Le rendez-vous manqué.
La matinée s’avançait, la chaleur montait et l’ombre de la halle était une aubaine. Punaise, jeune esclave espiègle, finissait le marché pour son leno*. Étant du genre femelle, forcément elle était coquette et donc par le fait, elle portait une robe échancrée en macramé à grandes mailles, agrémentée à la taille d’une frange en cordes tressées, d’où de nombreux cordons tombaient jusqu’au-dessus des genoux. Et bien que ceux-ci soient serrés les uns contre les autres, donnant à ses mouvements une belle apparence de fluidité. Ils ne cachaient rien de sa petite personne. Car comme disait si bien son maitre : si l’on est un bon commerçant, on doit être fière de sa marchandise.
Il faut dire à sa décharge qu’elle aurait préféré quelque chose de plus habillé… mais voilà, en plus d’être du genre femelle, elle était aussi du genre putain. Alors, à moins d’être nue, ce qui était admis, voire préconisé pour les esclaves des deux sexes, cette tenue, taillée avec les restes de vieux filets de pêche et de cordages usés, avait l’avantage d’être gratuite et très pratique. Ainsi Punaise pouvait être baisée sans devoir se déshabiller. Coiffée de son nón tơi* plutôt que de sa panière pleine de pommes, elle déambulait entre les étales sa corbeille coincée contre sa hanche. Bien que moins pratique, elle préférait cela, car elle avait eu une mésaventure avec un de ses clients à qui elle avait fait une fellation, elle avait eu le malheur de tenir à deux mains le panier sur sa tête, il en avait profité pour manger deux ou trois fruits et surtout pour pisser dedans, sous prétexte qu’elle avait refusé d’avaler son foutre. Elle avait eu beau protester, lui disant que pour ça, il aurait dû payer un has* de plus, mais rien n’y fit. Heureusement Morvert trainait dans le coin, aussi l’autre crachat-il son has et même quelques dents.
Or donc, ce matin-là, ayant rempli toutes ses corvées, elle avait un peu de temps devant elle. Aussi, recherchait-elle quelques nouvelles aventures. Depuis la chute de sa cité et son asservissement, elle n'avait pas appris grand-chose sur le monde extérieur à ce caravansérail ou à cette maudite ville de Castelkatar*. Mais ici, sur la place du marché, lorsqu’une caravane ou un mégadromon* arrivait de contrées lointaines, elle avait la chance d’apercevoir d'étranges bêtes parées de magnifiques ornements ; d’observer des hommes vêtus d’armures étranges, portant des poignards dans des fourreaux sertis de pierres précieuses. Ici sous la halle, sur certaines étales, elle pouvait sentir des odeurs exotiques et mystérieuses s’échapper de grands sacs de jute ou de pyramides multicolores. Du regard et seulement du regard, elle pouvait toucher de luxueux flacons venant de pays où elle n'irait jamais. Les parfums qu'ils contenaient, étaient si rares, si chers, que quelques gouttes auraient suffi à acheter sa vie. De temps en temps, Punaise contemplait, descendant d’un Kago* richement décoré, une belle courtisane de Harem, vêtue de soie et de bijoux, sa vie semblait si différente de la sienne, pourtant toutes deux étaient esclaves, toutes deux donnaient du plaisir, pourtant un gouffre les séparait.
Souvent ses clients lui racontaient leurs merveilleux voyages. Et lorsqu'elle osait perdre quelques minutes, elle aimait écouter les bavardages des vieilles femmes sous la halle. Elles avaient la bouche pleine d'histoires de princes et de nobles dames, de djinns et de fées, des histoires de Démons combattants, qu’on appelait des Regs, on disait qu'ils buvaient le sang de leurs victimes, on disait même que la mort les craignait.
Toutes ces histoires embellissaient sa vie, aussi elle aimait rencontrer des inconnus sous cette halle animée, elle était fière de sa capacité à briser les barrières sociales, son petit air mutin, sa tenue et son charme enjoué devaient y être aussi pour beaucoup. Dotée d'un esprit libre, d'un cœur ouvert et d’une vive intelligence, elle abordait facilement les étrangers qu’elle pensait intéressants et pas seulement pour les racoler. Les autres esclaves chuchotaient en secret, perplexes devant sa capacité à échapper aux punitions pour ses retards et ses impertinences. Certains pensaient qu'elle possédait un sortilège qui la protégeait de la colère de son maitre Res Llamal. Souvent les faveurs dont bénéficiait Punaise créaient une animosité entre elle et les autres esclaves, provoquant parfois des tensions. Malgré cela, elle restait proche de ses compagnes, nouant un lien étroit avec la plupart d'entre elles. Pourtant, tout comme la rousseur de sa chevelure, ses véritables origines était un mystère.
