La promesse.
***
Pour la première fois, il jetait un vrai regard de ses yeux de flammes jaunes sur son royaume de sable et de dunes, sur ses sujets, une bande de pillards et de nomades oubliés de tous. Il se baissa, prit dans chaque main une poignée de sable. Puis il se redressa avec lenteur et majesté. Il écarta les bras, desserra ses poings, le sable s’écoula.
- Les Dieux vous ont assez punis, ils ne veulent plus vous laisser seuls sans guide dans ce désert, avec le souvenir de la douleur et le désespoir des oubliés.
Je suis venu pour être votre roi, votre prophète. Je vous aimerai comme mes malheureux enfants, je vous soutiendrai comme des fils affaiblis. Grâce à moi, vous serez respectés et craints. Je suis l’ange de la douleur, celui qui vient lorsque les autres ont fui. Tremblez ennemis de mon peuple choisi ! Les Dieux vous ont envoyé le prophète de leur colère. Vous m’avez éveillé au monde, tant pis pour vous, car vous connaitrez bientôt le prix du sang, des larmes et des armes. Tant pis pour le monde. Maintenant, laissez-moi seul. Le chant des dunes doit me murmurer les secrets des mers de sable. Je vais sur la grande dune, mais avant je veux du vin pour que ce sable assoiffé connaisse le goût du sang de la terre. À mon retour, soyez prêts à plier bagages, car je vous mènerai dans l’Antre de Baal l’Invincible*, dans un lieu connu de moi seul, dans un lieu perdu au milieu de la Mer de Sable à plusieurs semaines de marche. En ce lieu, il est une ville déserte emplie de grands édifices, de jardins et de sources. Elle avait pour nom Hiérosolyme* et ce sera ma résidence royale. Que la caravane soit prête, les chameaux et les tribosses bâtés. Samaël avait surgi de son puits au matin. Maintenant on était au mitan de cette journée, le soleil avait atteint cet apogée fulgurant où l’air en fusion vibre et pâlit à l’horizon, où le ciel vire à la couleur laiteuse des lames des épées. Des traces de son combat, il ne restait que quelques débris de tentes. Il saisit au passage un drap blanc qui flottait au vent. À moins d’un stade devant lui se dressait la grande dune. Sans effort, il la gravit. Dans une main il tenait le drap, dans l’autre une amphore transpirant sa fraicheur. Il étala l’étoffe sur le sol, s’assit en tailleur. En bas il voyait sa tribu qui s’affairait. L’eau du puits avait déjà creusé une mare où les enfants jouaient, où les animaux s’abreuvaient et où déjà les femmes emplissaient les outres de cuir. Le temps passa…Là-bas, les lointaines dunes tremblaient sur leur base et le jaune se mêlait de rose, d’orangé et de rouge profond. Elles gardaient le reg immense et surveillaient les cieux incandescents. Samaël se leva, s’avança sur la lèvre de la dune. Il avait recouvert sa monstrueuse nudité du drap blanc. Et il parlait comme pour lui-même :
- Ô terre de désolation, tu me fais endurer le frisson du mystère. Et ton domaine immense est mien, comme le vide de mon âme. Mes souvenirs sont peut-être ceux d'un autre. Je voue mon destin à ce désert. Nul n’a bercé ma tristesse. Nul n’a pris mes mains. Nul visage ne m’a souri. Ô Terre. Ô Ciel envoie-moi un signe, un message. Et que le mystère de la foi s’accomplisse. Là-bas, un tourbillon, une colonne de sable, une tour presque droite se levait, prenait vie et force. Ses contours encore flous s’élargissaient. Sa tête dans les nuées, les pieds dans ce sable d’où elle tirait sa puissance. Ce bouquet destructeur, cette floraison funeste, manifestation de la terre et du ciel, l’appelaient comme une mère, comme une amante. Il leva les bras et cria, « C’était écrit ! ».Et devant ses nouveaux sujets effrayés, il se précipita étreindre la tornade d’abeilles de silice en furie. Épée de sable hurlante, épée brûlante vacillant sur elle-même, mais qui jamais ne retombait, fantôme de l’enfer, elle l’attendait au sommet d’une dune. La trombe l’attendait pour le couronner.
Annotations
Versions