Le caravansérail.

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Année 2760 du troisième calendrier de l’Ecclésiaste.

Le lendemain, mes drones revenaient avec d’importantes informations. Fort de ce flux de données, je pus mettre à jour les cartes de l’Oracle.

Migalana*, une opulante cité et plus loin, Ksar-Migatana*, un Primus-caravansérail*, c’est à dire un grand comptoir de la Guilde Souveraine* se dressaient à trois jours de roojas en bordure du fleuve.

Je partirai le surlendemain à la pointe du jour.

What et moi serions reposés et propres. J’avais retiré tous les signes de reconnaissance qui pouvaient me rattacher de près ou de loin à mon ancienne compagnie de mercenaires des armées du Grand Argentier, Théodor Argrigente. Nulle doute que ma tête devait être mise à prix. Aussi était-il temps que je reprenne mon identité de Hors-Loi. Par sécurité, je changeai mon apparence, j’optai pour une barbe plus longue, légèrement grisonnante, pour des cheveux poivre et sel, ainsi que pour l’apparition sur mon front des insignes des Hors-Loi.

Deux jours plus tard, tous deux ayant revêtu nos armures, nous nous mimes en marche.

La piste était encombré de chablis et de broussailles, elle serpentait le long du fleuve. Ce ne fut qu’après plusieurs heures de ce pénible périple, que comme par miracle elle déboucha sur un semblant de route qui longeait les rives maintenant sablonneuses. Mon roojas put joyeusement trottiner sur ce chemin jusqu'aux plaines de Réévada* situées entre ses nombreux méandres. C’est dans ces contrées, que l’on appelle aussi le Cartel de Malawachie* que nous prîmes un peu de repos avant de reprendre notre route. Je démontais souvent pour marcher de concert, j’espérais le ménager ; mais, arrivés sur un terrain gazonné qui parsème cette plaine, je le refis courir un peu. Bientôt nous aperçûmes la cité de Migalana. Cette ville tenue par les Lurédas* possédait une double enceinte. Surtout connue pour ses vignobles, elle avait depuis longtemps remplacé en importance l'antique caravansérail de Ksar-Migatana, qui, pourtant offrait l'hospitalité aux voyageurs en route vers les cités libres de Yuchekha*, de Chytta* ou vers les mines de sel de Paggor*. Après Ksar-Migatana, cette région, passait d’une steppe humide à une énième hamada, en raison d'une chaîne de montagnes voisine qui bloquait l'humidité des grands lacs. sur l'autre versant, la pluie inondait les marais de Pissodul* et leur valait leur surnom inquiétant de région Putride.

Migalana assuma un nouveau rôle, lorsque le häkim* de la cité commença à capturer en masse les iotas*. Les sélectionnant, pour en faire des sous-humaines décervelées, destinées à n’être qu’une force motrice. Plus tard, un de ses successeurs fit venir des esclaves pour les dresser à devenir des experts en luxure. En 300 ans, Migalana était devenu un établissement réputé pour son vin et une des plaques tournante pour la traite des êtres humains. La vue des hauts murs de basalte et des innombrables dômes sophistiqués des riches demeures, laissaient entrevoir la richesse et le pouvoir de cette cité. Pour la plupart des nouveaux arrivants, c'était leur premier aperçu de l’opulence cachée derrière des murs crénelés.

Je m’arrêtai à la porte fortifiée de la barbacane principale, seulement pour demander mon chemin et faire quelques emplettes à une des rares échoppes adossées au mur intérieur. Mon statut de Hors-Loi délia bien des langues tout en m’évitant bien des questions, ainsi j’appris que les Greenheads* alliés aux routiers sans solde du Grand Argentier, Théodor Argrigente avaient pillé toute la région entre cette ville et Ksar-Migatana. Et cette situation devait perdurer car aucun renfort n’était prévu avant plusieurs mois.