Morvert, l’économe de la taverne où elle travaillait, cherchait toujours à la remettre à sa place. Quotidiennement, elle avait la responsabilité de se rendre au marché pour les besoins de l’auberge. Res Llamal savait qu’elle comptait bien plus vite que son économe, qu’elle marchandait comme une chiffonnière et que son sourire enjôleur lui octroyait régulièrement des remises. Il faut dire qu’elle payait souvent de sa personne. De retour au bercail, l’aubergiste s’empressait de vider la petite tirelire qui pendait à sa taille et qu’on appelait boite à plaisir, presque toujours son contenu payait largement les fruits achetées.
Dés quelle avait le temps, elle allait à l’étal de Res Pukouziani pour retrouver son amie Yezziraz, elle ne pouvait s'empêcher de la taquiner et de flâner avec elle entre les étalages. C'était un jeu risqué, car Morvert n'avait aucune patience pour son insolence et ses escapades. Elle marchait sur le fil du rasoir chaque fois qu'elle se moquait de Morvert ou emmenait Yezziraz dans l'une de ses promenades.
Punaise toucha l’épaule de son amie en disant :
_ Regarde, Yezziraz, comme ce jeune pécheur est mignon, il a l'air vachement viril. Elle regarda le jeune homme. Il était bien bâti par le travail de la rame, la plupart de ses poils avaient été épilés et il ressemblait à un guerrier entraîné. Punaise observa songeuse comment il bougeait son corp en sueur. J'adorerais attirer son attention, et je parie que toi aussi, murmura-t-elle en riant. Elle aimait la façon dont les garçons la regardaient quand elle marchait, à Castelkatar, elle avait appris à rouler des hanches de manière très aguichante, ainsi que bien d'autres techniques, cependant elle avait été jugée comme un deuxième choix, alors elle n'avait droit qu'à une introduction aux cours de séduction. Je me demande où il va ? poursuivit-elle.
_ Très probablement à sa barque parce qu'il porte cet énorme filet, répondit Yezziraz. Nous ne pouvons pas y aller, ajouta-t-elle. Dommage.
Déjà elles réfléchissaient à des moyens pour franchir la poterne et Punaise avait sa petite idée. Aussi prit-elle la main de Yezziraz en lui disant :
_ je connais le garde, c’est un client de l’auberge, t'inquiète je vais en faire mon affaire.
Une chaine d’esclaves repoussante de crasse attendait devant la herse levée. Elle les observa un moment, ils étaient nus et comme tous les esclaves mâle, ils arboraient un énorme anneau à leur pénis, le genre d’objet qui interdisait toute relation sexuel. Elle détestait la façon dont le regard de ces moins que rien léchait son corps. Elle devinait qu’ils fantasmaient sur la possibilité de poser leurs mains sur ses seins menus, sur son cul et de profiter des joies qu'ils pouvaient offrir.
Suivie de Yezziraz, elle s‘approcha de Féniggur le garde de la poterne, qui armé d'une lance et d'un très grand bouclier rectangulaire, surveillait les entrées et les sorties. Tout en marchant, elle faisait quelques gestes obscènes à destination des prisonniers.
La vie d’un esclave mâle était une torture qui semblait ne jamais finir. De nombreuses esclaves et Punaise était du nombre, les considéraient comme la cause de leurs malheur, car chaque mâle enchainé, était un incapable qui avait échoué à protéger sa cité. Il était considéré comme honteux de ne pas mourir au combat, de se faire capturer et surtout d’être vendu sans demander à être exécuté. Ces couards n'avaient fait qu'augmenter une population d’esclaves déjà pléthoriques et par là même à les dévaloriser. Ces prisonniers non mis à rançon, étaient considérés comme vastum*(déchet) aussi portaient ils sur le front et l'épaule la lettre V, une marque ô combien infamante.
_ Vous allez où les pétasses ?
_ Res Féniggur, comme tu nous parles ? alors que je voulais montrer la différence à Yezziraz, entre un homme quelconque et toi un homme chien*.
_ Ben, elle la voit, avec ma trogne de dogue.
_ Sois pas con ! tu sais très bien de quoi je veux parler.
_ ?????
_ De ce qu’il y a dans tes chausses.
_ Ah ! ça…
_ Oui, ça.
_ Tu sais très bien que pour qu’on voit la différence faut qu’je bande.
