Le Coucou (30)
Je n’ai pas la plume aussi facile que le père Urssö. J’ai toujours été plus à l’aise avec l’action qu’avec les belles paroles. Mais moi, sir Otto Feuerblöd, me sens le devoir de rapporter. Je le dois aux morts. Je le dois aux vivants, dont la vie est mise en péril par la simple existence d’un tel monstre. Et je me le dois à moi-même, je suppose. En tant qu’unique survivant.
J’avais prévenu le questeur. Je lui avais dit d’être méfiant. Je n’ai jamais connu d’enfant doté d’un tel pouvoir brut. Il représente aussi un danger pour lui-même, d’ailleurs, car sans formation adéquate, comment maîtriser sa magie ? Mais Urssö était toujours réticent à admettre un tel prodige. Il préférait croire à une possession par une entité particulièrement retorse et discrète. Il est venu avec ses litanies, son eau bénite et ses chapelets. Mais lorsqu’il a voulu contraindre le gamin, il s’est fâché.
Ça a été terrible. Il les a tous tués. Le voyant libéré, la mère a préféré se donner la mort. Alors il s’est enfui. Je ne suis vivant que parce qu’il m’a cru mort, moi aussi. Et peut-être en partie grâce aux protections dont je bénéficie.
J’ai été contraint de garder le lit des semaines durant. Pour ce que les guérisseurs ont pu faire… Du temps perdu. Trop de temps. Il s’est évaporé dans la nature. Mais il réapparaîtra. Je n’ai aucun doute là-dessus. Les victimes de Mauerbrück n’étaient pas ses premières. J’ai retrouvé Jegory Helmann, l’un des mercenaires qui ont participé à la campagne d’Ebenfels. L’un de ceux qui ont trouvé l’enfant dans les ruines. Il se souvient de ce petit garçon châtain aux joues rondes et humides de larmes, dans son village ravagé. Et de ces cadavres atrocement mutilés dans les environs et jusque sur le seuil de sa porte.
Ils ont pris pitié de lui. Mais en apprenant qu’ils avaient sauvé un démon au visage poupin, le mercenaire est soudain devenu blanc et silencieux.
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