Nous avançâmes au milieu d'une contrée dévastée. De nombreux villages étaient détruits ; les traces de massacre restaient visibles ; devant chaque seuil, des bêtes sauvages dévoraient tranquillement des ossements humains. Aussi, je ne pouvais me défendre d'un sursaut de vigilance en parcourant ces lieux. Je croyais pourtant avoir laissé ces visions de dévastation derrière moi, la seule différence était que pour une fois je n’en étais pas la cause.

De tous côtés s'élevaient des fumées d’incendies, tourbillonnant dans l'air, puis retombant sur les murs à demi calcinés. Nul doute que la récolte de vin serait médiocre.

Quatre voyageurs en armes me précédaient sur cette route désolée ; lorsque je passai près d’eux, ils se détournèrent vivement et m’observèrent d'un œil défiant. J’étais en tenue de combat, mon roojas avait son air féroce des jours de guerre, ils n'osèrent pas m’attaquer ; mais je me sentais sur un périlleux terrain. J’allai comme les oiseaux de la forêt dont chaque battement d'aile trahit souvent pour eux la présence d'un prédateur ; aussi tout comme moi vivent-ils toujours aux aguets.

Ayant cheminé à vive allure sur cette plaine désolée, où tous les villages non fortifiés avaient été désertés, la pointe du jour me cueillit au moment où j’arrivai en vue du caravansérail. Enfin, je vis devant moi, se profilant au soleil levant, les deux tours hautes de la Guilde Souveraine.

Je remontai au pas une route bordé de centaines de taupinières, je devinais aussi une certaine agitation derrière ses murs…

Ksar-Migatana était bâti en bordure du fleuve, à l’extrémité d’une langue basaltique et le surplombait de 10 à 30 mètres. Cette voie fluviale était depuis la fermeture de la ligne, la principale artère commerciale de cette région isolée. Pour ce qui était du caravansérail, il était bâti peu ou prou à la façon de tout ceux de la Guilde Souveraine. C’était un ensemble de bâtiments fortifiés autour d’une triple cours rectangulaires, dont les courtines assuraient la sécurité des voyageurs et de leurs marchandises.

La première cour qui était la plus vaste car sa superficie devait être très proche des quatre hectares, comprenait plusieurs types de chambres disposées tout au long des portiques qui jouxtaient les murs. Par le fait c’était deux étages de galeries qui surplombaient ce premier enclos. Chaque chambre, qu’on appelait cellule, bien qu’il y en ait de plusieurs dimensions était équipée d'une solide porte de bois, qui offrait ainsi un endroit sûr pour les marchands et les voyageurs. Au centre de ce vaste espace était érigé une grande halle ouverte sur ses quatre cotés. Elle abritait en matinée son marché et l’après-midi elle était souvent utilisé comme un espace social où commerçants et caravaniers pouvaient se rencontrer, échanger des marchandises, négocier des esclaves et des animaux.

Étant près du fleuve, le caravansérail bénéficiait également d'une poterne placée dans l'angle du flanc d’une tour borgne. En plus d’être une porte, c’était une gallerie voûté, allant à l'entrée des arches du quai principal, cela permettait de passer librement, de la première cour au fleuve. C’était un accès facile à l'eau pour les animaux et pour les besoins quotidiens des occupants. Cela permettait également aux voyageurs désargentés et aux esclaves de se rafraîchir et de se laver pendant leur passage. Pour les autres, un bâtiment thermal équipait le cinquième de l’aile gauche.

La deuxième cour, à peine plus petite, possédait des murs plus hauts et plus épais. C’était aussi celle des habitations, des auberges, des boutiques et de l’unique casino. Chaque construction n’avait pas moins de trois étages, ici on ne pouvait pas parler de rue, mais de ruelles ou de venelles, tant les bâtiments occupaient tout l’espace disponible. Cependant, la guilde s’était montré intransigeante pour l’artère principale, que l’on appelait la rue Grande, car elle avait huit mètres de large. Elle reliait en ligne droite ou presque, la porte de la troisième enceinte, dite du Chef de Gare, à celle de l’entrée du caravansérail, dite Porte de Migalana. Mais heureusement, il y avait d’autres moyen de circuler dans Ksar-Migatana, et c’était par ces caves aux galeries bien plus larges que ses rues, ou encore par les nombreuses passerelles qui reliaient presque tous les toits en terrasses.