_ Eh bien, bande.
_ Comme ça ? maintenant, non !
_ Regarde les esclaves, malgré leurs anneaux… eux ils bandes.
_ C’est normal, t’as pas vu qu’en plus du V ils portent la marque des reproducteurs ? ce sont des queutards, ils sont destinés aux filles à soldats*.
_ Ouai ! tout ça ne nous avance pas. C’est dommage, si tu veux je t’aide à bander, le truc c’est que t’en mets partout et tu connais Res Pukouziani, s’il voit du foutre sur Yezziraz on va tous passer un sale quart d’heure.
_ Ces mecs du sud, sont pas partageurs, Ben, vous aurez qu’à vous laver dans le fleuve.
_ Dans ce cas, mets-toi dans l'ombre du porche, que je puisse te faire plaisir.
_ C'est bon, passez derrière mon bouclier, c'est un véritable mur.
Dans son école de dressage, elle avait suffisamment appris, pour savoir que les hommes ne se souciaient généralement de rien quand ils étaient excités. Si bien qu'ils traitaient souvent une fille qu'ils venaient de féliciter, avec un mépris total, une fois qu'ils avaient répandu leur foutre.
Elle adressa à l'homme un sourire mutin.
Le garde la prit par les cheveux :
_ Donne-moi un baiser.
Punaise se disait, j'aime les chiens, j'aime les hommes chiens, même avec des bajoues, même quand ils bavent, même s’ils sentent très fort.
Elle sortit sa langue qui était minuscule comparée à celle de Féniggur.
Elle amorça un baiser, lèvres contre lèvres.
Yezziraz, curieuse, s'approcha pour les regarder.
Le garde la tira lentement par les cheveux, dans un souffle il lui dit :
_ Embrasse-moi mieux que ça, Punaise !!
Maintenant, elle avait le mufle de Féniggur contre son visage, sa longue langue pénétrait sa bouche... elle lui rendit son baiser, sentit même ses canines sous sa langue...
_ C'est pas la première fois que tu fais ça, hein ? lui demanda Yezziraz.
Elle fit non de la tête, il lui était impossible de parler avec sa bouche pleine d'une langue épaisse et très mobile.
_ Maintenant, tu vas me faire ce que tu m’as promis. Compris ??
_ Oui, Maître.
Le garde était très grand, alors à genoux, elle devait se tenir le dos bien droit. Pour être presque à la hauteur de son sexe.
Il défie les lacets de ses chausses déballant une grande partie de sa virilité.
Et quel sexe !! Yezziraz faisait des yeux comme des soucoupes. Elle s’approcha encore plus et se mit à genoux.
_ Putain ! Qu’il est gros, il est bien rouge. Et pas que le gland… j’avais jamais vu ça ! Et avec toutes ces veines blanchâtres, on dirait un gode en marbre rose. Il est mouillé et il sent très fort. Elle eut un mouvement de recul, c'est trop dégoûtant !!
_ Mais non bourrique ! s’exclama Punaise. Tous les hommes-chiens se lèchent le sexe, ce que les hommes, hélas, ne font pas. Donc tu peux être certaine que tu n’auras pas un relent de pipi. Res Féniggur, tu peux sortir tout ton attirail ? Et, tiens-toi bien, Yezziraz, tu vas avoir une grosse... surprise !
_ Oooh non !!! Tu veux dire que c'est comme pour les vrais chiens ? le nœud !! Ce gros bulbe qui se forme à la base du sexe quand ils vont jouir ?
Punaise, la prit par la nuque et poussa le visage de sa camarade contre le sexe.
_ Lèche !!
_ C’est vrai, le gout est différent de celui de mon maitre.
_ Bon les filles assez joué, j'ai pas le temps de m'amuser, moi ! Punaise tu me feras plaisir une autre fois. Allez jouer ailleurs !
_ Mais on voulait aller au port ...
_ Bande de chipies ! vous étiez prêtes à toutes les manigances pour sortir du caravansérail ! Bon je suis bon prince. Donne-moi une pomme et je fermerai les yeux, mais dans 3 heures c'est la relève.
_ Tu es trop chou Maitre Féniggur.
Ce n'est que 2 heures plus tard qu'elles traversèrent la poterne dans l'autre sens. Elles étaient heureuses et trempées de s'être baignées.
