L'héritier (2)
12 Oremiel 767
Ça y est ! J’ai trouvé un prospecteur à la hauteur de la tâche.
Ça n’a pas été une mince affaire. Rosenwald est une trop petite ville et le niveau d’instruction n’y est pas très élevé. Il a donc fallu que je me rende à Kaltfel. Mère m’a agoni d’injures. Je l’ai rarement vue se mettre dans un tel état. « Tes pitreries ne valent pas mieux que les chasses aux chimères de ton père, Moineau ! », m’a-t-elle hurlé, employant le surnom de mon enfance comme une insulte. Mais ma décision est prise, maintenant. Ses mouvements d’humeur ne m’empêcheront pas de mener à bien ma tâche. Je songe cependant à nos pauvres et fidèles domestiques, Heinrich et Agnes, obligés de s’occuper d’elle en mon absence.
Je loge à la Nef d’Argent, une coquette hostellerie du haut-quartier, le secteur le plus agréable et le plus vivant de la ville. L’établissement est sis au pied du château et, depuis ma fenêtre, je peux embrasser l’immensité de la mer. L’agitation citadine n’est pas faite pour moi. J’ai un moment craint la noyade, oppressé par le monde et l’allure où vont les choses ici. Mais en fin de compte, je réalise que ces quelques jours loin du domaine familial, et surtout loin de l’ombre de Mère, m’ont fait le plus grand bien. Je rentre à Rosenwald demain, victorieux, et je profite de ma dernière soirée ici pour écrire quelques mots.
J’ai cru désespérer au début de mes investigations. Pas par faute de volontaires, mais en raison de leurs exigences. Les uns réclamaient des fonds et un salaire mirobolants, les autres tentaient de masquer leur incompétence en requérant l’intervention d’arcanistes ou d’érudits capables de faire des études de sols et d’identifier les veines exploitables. J’ai d’abord tenté de satisfaire les premiers, mais les guildes et les banques sont pires que des charognards. Même les chevaliers du Sanctuaire ne m’ont consenti qu’un prêt ridicule. J’ai ensuite tenté de satisfaire les seconds, mais le puritanisme de Kaltfel ne laisse pas beaucoup de place aux mages et autres experts des sciences arcaniques, si bien que je n’en ai pas trouvé le moindre, sauf à des prix plus exorbitants encore.
Finalement, ce Monsieur Adelfuchs, qui avait entendu parler de mes projets, est venu me trouver à l’auberge. Il désirait en savoir davantage avant de se lancer dans l’aventure. Je lui ai expliqué que je disposais d’un domaine qui ne demandait qu’à être exploité. Nous pouvons même profiter d’une carrière à l’abandon et de galeries qui n’attendent qu’à être étayées. S’il manque de bras, je pourrais également lui en envoyer quelques-uns de Rosenwald et je ferais passer le mot pour que la main d’œuvre accoure des environs.
Il a paru satisfait. Il m’a tout de même prévenu de ne pas m’attendre à des résultats fantastiques avant plusieurs mois, le temps de trouver un filon et de l’exploiter au mieux. Mais contrairement à ce que pense Mère, je ne suis pas si naïf. Lichthel ne s’est pas bâtie en un jour. Je ne suis pas pressé, mais je suis heureux que le projet soit lancé. Je me suis renseigné : la plus petite exploitation d’essence du Himmland produisait vingt-cinq barils de fluide brut par jour au bout d’un an, soit un peu plus de quarante draques à la vente. S’il en va de même pour ma mine, je songe déjà à établir ma propre raffinerie tout à côté. Ce faisant, je pourrais pratiquement doubler les bénéfices. J’aurai alors les moyens de faire appel aux plus grands artistes des Douze Royaumes. Ma tête fourmille d’idées pour une fresque à peindre au plafond de la future salle de bal, quelque chose d’à la fois pieux et joli, décoré d’angelots et d’épais rosiers rouges.
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