Pour ce qui était de la troisième cour, la plus mystérieuse, la plus forte aussi, car ses courtines dominaient les deux autres. Elle comprenait la garnison avec son arsenal, ses jardins et surtout le monumental donjon de la guilde. Un bâtiment dont le parement de pierres de taille cachait des murs de bétons armés, des portes d’acier blindé et un armement high-tech. Autant dire que la bâtisse était invulnérable.

J’entendis le son du grand taiko*. Les gens du caravansérail m’avaient aperçu de loin ; une douzaine venaient de monter quatre bahweins et s'apprêtaient à me traiter en ami ou en ennemi, suivant les circonstances. Ces hommes se tenaient à deux cents pas environ des murailles ; ils m’attendaient pour me combattre, ou pour me servir d'escorte.

Je m'avançai vers ces guerriers ; à mon approche tous les gestes désignèrent mon roojas avec admiration.

Ce mouvement général me donna autant d'appréhension que de fierté. Une belle monture, de bonnes armes, une bourse pleine, sont trois choses qui mettent la vie de leur possesseur en grand danger dans ce pays de brigands.

Un des Lurédas, se détachant du groupe, fit quelques pas vers moi. Je lui adressai aussitôt un bonjour amical. Il répondit froidement à mon salut. Mais examinant ma personne des pieds à la tête ainsi que ma monture, du licol aux serres armées d’acier, il me demanda :

  • D'où viens-tu ?
  • De bien loin.
  • Où vas-tu ?
  • À Yuchekha.
  • Qui es-tu ? Tu n’es pas un Luréda, ni un Yuchekhain*, ni un Dominien*, ni une pourriture de Greenhead.
  • C’est vrai, rien de tout cela. Je suis…
  • Tais-toi ! laisse-moi continuer mes questions, tu répondras après. Tu parles mal le Luréda, tu n'es pas des notres. Es-tu un habitant des Cités Libres du Croissant ? ou un Chyttien* ?

Je fis des signes de dénégation ; mon interlocuteur se trouvait au bout de sa science. J'étais convaincu qu'il me prenait pour quelque commissaire des comptoirs de la Guilde ou pire un de ces maraudeurs qui courent les contrées sauvages. Il ne voulait point me laisser lui apprendre ma nationalité, se piquant sans doute d'être assez habile pour la deviner. Voyant qu'il n'y parvenait pas, il se laissa aller à un mouvement d'humeur et donna un coup de poing si violent sur le museau de son bahwein, que la pauvre bête siffla de douleur.

  • Qui es-tu donc ? reprit enfin cet homme.
  • Un Hors-loi ! répondis-je d'un ton fier.
  • Un Hors-loi ? Je connais des Hors-Loi ; ils ne te ressemblent pas !
  • Je suis Teixó, l’arme du Kazar ! et je levais mon gras gauche dévoilant sous ma frange une sorte de tatouage en relief en forme d'œil à la vue de tous.
  • Res Teixó, voilà qui est merveilleux ; cependant je le crois, puisque tu le dis et que je le vois.

Là-dessus s'éleva un murmure, puis des cris, des acclamations confuses en Luréda, et en Dominien.

On savait comment Teixó avait combattu sur bien des champs de bataille, comment le Hors-Loi que j’étais, pouvait être féroce. Tout le monde connaissait cet Ordre de réputation et voulait me féliciter. Mon expérience dans le langage Luréda était plutôt embryonnaire ; de sorte que la sueur me coula bientôt à grosses gouttes le long des tempes. Il s'ensuivit d'ailleurs plus d'un malentendu et d'un quiproquo dont on rit de bon cœur, car heureusement pour moi la suite de notre conversation fut en Dominien qui est une des lingua franca de ce continent.

Quand l'émotion générale fut un peu calmée, le commandant de la place me convia à le suivre et me promit de m’aider de tout son pouvoir à rendre mon séjour le plus agréable possible.

De plus, il m’assura que sa recommandation me donnerait une place parmi une des caravanes de marchands de mon choix.