Le sang de l’économe bouillit de rage lorsqu'il surprit Punaise, sa corbeille d’osier sous le bras sortir de la galerie de la poterne. à la voire, elle s'était s'en nul doute baignée au lieu de tapiner. Sans hésiter, il se jeta sur elle, prêt à la punir pour avoir tenté de prendre un peu de bon temps. Il ne voulait surtout pas prendre la peine de consulter Res Llamal, qui l’aurait simplement laissée partir avec une tape sur les fesses, au pire elle aurait été de corvée de latrine. Non ! Morvert savait que c’était à lui d’enseigner à cette esclave désobéissante une leçon qu’elle n’oublierait jamais. Avec un sourire sadique, il saisit sa badine et se prépara à la frapper de toutes ses forces, se délectant à l’idée de laisser des marques bien violettes sur son dos et ses cuisses, ce coup-ci il comptait bien la faire saigner. Mais au moment où il levait son bras, une main puissante saisit son poignet, l’arrêtant en plein vol. Mais qui était cet inconnu qui l’empêchait de corriger cette esclave fainéante ?
_ Du calme l’ami, calme-toi. C’est la fille aux pommes, je lui ai dit de m’en apporter une et de me donner une adresse. Je ne tolérerai pas qu’elle soit punie pour m’avoir obéi ! ordonna la voix d’un ton tranchant. Le cœur de Morvert battait fort dans sa poitrine alors qu’il fixait la silhouette devant lui. Les paroles de l'homme avaient une telle autorité qu'il se sentit petit et impuissant. Il trembla d’une vaine rage en rangeant fébrilement la badine à sa ceinture, il avait vite réalisé qu'il n'avait d'autre choix que d'obéir aux ordres de cet étranger. Le cœur lourd, il bafouilla quelques excuses incompréhensibles avant de tourner des talons laissant Punaise tout aussi tremblante mais pas pour les mêmes motifs. Morvert venez sans doute d’échapper à un triste sort et il en était conscient.
Le cœur de Punaise battait la chamade, elle évitait de justesse une punition largement méritée quoique disproportionnée. Mais elle savait que le danger n'était que reporté. La rage de Morvert ainsi que son esprit retord serait en sommeil pour quelque heures, mais elle était certaine qu’il se vengerait de la plus dure des manières. Elle ne connaissait que trop bien la méchanceté de l’économe de son auberge. Pourtant à sa surprise, après avoir bredouillé quelques excuses, Morvert en s’éloignant vivement avait lancé une bordée de jurons avant de s'en aller à toute jambe. Même Yezziraz et son maitre Res Pukouziani, qui avait observé avec amusement cette scène de loin, fut surpris par la réaction inhabituelle de Morvert car celui-ci était loin d’être un gringalet. C'était bien la première fois qu’il voyait l’économe abandonner l’occasion d’une bagarre. Et se sauver comme ça, n’était pas dans ses habitudes. Normalement, il serait rentré dans le lard de l’inconnu. Quelque chose devait l'avoir profondément perturbé pour déclencher un tel écart par rapport à son comportement habituel.
_ Morvert aurais tu vu la mort ?
_ Tu ne crois pas si bien dire.
_ C’est un Hors-Loi, d’accord ! mais de là à t’enfuir la queue basse…
_ C’est peut être un Hors-Loi, mais c’est surtout un Oupyr* j’ai vu ses yeux.
_ Baliverne, ça peut tout simplement être un Cimmérien de sang pur.
_ Je sais ce que j’ai vu et j’ai déjà croisé ce type sur un champ de bataille. C’est un Roi Démon buveur de sang. Je sais ce que je sais.
_ Tu m’en diras tant, viens et raconte un peu.
_ Oui mais alors autour d’une bière... la morue elle perd rien pour attendre.
Devant la poterne, les genoux tremblants de l’esclave fléchirent lorsqu'elle réalisa que Morvert ne l'avait pas frappée avec sa badine préféré. Une vague d’incrédulité la submergea, suivie d’une d’émotion, puis de désarroi lorsqu'elle laissa tomber son panier dans une flaque de boue. Les pommes gisaient éparpillées sur le sol, recouvertes de saleté. Elle s’agenouilla consternée, les regardant avec presque les larmes aux yeux. Elle était accroupie remplissant hâtivement sa corbeille. Elle redressa la tête pour remercier l’inconnu qui l’avait sauvé. Mais ne vit rien, à part un homme de dos portant une lourde besace, il s’éloignait tout auréolé du soleil de cette fin de matinée. Sur le sol elle ramassa dix has de bronze et une pièce d'or qu'elle prit entre le pouce et l'index, elle la leva au-dessus de sa tête, elle était aussi brillante qu'un deuxième soleil, elle ne pouvait qu'illuminer sa journée.
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