L'héritier (3)

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14 Oremiel 767

Mère est un monstre. Elle n’a jamais été de ces mamans tendres et câlines. Elle n’a pas beaucoup de patience, elle a l’exigence élevée, mais peu de tolérance pour l’échec. Elle n’a pas non plus eu une vie facile, entre la gestion du domaine périclitant, les lubies de Père, la fermeture de la carrière et les maux de Sollie. Mais l’âge ne l’a pas bonifiée, bien au contraire.

À mon retour de Kaltfel, si je m’attendais à des louanges, des félicitations ou un accueil chaleureux, je devais être déçu. Les domestiques avaient l’air terrorisés. La demeure de mes ancêtres n’avait jamais paru si froide. Lorsque je suis entré dans sa chambre, Mère m’a jeté son gruau. Son visage flétri, les traits tirés par la rancœur, les rides creusées par l’aigreur, elle était plus laide que les gargouilles du jardin, et bien plus effrayante. Son regard brûlait d’une malveillance glacée. Cette créature affamée de souffrance et de frayeur m’était étrangère. Depuis quand est-elle ainsi, ogresse dans sa tanière de duvet et de ténèbres ? Peut-être depuis des années, depuis son isolement, ou même depuis la mort de Père. Peut-être n’en ai-je finalement pris conscience qu’après ce bref exil au pays des vivants.

Je me suis entêté. Je lui ai raconté mon voyage, mes rencontres, la mise en place du projet. J’ai songé que ça pourrait l’apaiser, voire la convaincre, enfin, du bien-fondé de ma démarche. Je lui ai expliqué que les galeries de Père allaient être mises à profit. Il n’avait peut-être pas retrouvé le trésor ancestral prétendument caché sous notre domaine, mais moi, le trésor, j’allais le constituer à partir des revenus de la mine d’essence.

Elle a ri.

Après m’avoir écouté en silence, après avoir feint l’intérêt, elle s’est moquée. Elle a affirmé que Monsieur Adelfuchs était un charlatan, sans même l’avoir rencontré. Elle a dit que je dilapidais le peu qu’il nous restait et que j’allais achever de ruiner la famille. Les larmes me sont montées aux yeux, mais j’ai tenu bon, je ne me suis pas effondré. Elle n’a pas eu la satisfaction de me voir pleurer. Elle ne le sait peut-être pas encore, mais elle n’a rien à gagner à me traiter de la sorte. Demain, je n’irai pas la lever ni lui apporter son déjeuner. Elle trouve Heinrich austère et Agnes émotive, mais c’est à eux qu’elle aura à faire tant qu’elle ne me montrera pas un peu de respect.

Ce soir, un nouvel orage passe sur le domaine. La lune est timide et laisse l’obscurité régner sans partage. Le vent secoue les pinèdes et fait pleurer la maison. J’ai à nouveau eu l’impression d’entendre des appels résonner dans les vieux corridors, mais je n’irai pas voir. Pas cette fois.

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