  • Yuchekha, me dit-il, là-bas habitent beaucoup de négociants, d'adorateurs de l’or. Tous ces gens sont de hardis voleurs, qui ne reculent jamais devant l'assassinat ; d'ailleurs, l'accès de leur cité est presque impossible pour n’importe quelle armée.
  • Je sais cela, mais c’est aussi une gare importante de la Guilde.
  • C’est vrai. Maintenant, Res Teixó, le caravansérail vous est grand ouvert. Prenez une chambre à l'auberge des Caravaniers , c’est la meilleur et ses putains sont propres.
  • Tu vas pourchasser les Greenheads ? J’ai aperçu beaucoup de taupinières encore fraiches. Vous avez subi une attaque récente ? remarquai-je.
  • Oui, tu es bien un Hors-Loi pour deviner cela.
  • Non, juste observateur. Il suffit de connaitre l’un des modes d’exécution de la Guilde Souveraine. Quand tu rentreras c’est moi qui t’offrirai un festin. Alors tache de rester en vie.

Je passais donc la double herse de l'imposante Gopura* pour me rendre au corral. J’y laissai mon roojas aux bons soins de palefreniers compétents. Puis, je franchis le seuil de l’Auberge des Caravaniers.

  • Tavernier, mon ami, dis-je en jetant sur le comptoir cinq pièces d'argent, je voudrais causer un instant. Le commandant m’a conseillé de venir chez toi. Alors ne le déçoit pas. Je sais que vous avez dû subir le siège des pillards Greenheads, ils ont dévasté la contrée, je le sais ; mais je suis horriblement fatiguée. J’ai faim. J'ai soif. Maintenant ! m’écriai-je. Et qu'on me serve tout ce qu'il y a de meilleur dans cette taverne, des sandres farcis de fenouil, une grillade, et pas de kurt ! un pâté de gibier, une poularde, du vin et du bon, pas un de ces vins de buffet* qu'on sert dans bon nombre de cauponae*. J’ai bien envie de manger avec tout ça… une, ou plutôt deux, de ces excellentes fougasses aux herbes.

Le tavernier qui ressemblait à tous les tenanciers dignes de ce nom, me répondit en raflant les pièces.

  • Seigneur Res, vous me semblez non seulement raisonnable, mais des plus généreux. Je vais vérifier dans le cellier. Je vois que vous avez bel appétit et que vous aimez volontiers cette forte nourriture.
  • Par Tamus* ! répondis-je, cela ne serait pas impossible.
  • Il me faudra tout de même une petite heure pour vous satisfaire. En attendant, voulez-vous visiter votre chambre ? … Avoir bonne compagnie ?
  • Pour ma chambre, je te fais confiance, pour le reste aussi. En attendant, comme tu dis, je vais à la tour de la Guilde. Je pense que le gouverneur sera heureux de me recevoir.
  • Le gouverneur ? presque personne ne le rencontre…
  • Oui, peut-être mais je ne suis pas personne, je suis Teixó, l’arme du Kazar !
  • Dans ce cas, noble seigneur, je vous conseille de passer par la galerie principale du troisième sous-sol, elle vous évitera la cohue de la deuxième enceinte. En plus, il y a un service de carpenta* entre la Halle et la troisième enceinte. Et même s'il y a deux arrets avant, c'est le plus rapide et le plus confortable des trajets pour les gens de qualité. le terminus, c'est la porte de fer du donjon. Vous vous rendez compte ! Une porte en fer... cela vaut une fortune un truc comme ça.
  • Merci pour l’informations et à tout à l’heure.

Sur ce, je tournai les talons, non sans saisir une fougasse et un fromage que je boulotais en sortant. Il y avait si longtemps que je n’avais pas rencontré de responsable de la Guilde Souveraine, il fallait bien que je vérifie mon statut et que je finisse les mises à jour de mon Oracle. Pour ma part, je savais pourquoi le gouverneur était presque inaccessible et pourquoi un caravansérail de la Guilde serait presque impossible à prendre d’assaut.

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