’allumai un feu pour me tenir chaud et cuisiner. C’est vrai qu’à plus de trois milles mètres, les nuits étaient fraiches. Une chose était certaine, demain je prendrai au Sud. Ainsi je n’aurai pas à salir mes armes, mon quota de cadavres était plus que dépassé et je n’aimais pas gaspiller mon talent pour cua d'all*. J’irai en direction des Bois Étranges*. Je devrais aussi plus tard traverser le Marais Bouseux avec ses pièges et ses créatures.
Une dernière fois je sortis, libérant un bio-micro-drones pour une mission de surveillance, il tournoierait toute la nuit autour de mon bivouac.
Les deux lunes ne s’étaient pas encore levées. Les étoiles scintillaient au firmament. Je fouillai dans mon Le'aokuu, j’en sortis un étui à cigare et mon antique Zippo, il faudrait bien que je restreigne ma consommation de tabac.
Alors que l’extrémité du cigare rougeoyait, que des volutes de fumée s’envolaient, je repris le chemin de mon perchoir avec cette étrange impression de n’avoir pas été depuis longtemps aussi proche de la nature.
***
Cua d'all* : (queue d’ail = que dalle)
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